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À la découverte de la salle Labrouste
Mis à jour le 20 septembre 2016
Histoire et patrimoine de l'INHA
Auteur : Lucie Fléjou
La première phase de rénovation du quadrilatère Richelieu s’achève. Nous vous avons déjà présenté la salle Labrouste, dont la splendeur est désormais retrouvée. Aujourd’hui, tournons notre regard vers le magasin central, également conçu par l’architecte Henri Labrouste dans les années 1860.
Situé dans le prolongement de la salle de lecture, le magasin fut pendant 130 ans dédié à la conservation des collections de livres imprimés de la Bibliothèque nationale, transférées sur le site François-Mitterrand en 1998.
Rénové depuis 2010 sous la direction de l’agence de l’architecte Bruno Gaudin, le magasin central va connaître une évolution majeure dans ses usages : en effet, à partir de la réouverture de la bibliothèque de l’INHA, fin 2016, il abritera des collections de livres en libre accès et sera, pour la première fois de son histoire, directement ouvert aux lecteurs.
Entrée du magasin central dans la salle Labrouste, mai 2016. Cliché Olivier Ouadah – INHA
Derrière la porte vitrée de 9 mètres de haut encadrée de deux monumentales cariatides, on entre dans ce vaste espace dont la sobriété évoque l’architecture industrielle : le contraste avec la salle de lecture, richement décorée, est saisissant. Sur une surface au sol rectangulaire de 1218 m², quatre niveaux de rayonnages sont superposés, de chaque côté d’une large allée centrale. Chaque niveau, reposant sur un plancher métallique à claire-voie, a une hauteur de 2,30 mètres, calculée pour permettre une préhension aisée des documents.
Du point de vue architectural, le magasin central est une prouesse : si les étagères en bois sont d’un seul tenant sur les quatre niveaux, la structure métallique des « casiers » est quant à elle conçue selon « le principe des cadres à bouteille en fer ».
L.-É. Durandelle, Magasin Central des Imprimés – Bibliothèque Impériale, photographie, 1888, Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Au moment de sa construction, le magasin, pourvu également d’un niveau en sous-sol, fut couvert d’un toit vitré en sheds, sur le modèle des usines bâties à cette époque. Grâce aux planchers métalliques à claire-voie, la lumière naturelle venant du toit se diffuse jusqu’au rez-de-chaussée. Cette disposition permet d’éviter l’éclairage artificiel, le gaz étant considéré comme trop dangereux pour les collections de la Bibliothèque nationale. Ci-dessus, une photographie de Louis-Émile Durandelle montre bien la structure et l’éclairage du magasin telles qu’ils furent pensés par Labrouste.
Au XXe siècle, les successeurs de Labrouste n’ont eu de cesse de chercher à gagner des espaces supplémentaires. En 1893 déjà, un cinquième niveau de « casiers » métalliques est ajouté par l’architecte Jean-Louis Pascal au-dessus des magasins construits par Labrouste. Puis, dans les années 1920, on intercale des rayonnages métalliques entre les rayonnages en bois d’origine. Enfin, des années 1930 aux années 1950, l’architecte Michel Roux-Spitz ajoute sept niveaux supplémentaires de magasins, deux en sous-sol, en béton, et cinq au-dessus de la structure originelle de Labrouste. Pour effectuer cette surélévation, il double la structure métallique d’origine, en fonte, avec d’épais piliers de fer (en gris et noir sur les photographies) qui supportent les étages nouvellement créés. Le toit vitré d’origine est supprimé ; depuis les années 1920, l’introduction de l’éclairage électrique à la Bibliothèque nationale ne le rend plus nécessaire.
« Le magasin central des imprimés », dans Julien Cain, Les transformations de la Bibliothèque nationale et le dépôt annexe de Versailles, Paris, Éd. des bibliothèques, 1936, p. 9. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
La rénovation menée par les architectes Bruno Gaudin et Virginie Brégal a permis de restituer un état général du magasin plus proche de celui de l’époque de Labrouste : en effet, les rayonnages intercalés dans les années 1920 ont été supprimés, de même que les ascenseurs qui avaient été ajoutés au centre de l’espace. Le nouvel éclairage se rapproche de celui conçu par Labrouste, puisque les quatre niveaux de magasins sont éclairés d’en haut, la lumière traversant les caillebotis métalliques des planchers.
Pneumatique du magasin central, juin 2016. Cliché Olivier Ouadah – INHA
Les modalités de communication des documents aux lecteurs ont aussi aussi évolué avec le temps. En 1934, la Bibliothèque nationale décide d’installer dans le magasin central des imprimés un système d’expédition des bulletins de demande des documents par tube pneumatique. Ce système, en fonction dès 1935 jusque dans les années 1990, a aujourd’hui perdu son usage : seule demeure en place l’imposante centrale d’expédition des pneumatiques, près de l’entrée du magasin.
S’inspirant des nouveaux magasins construits en fonte de fer entre 1852 et 1857 au British Museum, Labrouste crée à la Bibliothèque impériale l’un des premiers exemples de bibliothèque systématisant le principe de la séparation de la salle de travail des lecteurs des espaces de conservation des collections. Ce principe s’oppose à la tradition antérieure de la « bibliothèque-galerie ». La distinction des espaces et des fonctions est claire ; elle se matérialise au niveau de l’hémicycle de la salle Labrouste, zone-tampon où, de part et d’autre de la banque de salle, bibliothécaires et lecteurs se font face. L’organisation hiérarchisée peut donner lieu à une comparaison d’ordre religieux : la salle de travail évoque une basilique, où tout converge vers le chœur (l’hémicycle). La grande banque de salle, surélevée, semble être un jubé, où les officiants (les conservateurs) et leurs aides sont les intermédiaires obligés pour accéder au savoir. À l’époque de Labrouste, l’entrée du magasin central, sorte de Saint des Saints, est pourvue d’un monumental rideau rouge.
Le programme de la nouvelle bibliothèque de l’INHA modifie radicalement cette économie, en créant une bibliothèque en libre accès. Cette notion est constitutive du projet fondateur de l’institut, imaginé dès les années 1980 par André Chastel. Dans le rapport que l’historien de l’art remet à Pierre Mauroy en 1983 figure en premier lieu l’affirmation de la nécessité du libre accès pour les chercheurs, comme ce qui se pratique dans les bibliothèques de recherche américaines : « La BAA doit, comme toutes les institutions similaires à l’étranger, permettre l’accès aux rayons des chercheurs… »
Conformément à cette volonté, qui reflète les besoins actuels du public, trois niveaux du magasin central seront donc accessibles aux lecteurs, qui pourront y consulter, dès l’ouverture de la nouvelle bibliothèque de l’INHA, 150 000 documents, organisés de manière thématique et cotés suivant la classification de la bibliothèque du Congrès. Depuis une dizaine d’années, ces livres et revues ont été sélectionnés parmi les collections de la bibliothèque. Leur recotation et ré-étiquetage sont en cours. A partir du mois de septembre 2016, ils rempliront progressivement les rayonnages.
En revanche, le quatrième niveau de magasin ne sera pas ouvert aux lecteurs.
Rayonnages du magasin central, mai 2016. Cliché Olivier Ouadah – INHA
Outre la présence des livres en libre accès dans les rayonnages, l’autre grande nouveauté sera la possibilité pour les lecteurs de s’installer au plus près des collections pour travailler. 82 places de lecture assises ont été créées à l’intérieur-même du magasin central. Certaines sont insérées dans les rayonnages ; d’autres sont situées dans l’allée centrale, sur les trois niveaux accessibles au public. Enfin, deux espaces de travail en groupe, d’une capacité de dix places chacun, ont été aménagés au troisième niveau. Les tables de travail ont été conçues par l’agence Gaudin ; les chaises choisies sont le modèle Anna de Palomba Serafini.
Bruno Gaudin, Coruis représentant les tables de travail aménagées dans le magasin central. D.R.
Avec l’ouverture, fin 2016, de cette grande bibliothèque d’histoire de l’art et d’archéologie en libre accès, c’est l’un des principes fondateurs de l’INHA qui s’accomplit. Nous serons heureux de partager avec nos lecteurs et visiteurs la découverte de ce lieu unique.
Lucie Fléjou, service du patrimoine