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Laurence Picot : à la recherche des secrets du luxe à la française
Laurence Picot : à la recherche des secrets du luxe à la française
Laurence Picot est une journaliste à l’âme chercheuse, qui a publié le 21 octobre 2020 l’ouvrage Les Secrets du luxe, aux éditions E/P/A et Arte éditions. C’est au cours des recherches préparatoires à la rédaction de cet ouvrage qu’elle a découvert la bibliothèque de l’INHA, qui lui a permis de repenser son sujet et d’enrichir ses sources, notamment grâce à la consultation des manuscrits de la collection Jacques Doucet, où elle a trouvé les dossiers de la succession de Rose Bertin, marchande de mode.
Vous vous définissez comme une « curieuse professionnelle », pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai un terrible défaut depuis toujours : je suis maladivement curieuse ! Un jour, j’ai trouvé un métier où c’était un atout, cela a été une révélation. Depuis vingt ans, je me pose la même question, que j’explique dans le préambule du livre : qu’est-ce que le luxe français, quelle est son origine ?
Mon premier métier a été designer de mobilier d’art ; et à un moment, j’ai arrêté, je suis devenue journaliste. J’avais une idée très privée du luxe, chacun en a sa définition. Puis dans les années 2000-2005, tout est devenu « luxe » : un réfrigérateur, une table, un vêtement, un collier, un maquillage… Pendant dix ans, j’ai été journaliste et je travaillais sur les industries du luxe. Il y avait un décalage immense entre le discours que l’on tient sur le luxe et la réalité du terrain. J’ai vu des entreprises fermer, j’en étais malade. Quand on fait des recherches, on va à la bibliothèque, mais aussi au café. Vers Millau, je regardais les mains des ouvriers gantiers : ils n’ont plus de boulot, personne ne les défend. Alors que tout le monde disait que la France était le pays du luxe.
Aujourd’hui, j’aimerais faire un doctorat en histoire, pour aller au bout de ma démarche de recherche. J’ai des convictions, et j’essaie de les partager. Je crois que si on protégeait le luxe, ses métiers, il y aurait moins de chômage en France.
Les Secrets du luxe, Laurence Picot. © Arte Éditions – Éditions E/P/A
Pouvez-vous nous parler de la genèse du livre Les Secrets du luxe ?
J’ai fait des études de maths et de physique ; donc j’ai une manière de penser qui m’a fait réfléchir à la manière dont tout cela s’était passé. En 2010, j’ai commencé à scanner des objets : c’est là que j’ai compris qu’avec l’apparence, on ne voyait rien de la technique. C’est presque la définition même du luxe : cela semble très simple, on ne voit pas la complexité. Et j’ai commencé à me pencher sur les brevets d’invention : je tenais un fil. Grâce à cela, j’ai pu remonter le temps.
Pour le XXe siècle, je n’ai pas eu besoin des bibliothèques. On trouve tout ce que l’on peut imaginer en documentation accessible à tout un chacun. Arrivant au XIXe, j’ai commencé à m’intéresser aux Archives nationales, pour y trouver des documents écrits. Ensuite, je suis allée à la BnF : en n’étant pas chercheuse, mais journaliste, j’ai quand même pu accéder aux salles de recherche car il s’agissait d’un vrai projet de recherche. Je ne savais même pas naviguer sur le catalogue ! J’avais des difficultés pour trouver les documents que je cherchais, mais je me faisais des « récompenses », en consultant des documents qui me plaisaient, comme des cartes du XVIe siècle. Il faut se faire plaisir !
Ensuite, j’ai travaillé quelques mois avec une chartiste. Je suis remontée au XVIIIe siècle, puis au XVIIe. Le gros problème qui s’est posé a été la lecture même des documents : l’écriture, pas de ponctuation, pas de majuscule… j’ai eu besoin d’aide. J’ai aussi eu un problème d’anachronisme, j’étais induite en erreur par le sens que l’on donne aux mots aujourd’hui, parfois différent de celui qu’ils avaient au moment de leur écriture.
L’ouvrage Les Secrets du luxe dans la salle Labrouste. © Laurence Picot
Comment avez-vous découvert la bibliothèque de l’INHA ?
J’ai mis dix ans à écrire ce livre, que j’ai commencé en 2010. Dans tout ce processus, j’ai découvert la bibliothèque de l’INHA extrêmement tardivement. Un personnage me plaisait beaucoup, celui de Rose Bertin, une marchande de mode du XVIIIe, car je voulais parler des femmes. J’ai mes préférées : Émilie du Châtelet par exemple. C’est sa version de Newton que l’on étudie, pas celle de Newton ! Voltaire l’a publiée post mortem, mais cela n’a pas suffi à sa postérité, on se rappelle juste qu’elle était sa maîtresse.
Quant à Rose Bertin, les livres racontaient toujours la même histoire : on disait que tous ses papiers avaient été brûlés à la Révolution, ce qui était possible. Mais il y avait eu un procès impliquant ses héritiers. Une chercheuse américaine, Clare Haru Crowston, avait fait une recherche sur ce thème pour son ouvrage Credit, Fashion, Sex. Economies of Regard in Old Regime France (Duke University Press, 2013) et avait consulté la collection Jacques Doucet. C’est cela qui m’a mis sur la piste.
Pour consulter cette source, j’ai fait le tour de Paris, j’ai d’abord été voir le fonds Doucet au Panthéon (la bibliothèque littéraire Jacques Doucet), jusqu’à arriver à la bibliothèque de l’INHA en juillet 2019, sur les traces de Rose Bertin. Et je n’en ai pas fini avec elle !
Lors de vos visites, où vous installiez-vous ? Un rituel particulier ?
J’aime la cour d’honneur ! Un café caramel au distributeur, une cigarette (est-ce avouable ici ?). Et pour travailler, au plus près de l’espace Doucet, et des lecteurs de microfilms.
Lorsque l’on fait des recherches, on se sent un peu seul ; le plaisir dans la salle Labrouste a été de se retrouver dans un lieu très beau, avec des personnels très serviables, qui avaient compris que je n’étais pas professionnelle de la recherche, et cela m’a encouragée. La rénovation des lieux est superbe.
Il y a d’immenses possibilités à la bibliothèque de l’INHA, on pourrait y passer sa vie !
Lorsque l’on pense aux collections de l’INHA, on ne pense pas forcément aux domaines de la mode ou du luxe. Quel type de sources avez-vous consulté ?
J’ai consulté les dossiers de la succession de Rose Bertin sur microfilm. Je suis revenue une dizaine de fois et cela a été comme une libération de trouver. J’ai scanné ces documents sur une clé USB et cela m’a donné une base pour mes recherches aux Archives nationales, par exemple avec le nom des clientes de Rose Bertin. Pour ma part, ce qui m’a le plus choqué, c’est la dernière commande de Marie-Antoinette. Elle veut garder son rang en prison. Sa toute dernière commande, c’est une robe en laine, noire : une aberration pour quelqu’un de son rang. C’est qu’elle a froid ! Mais si l’on consulte ses premières commandes, elle n’a pas encore compris ce qui l’attend.
Avec les mêmes archives, on ne raconte pas la même histoire. J’ai trouvé des archives qui complètent celles de l’INHA aux Archives nationales : des actes notariés… J’ai ainsi croisé les sources.
La découverte d’un document vous a-t-elle particulièrement marquée ?
La dette de Marie-Antoinette !
J’ai aussi trouvé des illustrations intéressantes en faisant mes recherches à l’INHA, comme celle du cabinet de physique et de mécanique de monsieur Bonnier de la Mosson, dessiné par Jean-Baptiste Courtonne.
Jean-Baptiste Courtonne, Cabinet de physique et de mécanique de monsieur Bonnier de la Mosson (détail), 1739-1740, plume et encre sur papier. Paris, bibliothèque de l’INHA, OA 720(8). Cliché INHA.
Il faut protéger les archives et les bibliothèques, parfois on ne comprend pas leur importance ! Il faut les utiliser davantage, car si on ne peut pas s’appuyer sur le passé, on ne peut pas avancer. C’est la curiosité qui nous mène, mais elle est souvent découragée.
Vous avez aussi réalisé un documentaire dont la diffusion est bientôt prévue sur Arte, pouvez-vous nous en dire plus ?
Le livre couvre trois siècles, le film n’en fait « qu’» un et demi. On peut mettre beaucoup plus de choses dans un livre que dans un film ! La diffusion du film L’Invention du luxe à la française, réalisé par Stéphane Bégoin, est prévue le 5 décembre à 20h50 sur Arte.
Vous pouvez aussi suivre l’actualité de mes recherches sur mon compte Instagram et sur mon blog.
Marie Garambois
service des Services au public