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L’art de l’ex-libris
Quelques ex-libris découverts dans les collections Jacques Doucet
L’art de l’ex-librisQuelques ex-libris découverts dans les collections Jacques Doucet
Quand l’attention des lecteurs fatigués se détourne des textes qu’ils étudient, leur regard s’attarde parfois sur des signes étrangers à leur lecture et pourtant familiers – une estampille, un cachet, un ex-libris – qui font resurgir à l’improviste la vie passée des livres.
Les bibliothécaires, particulièrement ceux qui ont la charge de collections patrimoniales, accordent beaucoup d’attention à ce qu’ils nomment marques de provenance. Ces marques, qui sont de types et de formes variés (reliures armoriées, ex-dono, ex-libris, etc.), permettent en effet d’identifier le possesseur précédent, ou les possesseurs successifs, mais aussi le commanditaire, le dédicataire ou le donateur des documents qui les portent.
Beaucoup de recueils de la bibliothèque de l’INHA présentent de telles marques, de la plus discrète, tel l’ex-libris du collectionneur Edmond Foulc (1826-1916), à la plus ostentatoire, telle la reliure de maroquin rouge aux armes de la marquise de Pompadour qui orne l’un de nos plus prestigieux livres de fête, L’Entrée triomphante de Leurs Majestez Louis XIV […] et Marie-Thérèse d’Austriche (dont il a été question il y a peu à l’occasion d’une Conférence du Quadrilatère).
Ex-libris du collectionneur Edmond Foulc (1826-1916) dans [Allégories – Combats – Sujets variés] (recueil factice d’ornement), ca 1562-1578, bibliothèque de l’INHA, cote 12 Res 20. Cliché INHA
Reliure aux armes de la marquise de Pompadour de L’Entrée triomphante de Leurs Majestez Louis XIV […] et Marie-Thérèse d’Austriche, Paris, [1662], bibliothèque de l’INHA, cote Fol Res 490. Cliché INHA
Vous aurez peut-être remarqué l’existence d’un champ « note de provenance » dans la recherche avancée du catalogue (« source » dans la bibliothèque numérique) ou, au détour d’une notice, un « auteur » ayant la fonction de « propriétaire précédent ». Au plan national, un groupe de travail en cours propose une méthodologie pour une description exhaustive et harmonisée des marques de provenance. C’est qu’elles n’ont pas toujours été bien signalées malgré l’intérêt qu’elles revêtent pour l’histoire du livre, de la bibliophilie voire même, si l’on considère l’ex-libris gravé, pour l’histoire de l’estampe.
L’ex-libris peut être manuscrit, imprimé, gravé, et prendre la forme d’une « étiquette collée au contreplat ou sur les gardes de l’ouvrage » (voir la définition qui en est faite sur le site de l’Enssib). L’ex-libris gravé apparaît à la fin du XVe siècle, en même temps que se développe le commerce des livres imprimés. Sous l’ancien régime, il est souvent armorié, c’est-à-dire qu’il représente les armes du propriétaire du livre où il a été placé. On peut citer, à titre d’exemples issus des collections de notre bibliothèque, l’ex-libris aux armes d’Aumont par Claude Bérain (1645-1729), inclus dans un recueil regroupant divers ornements imaginés par ce graveur, ou encore l’ex-libris de Manuel Godoy, « principe de la Paz », gravé vers 1790 par Manuel Salvador Carmona (1734-1820), présent dans notre exemplaire des Caprices de Goya, et décrit sur le site de la Biblioteca Nacional de España.
Ex-libris aux armes d’Aumont gr. s. c. (110 x 120 mm) par Claude Bérain (1645-1729), dans [Armoiries, dessus de boîtes, ornements divers] (recueil factice d’ornement), [Paris], [ca 1710], bibliothèque de l’INHA, cote 4 Est 370. Cliché INHA
Ex-libris de Manuel Godoy gr. s. c. (63 x 54 mm) par Manuel Salvador Carmona, dans Goya, Francisco de (1746-1828). [Los Caprichos] : [Les Caprices], Madrid, [1799], bibliothèque de l’INHA, cote 4 Res 22. Cliché INHA
La pratique de l’ex-libris armorié n’a pas disparu au XIXe siècle, comme le montre l’ex-libris du baron Jérôme Pichon, présent dans l’un de nos recueils d’ornement réunissant deux suites de pieds de table gravées au milieu du XVIIIe siècle. Le blason, qui occupe discrètement le coin inférieur gauche de l’ex-libris, s’efface toutefois derrière l’image du baron lui-même, représenté dans l’intimité de sa bibliothèque, s’adonnant à sa passion pour les livres.
Les membres de la bourgeoisie cultivée utilisent pour s’identifier, à la place ou faute d’armoiries, des symboles en lien avec leur profession ou leurs centres d’intérêt. L’ex-libris de François-Eugène-Désiré Ruggieri (1818-1885), descendant d’une lignée d’artificiers, auteur de livres sur la pyrotechnie et bibliophile, représente ainsi un artificier à l’œuvre. Cet ex-libris se trouve dans notre exemplaire du Discours sur les arcs triomphaux dressés en la ville d’Aix à l’heureuse arrivée de très-chrétien, très-grand, et très-juste monarque Louys XIII. Il est plausible qu’un des thèmes de prédilection de Ruggieri en tant que collectionneur ait été le livre de fête. La Bibliothèque d’Abbeville signale le même ex-libris sur son exemplaire du Sacre et coronnement du Roy de France […], Reims : Jean de Foigny, 1575.
Ex-libris du baron Jérôme Pichon (1812-1896) (124 x 80 mm) par Adolphe Varin (1821-1897), dans Pineau, Dominique (1718-1786). Livre de pieds de table (recueil factice d’ornement), Paris, [ca 1756], bibliothèque de l’INHA, cote 4 Est 394. Cliché INHA
Ex-libris de l’artificier François-Eugène-Désiré Ruggieri, impression dorée sur papier bleu par Baticle (44 x 33 mm), dans Discours sur les arcs triomphaux dressés en la ville d’Aix, Aix, 1624, bibliothèque de l’INHA, cote 4 Res 1155. Cliché INHA
L’exemplaire du Plan-catalogue complet du Musée du Louvre de 1882 conservé à la Bibliothèque centrale des Musées nationaux s’ouvre sur un ex-libris révélateur de l’engagement de son propriétaire, l’historien et archéologue Edgar Mareuse (1848-1926), pour les monuments français et spécialement parisiens. Il s’agit d’une petite eau-forte (100 x 118 mm) d’Adolphe Lalauze (1838-1906). La reproduction ci-dessous est celle du tirage conservé au Département des estampes et de la photographie de la BnF (et mis en ligne sur Gallica).
Ex-libris d’Edgar Mareuse, eau-forte par Adolphe Lalauze (100 x 118 mm), Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationle de France
L’amusant ex-libris du marchand-éditeur de porcelaines, cristaux et meubles Henry Pannier, qui dirigea avec son frère Georges l’Escalier de Cristal de 1885 à 1923, prend la forme d’un rébus. Il est présent dans plusieurs catalogues de vente du XVIIIe siècle.
Ex-libris de Henry Pannier (17 x 25 mm), dans Catalogue des curiosités naturelles et de l’art, qui composent le cabinet de M. ***, Paris, 1777, bibliothèque de l’INHA, cote VP RES 1777/27. Cliché INHA
Bien d’autres exemples pourraient être montrés, de l’ex-libris du marchand d’art Vincent Van Gogh (1866-1911), cousin et homonyme du peintre, à celui de l’architecte et collectionneur Hippolyte Destailleur (1822-1893). Nous laissons ceux d’entre vous qui le souhaitent partir à leur recherche sur la bibliothèque numérique de l’INHA ou sur les sites signalés ci-dessous.
L’aspect très personnel, presque anecdotique, de l’ex-libris gravé, son caractère fonctionnel, ses dimensions nécessairement réduites, l’obligation d’utiliser du papier fin constituent sans doute pour les artistes s’y adonnant des contraintes voire des limites. La réalisation d’ex-libris n’a pour autant pas été la chasse gardée de quelques artistes spécialisés. Au XVIIIe siècle, ainsi que l’a écrit Auguste Poulet-Malassis dans Les Ex-libris français depuis leur origine jusqu’à nos jours (1875), « les meilleurs et les plus renommés artistes du temps se sont mis de la partie […]. Cochin, Gravelot, Pierre, Saint-Aubin, Choffard, Marillier, Moreau le jeune, Gaucher, de même qu’ils ont dessiné et gravé des encadrements, des invitations de bal, des adresses de commerçants […], etc., ont tracé sur le papier ou sur le cuivre des ex-libris d’une fantaisie et d’un agrément infinis. Boucher lui-même a condescendu à la marque de bibliothèque ». « Objet artistique », voire même, parfois, « vitrine esthétique » comme le dit Laura Karp Lugo de l’ex-libris d’artiste, l’ex-libris devient un objet de collection, ainsi qu’en témoigne ce catalogue de vente de 1914 – et en dépit de la contradiction qu’il y a à ranger dans un album une vignette normalement indissociable du livre où elle était, ou aurait dû être collée. Les quelques exemples ci-dessous, issus eux aussi des collections de la bibliothèque, montrent l’inventivité de l’art de l’ex-libris.
Ex-libris de l’historien de l’art Maurice Tourneux (1849-1917), eau-forte (80 x 36 mm) de François Courboin (1865-1926), dans Eugène Delacroix : Reliquae, bibliothèque de l’INHA, cote Ms 243. Cliché INHA
Ex-libris de l’auteur dramatique Victorien Sardou (1831-1908) (85 x 50 mm) par Luc-Olivier Merson (1846-1920), dans Parentalia Divo Ferdinando Caesari Augusto patri patriae […] persoluta Viennae […], Augsburg, 1566, bibliothèque de l’INHA, cote 4 Res 1186. Cliché INHA
Ex-libris de l’écrivain Félicien Champsaur (1859-1934), eau-forte sanguine (158 x 120 mm au coup de planche) d’Albert Besnard (1849-1934), bibliothèque de l’INHA, cote EM BESNARD 65. Cliché INHA. Il s’agit du premier état d’une planche dont le deuxième état a servi de frontispice à l’ouvrage de Félicien Champsaur Les Noces du rêve
En savoir plus
Site de l’AFCEL, association française pour la connaissance de l’ex-libris (donne accès à une base de données répertoriant les ex-libris français)
Portail de l’International Federation of Ex-libris Societies
Quelques collections en ligne :
Pratt Institute (New-York)
Musée de Frederikshavn (Danemark)
Quelques articles et ouvrages :
Bouchot (Henri). Les ex-libris et les marques de possession du livre. Paris : Edouard Rouveyre, 1891 (consulté le 15 avril 2015)
Hamilton (Walter). French book-plates : a handbook to the study and history of French ex-libris […]. Amsterdam : G. Th. Van Heusden, 1975
Hopkinson (Martin) ; trad. de l’anglais par Franceschini (Paul-Jean). Ex libris : l’art des ex-libris. Paris : éd. Bibliomane, 2013
Karp Lugo (Laura), « L’ex-libris d’artiste : un nouvel espace pour l’autoreprésentation » in Image de l’artiste, sous la direction d’Éric Darragon et Bertrand Tillier, Territoires contemporains, nouvelle série – 4 – mis en ligne le 3 avril 2012 (consulté le 15 avril 2015)
Meyer-Noirel (Germaine). L’ex-libris : histoire, art, techniques. Picard, 1989
Meyer-Noirel (Germaine). Répertoire général des ex-libris français des origines à l’époque moderne : 1496-1920. Tomblaine : G. Meyer-Noirel, 1983
Poulet-Malassis (A.), Les ex-libris français depuis leur origine jusqu’à nos jours. Paris : P. Rouquette, 1875 (consulté le 15 avril 2015)
Bien d’autres références, sur les marques de provenance en général et les ex-libris en particulier, sont consultables sur le site Bibliopat
Service de l’informatique documentaire