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L’album Bernard Franck
Acheté à la vente Millon et associés du 24 juin 2014 grâce au legs Brière, cet album vient compléter des collections déjà riches dans le domaine de la photographie d’intérieurs et de collections dans la deuxième moitié du XIXe siècle – photographies de châteaux et des expositions rétrospectives dans le fonds de la galerie Brunner, ateliers d’artistes, notamment par Edmond Bénard.
La collection Bernard Franck (1848-1924) est bien connue des amateurs de militaria et de souvenirs de l’époque napoléonienne. Elle fait office de référence dans ce domaine, d’autant que chacun de ses objets porte systématiquement une étiquette à son nom qui le rend aisément identifiable. Tout dernièrement encore, dans la vente de la collection de militaria de Louis II de Monaco, marquée par l’adjudication record d’un bicorne de l’Empereur au magnat du poulet sud-coréen, figurait une arme singulière provenant de la collection Franck : un couteau de cuisine avec lequel l’étudiant Friedrich Stabs, fils de pasteur luthérien, tenta d’assassiner Napoléon Ier en 1809.
Portrait de Bernard Franck dans son appartement, 21 rue du Château d’Eau, 1898, photographie. Bibliothèque de l’INHA, Fol Phot 069. Cliché INHA
Imposant, de reliure austère et robuste, cet album a été donné par Franck lui-même à son fils aîné. Sous le titre imprimé « Souvenir de 18 bonnes années passées 21, rue du Château d’Eau, Paris, 1er octobre 1898 », figure en effet une dédicace manuscrite : « A Maurice Henri, notre fils aîné, Bernard Franck, Laure Franck ». De fait, il faisait aussi office d’album de famille : outre un certain nombre de portraits de Bernard Franck lui-même, il comporte en tête les portraits des ascendants du jeune homme puis les portraits de son père, de sa mère et de ses quatre frères et sœurs.
Une pièce de l’appartement de Bernard Franck, 21 rue du Château d’Eau, 1898, photographie. Bibliothèque de l’INHA, Fol Phot 069, f. 37.
Il représente la collection dans son état de 1898. Celle-ci occupait alors l’appartement familial, somme toute modeste, du 21, rue du Château d’Eau dans le Xe arrondissement de Paris. Bernard Franck était né à Paris d’une famille juive installée dans cet arrondissement. Grand patriote, il s’était illustré pendant la guerre de 1870 comme volontaire du premier régiment de zouaves. Il avait ensuite repris la fabrique familiale d’équipement militaire ; il avait été le concepteur du brancard à compas modèle 1892, brancard français de la Grande guerre.
Petit-fils et petit-neveu de soldats d’Empire, Franck s’était tout naturellement mis à collectionner les souvenirs de l’épopée napoléonienne. Dans son appartement exigu de la rue du Château d’Eau, armes et tableaux tapissent les murs du sol au plafond. Des armées de portraits miniatures se pressent en rangs serrés. Des vitrines accueillent des bibelots impeccablement ordonnés : éventails, carnets de bal, montres et menus objets. Dans une pièce annexe, de grands portefeuilles numérotés attendent d’être consultés. Si l’Empire tient de loin la première place, la Révolution est également bien représentée, et le portrait à cheval de l’Empereur par Horace Vernet répond à celui de Louis XIV par Van der Meulen. Cà et là, des incursions dans les siècles antérieurs et dans les arts décoratifs exotiques : ici un meuble asiatique, là de riches tentures couvertes d’inscriptions arabes.
Les photographies qui composent cet album sont toutes anonymes ; elles viennent de sources diverses. Les épreuves de l’appartement ont été par endroits retouchées à la gouache blanche et noire pour corriger les défauts d’éclairage.
Une pièce de l’appartement de Bernard Franck, 21 rue du Château d’Eau, 1898, photographie. Bibliothèque de l’INHA, Fol Phot 069, f. 15. Cliché INHA.
Dans les années qui suivirent, Bernard Frank présenta sa collection dans de multiples expositions, en commençant par l’exposition universelle de 1900. Il quitta le Xe arrondissement pour un appartement cossu et spacieux du 22 avenue du Bois de Boulogne (l’actuelle avenue Foch), et se trouva donc pour les dernières années de sa vie voisin de Jacques Doucet, lui-même installé au 46 de la même rue de 1912 à 1928. D’ailleurs, Franck offrit à ce dernier un des vingt exemplaires du catalogue de sa collection de carnets de bals (publié en 1902) en 1912, pour enrichir la toute jeune bibliothèque du grand couturier. Cette partie exceptionnelle de sa collection fut acquise par Pierpont Morgan qui en fit don au Metropolitan Museum of Art le 17 décembre 1917.
Collection de 124 carnets de bal du XVIIIe siècle, [1902], dédicace manuscrite à Jacques Doucet par Bernard Franck. Bibliothèque de l’INHA, 4 F 465. Cliché INHA.
Bernard Franck fut lourdement éprouvé par la première guerre mondiale. Ses deux fils cadets furent tués sur le front ; son aîné Maurice-Henri, dédicataire de l’album, mourut en 1918, d’une maladie contractée en service. Seul survécut André (1878-1959), qui fit fructifier l’entreprise paternelle. Ses descendants ont conservé quelques souvenirs de leur aïeul.
Ce n’est qu’en 1922, en considération de ses actes de bravoure pendant la guerre de 1870, de son activité de fournisseur de l’armée et de collectionneur reconnu de militaria, que Franck fut fait chevalier de la Légion d’honneur (AN, dossier LH/1025/32, sur la base Léonore).
Une pièce de l’appartement de Bernard Franck, 21 rue du Château d’Eau, 1898, photographie. Bibliothèque de l’INHA, Fol Phot 069, f. 6. Cliché INHA.
Une partie de la collection, restée dans la famille, fut spoliée pendant la Seconde Guerre mondiale, mais partiellement retrouvée ensuite. Le reste fut dispersé en une quinzaine de ventes publiques après la mort de Bernard Franck. Les ventes effectuées sous son nom s’étalèrent de 1935 à 1955. Sa collection de figurines, représentant l’évolution du costume militaire de l’Antiquité au Premier Empire à l’échelle 1/6e environ, fut donnée au musée de l’Armée en 1935.
Jérôme Delatour, service du patrimoine