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L’affiche : un art à Cent pour Cent
De nouvelles images viennent de rejoindre le corpus d’affiches du Salon des Cent consultable sur la bibliothèque numérique.
Ce salon a été créé par Léon Deschamps (1863-1899), romancier et poète, fondateur de la revue littéraire et artistique La Plume dont le premier numéro paraît le 15 avril 1889. Deschamps veut offrir une tribune libre aux artistes et ainsi refléter le dynamisme de la littérature et des mouvances artistiques. À raison de deux numéros par mois, La Plume devient un organe de diffusion et de promotion des avant-gardes des années 1890. Son jeune directeur tient à se démarquer des autres publications, nombreuses à l’époque, qui soutiennent un mouvement ou un groupe. Soucieux de préserver le caractère indépendant de son périodique, il décide de sélectionner les œuvres qui figureront dans ses colonnes uniquement selon le critère du talent sans prendre en compte ni la notoriété de l’individu ni son appartenance à une école ou un courant particulier. « L’art n’a rien à voir avec les étiquettes et les écoles, l’art c’est la vie vue en rêve » écrira son collaborateur Adolphe Retté (1863-1930).
« Pour l’art » telle est la devise adoptée par La Plume ; et pour renforcer encore son action en faveur des artistes, Deschamps développe, en liaison avec sa revue, d’autres activités. Il lance ainsi une maison d’édition, nommée La Bibliothèque artistique et littéraire, qui reverse intégralement les souscriptions perçues aux artistes. Il publie des numéros spéciaux dont il cède la direction éditoriale à des spécialistes de la thématique abordée. Il organise des concours de dessin comme celui de projet de couverture d’une revue biblio-iconographique dont la bibliothèque de l’INHA conserve les envois de plusieurs participants. Il met en place des soirées associant lectures et accrochages au Café de Fleurus puis au Café du Soleil d’or. Il instaure les Banquets de La Plume, dîners présidés par une personnalité influente du monde des arts et des lettres comme Mallarmé (1842-1898), Puvis de Chavanne (1824-1898), Rodin (1840-1917) ou Verlaine (1844-1896). Il lance des pétitions de soutien aux artistes en difficulté ou encore propose des ventes directes d’ouvrages, dessins et estampes dans les bureaux mêmes de sa revue, 31 rue Bonaparte… Autant d’initiatives qu’il énumère dans la postface à l’année 1892 de La Plume.
Léon-G. Lebègue, [Salon des Cent. 13ème exposition], 1895, Lithographie, Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Salon des Cent (13b). Cliché INHA
L’une des manifestations les plus marquantes de sa démarche sera la création du Salon des Cent, nommé ainsi en raison d’une limite annoncée (mais en fait rarement atteinte) de cent exposants. Fidèle à son ouverture d’esprit et son éclectisme, Deschamps n’impose ni thème ni support et les expositions renouvelées tous les deux mois se déroulent sans jury ni médaille sur le modèle du Salon des Indépendants. La première édition ouvre ses portes en février 1894 dans le hall de la revue. Comme l’annonce Léon Maillard « les noms de tous nos exposants ne vous sont probablement pas familiers » car le salon, dans la lignée des engagements de La Plume, assure la promotion d’artistes méconnus mais prometteurs qui, pour la plupart d’entre eux, gravitent déjà dans le cercle de la rédaction du périodique.
Cinquante-sept expositions collectives ou monographiques sont organisées entre 1894 et 1900, quarante-trois éditions du salon et quatorze manifestations de moindre envergure. La majorité de ces événements a été annoncée par des affiches illustrées inédites car Deschamps envisage l’affiche, au-delà de sa dimension publicitaire initiale, comme un art à part entière. Il y a d’ailleurs consacré un numéro spécial de La Plume en novembre 1893.
La première création est confiée à Henri-Gabriel Ibels (1867-1936), qui puise son inspiration dans ses études de forains et personnages de la Commedia dell’Arte. Deux cents exemplaires supplémentaires en sont tirés pour être vendus car Deschamps, convaincu de l’intérêt artistique de ces affiches, souhaite offrir la possibilité de constituer un album et propose de les obtenir par souscription ou sur catalogue. Celle que réalisera Mucha en 1896, qualifiée de « merveille » et de « chef d’œuvre de l’affiche décorative illustrée » par Deschamps, sera même acquise par près de sept mille personnes. Berthon (1872-1909), Detouche (1854-1913), Gottlob (1873-1935), Grasset (1845-1917), Herbinier (1869-1937), Mucha (1860-1939), Rhead (1857-1926), Toulouse-Lautrec (1864-1901), Willette (1857-1926)… le directeur fit appel à des maîtres du genre ou à des affichistes occasionnels, conforme à sa ligne de conduite : révéler les nouveaux talents et mieux faire apprécier les aînés.
Deschamps ne s’y est pas trompé, l’affiche est devenue objet de collection et les amateurs se font de plus en plus nombreux, séduits par cette forme d’expression graphique alliant l’art, l’industrie et le commerce et symbolisant la modernité du siècle. Même Jacques Doucet (1853-1929), dont la collection comporte très peu d’affiches, n’hésita pas à acheter la quasi-totalité (parfois plusieurs états) de celles du Salon des Cent, et son œil affûté l’orienta comme à son habitude vers des épreuves d’une qualité exceptionnelle, éditions de luxe, sur papier Japon, avant la lettre, numérotées ou signées.
Richard Ranft, [Salon des Cent. 6ème exposition : épreuve avant la lettre signée, épreuve en bistre, état définitif], 1894, Lithographie, Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Salon des Cent (6a, b et c). Cliché INHA
Malgré l’« affichomanie » ambiante, selon le terme consacré par l’écrivain Octave Uzanne (1851-1931) dans les années 1880, toutes les affiches du Salon des Cent ne connurent pas un égal succès. Celle de Firmin Bouisset (1859-1925), notamment, fut jugée de façon assez radicale par Ernest de Crauzat (1866-1944), dans sa chronique parue dans L’Estampe et l’Affiche du 15 mai 1899 : « Pourquoi F. Bouisset, auteur de si charmantes compositions enfantines, abandonne-t-il la gracieuse simplicité pour se lancer dans l’enchevêtré et le contourné ? L’influence néfaste de Mucha se fait sentir même chez les meilleurs, doués d’une véritable personnalité. Pourquoi entourer cette gracile fillette de fleurs aux lignes macaronesques du plus déplorable effet, surtout pour une affiche de petit format ? C’est inutile et nuisible à l’ensemble. Est-ce une estampe, est-ce une affiche ? Il est permis de le demander en voyant le dessin couvrant toute la surface du placard et la lettre appliquée après coup, laissant paraître le trait sous la couleur brune du texte. Que l’on fasse l’une ou l’autre mais surtout que l’on évite ces compositions hybrides, qui finissent par être ni chair ni poisson ».
Quoi qu’il en soit, le rôle que jouèrent La Plume et le Salon des Cent dans la reconnaissance de l’affiche comme forme d’art fut prépondérant et certains artistes créèrent grâce à Deschamps quelques-unes de leurs plus belles réalisations dans le domaine.
Références bibliographiques
- Léon Deschamps (dir.), La Plume : revue littéraire et artistique bi-mensuelle, Paris, 1889-1914. Disponible en ligne (en partie)
- Jocelyne van Deputte, Le Salon des cent : 1894–1900 : affiches d’artistes, Paris-Musées, 1994
- Jean-Michel Nectoux, Grégoire Tonnet et Nicholas-Henry Zmelty, La Plume 1889-1899, une revue pour l’art : catalogue d’exposition, Paris, Institut national d’histoire de l’art, galerie Colbert, 15 février-14 avril 2007, Paris, INHA, 2007.
Élodie Desserle, service de l’informatique documentaire