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La vieillesse dans l’art moderne
La vieillesse dans l’art moderne
Shira Gottlieb est une chercheuse israélienne accueillie à l’INHA depuis le mois de décembre 2020. Doctorante en histoire de l’art à l’Université Ben-Gourion du Néguev, elle travaille sur la représentation de la vieillesse au XIXe siècle dans l’art français. Sous les Coupoles lui ouvre ses colonnes pour présenter ses travaux et son usage de la bibliothèque de l’INHA.
La représentation de la vieillesse au XIXe siècle : un sujet de thèse
Lorsque j’étais à la recherche d’un sujet de thèse, mon superviseur m’avait dit que si je voulais travailler sur l’art français du XIXe siècle, il me fallait trouver un sujet original, puisque cette période de l’histoire de l’art avait déjà été étudiée sous tous les angles possibles.
Cela s’avéra un véritable défi, mais il m’apparut que parmi les écrits concernant la modernité, l’expérience urbaine, la culture du consumérisme, les représentations des classes, la collection d’art, la mode, les enfants, les hommes et les femmes, la représentation de la vieillesse dans la peinture française du XIXe siècle avait été complètement éludée. Ce qui me parut assez peu surprenant, au regard de la préoccupation de notre société, mais aussi de celle du XIXe siècle, par la jeunesse. Plus je creusai ce sujet, plus je réalisai l’étendue des explorations à mener. C’est ainsi que j’ai centré mon sujet de thèse de doctorat sur les représentations de la vieillesse et du vieillissement dans l’art français, avec un accent mis sur la seconde moitié du XIXe siècle.
Outre le fait que ce sujet a peu été étudié, une motivation démographique guide cette recherche. Au cours du XIXe siècle, le nombre de Français, hommes et femmes confondus, d’un âge supérieur à 65 ans s’est significativement accru (de 5 % environ), pour atteindre environ 3,5 millions de personnes. Un taux de natalité négatif et le pourcentage élevé de la mortalité infantile (un enfant sur cinq ne dépassait pas l’âge de 14 ans) étaient les principales raisons de cette évolution, qui a naturellement affecté le ratio entre les différents groupes d’âges. Un accroissement de dix ans d’espérance de vie au cours de ce siècle a aussi influencé cette tendance. La France est devenue le « plus vieux » pays d’Europe. Mais avant d’étudier comment ce phénomène est représenté dans l’art moderne (ou même s’il l’est en général), il m’a tout d’abord fallu cerner la signification de « la vieillesse » à cette époque. Qui était considéré « vieux », et à quel âge ce « vieillissement » débutait ?
Une réalité démographique transcrite dans les représentations graphiques
Les chercheurs estiment généralement que le vieillissement débute pour les femmes autour de 40 à 50 ans, lorsqu’elles ne peuvent plus porter d’enfant, et dix ans plus tard, vers 50 à 60 ans, pour les hommes. Au XIXe siècle, les images des Degrés des âges de l’homme, qui représentent les étapes de la vie des femmes et des hommes, révèlent des notions similaires. En outre, elles montrent que le vieillissement était perçu de manière négative, comme une déliquescence constante jusqu’à la mort.
Imprimerie Pellerin (imprimeur), Les degrés des âges de l’homme, papier (lithographie, pochoir), vers 1870, Marque du domaine public. Source : musée de Bretagne.
La construction de la vieillesse a aussi été influencée par des facteurs de classes. En l’absence de systèmes de santé et de retraite globaux, la vieillesse affectait principalement les classes les plus défavorisées économiquement et physiologiquement. Un paysan ayant travaillé toute sa vie dans des conditions physiques extrêmement rudes, tout en ne bénéficiant ni d’un régime adéquat et équilibré, ni d’un accès aux services médicaux, était confronté à la vieillesse différemment d’un bourgeois ayant disposé d’un régime riche et nourrissant, ainsi que des traitements nécessaires tout au long de sa vie. Il apparaît donc que les constructions sociales de genres et de classes ont eu un impact significatif sur le concept du vieillissement, deux critères fondamentaux dans ma recherche.
Ce sujet restant peu étudié par la recherche universitaire, il n’existe qu’un nombre restreint d’études sur lesquelles je pouvais me baser, et c’est là que l’INHA est venu à mon secours ! Au cours de mon séjour d’études à l’invitation du département des Études et de la recherche de l’INHA, rendu possible grâce à une bourse Chateaubriand, j’ai pu consulter de nombreux types de documents, ce qui est assez traditionnel, mais j’ai aussi découvert des ressources extrêmement précieuses pour mon projet de recherche. Un exemple en sont les catalogues raisonnés que l’on peut consulter à la bibliothèque. La représentation de la vieillesse n’étant jamais la thématique principale de l’œuvre d’artistes de l’époque moderne, avoir accès à la large collection de catalogues de la bibliothèque m’a aidée à découvrir des œuvres oubliées qui ont enrichi le corpus de mon projet.
Les grands-parents : une typologie visuelle à part entière
L’un des sujets que j’étudie dans ma recherche est celui dans grands-parents. Il s’agit certainement de la seule représentation réservée uniquement aux personnes âgées. À la différence d’aujourd’hui, où les grands-parents participent souvent activement à l’éducation des enfants, leur assistance n’étaient pas nécessairement la bienvenue au XIXe siècle. Au cours de ma recherche, j’ai établi une typologie visuelle des grands-parents. Mais tandis que l’on trouve de nombreux portraits de famille de parents, et plus particulièrement de mères, avec leurs enfants, les grands-parents n’étaient pas très communs et j’ai eu la surprise de découvrir quelques images de grands-pères dans les œuvres de Jean-François Raffaëlli (1850-1924).
Jean-François Raffaëlli, Le grand-père, estampe, 1895. Source : gallica.bnf.fr / BnF
Raffaëlli fut un artiste très productif, dont les œuvres circulent partout dans le monde. Il réalisa de nombreux portraits de personnes âgées, d’une manière franche et réaliste, mais ne glorifia jamais ses sujets. Tandis que de nombreux artistes représentaient des personnes âgées issues de la bourgeoisie, Raffaëlli s’est tourné vers la petite bourgeoisie et la classe ouvrière, offrant un aperçu de la vieillesse des classes défavorisées. Il subsiste toutefois une grande difficulté pour retrouver ses œuvres, réalisées en différents mediums comme la peinture à l’huile, la lithographie ou la gravure. En outre, les titres des œuvres ont été modifiés au cours des années au gré des propriétaires, ce qui rend difficile de trouver des informations contemporaines ayant trait à celles-ci. L’une des ressources qui m’a aidée à retracer des œuvres significatives est les catalogues raisonnés illustrés publiés au cours de la vie de l’artiste. J’ai découvert qu’il avait réalisé plusieurs œuvres représentant des grands-parents de la classe ouvrière accompagnés de leurs petits-enfants, ce qui m’a permis de rechercher et comparer des images de grands-parents de différentes classes sociales.
Il est également intéressant de comparer les représentations des grands-pères par Raffaëlli avec les images populaires des grands-mères. Tandis que les grands-pères sont semble-t-il toujours à l’extérieur, les grands-mères traditionnelles paraissent rester à l’intérieur et s’occuper d’activités domestiques.
Hyacinthe Royet, illustration pour La bobine à grand-mère : petite pièce caractéristique pour le piano (Paris : L. Gregh, 1898). Source: gallica.bnf.fr / BnF.
Enfin, il me faut souligner que l’une des « ressources » que je trouve le plus appréciable à l’INHA est la présence des autres chercheurs. J’ai eu la chance de rencontrer des historiens d’art venus de différents horizons et de divers champs d’études, ce qui représente pour moi une richesse incomparable. Parfois, c’est un bref échange d’idées qui aide à trouver de nouvelles directions pour chercher.
Je voudrais remercier Marie Garambois pour son aide pour la traduction de ce billet.
Shira Gottlieb, Université Ben-Gourion du Néguev (Israël)
Marie Garambois, service des Services aux publics (traduction)
Références bibliographiques
- Georges Lecomte, Raffaëlli , Paris, Rieder, 1927.
- Jean-Marc Olivesi, Raffaëlli : Peinture et scénographie, Ajaccio, Musée Fesch, 2002.
- Vittorio Pica, Jean-François Raffaëlli, Bergame, Emporium, 1902.