En 2016, une pause dans le chantier a été décidée, afin d’organiser au mieux le déménagement des collections. C’est l’occasion de se pencher sur cette entreprise qui a mobilisé pendant plus de 10 ans presque 40 moniteurs étudiants à la bibliothèque, employés pour gérer les « trains » de reliure.

Mais, au fait, qu’est-ce au juste qu’une reliure ? Et pourquoi et comment relie-t-on les livres de la bibliothèque ?

Pourquoi relier les livres récents ?

Aujourd’hui, la plupart des livres courants vendus dans le commerce sont brochés. Pourvus d’une couverture souple thermocollée, ils forment un « corps d’ouvrage », c’est-à-dire un ensemble de feuilles fixées ensemble.

Deux cas existent : les livres les moins précieux, par exemple les ouvrages de format poche, sont faits de simples feuillets « coupés collés » : seule la colle au niveau du dos du livre permet aux feuillets de tenir ensemble. Ce sont ces livres qui courent le plus de risques de se dégrader dans un délai bref en cas de manipulations répétées.

Le deuxième cas est celui des ouvrages constitués de « cahiers » : souvent, un cahier correspond à huit feuillets du livre, c’est-à-dire quatre feuilles pliées en deux et assemblées ensemble. Les cahiers sont collés entre eux et au dos du livre. Ce type de montage garantit une meilleure solidité.


Livres brochés en « cahiers », bibliothèque de l’INHA, février 2016. Cliché INHA

Cependant, quel que soit le type de montage du livre broché, les manipulations répétées, les photocopies et toutes les tortures que les lecteurs font subir à leurs ouvrages préférés, conduisent irrémédiablement à sa dégradation : les bords de la couverture tendent à s’émousser, une, puis deux pages se détachent, le dos, plissé, devient peu lisible, se déchire, commence à se décoller… C’est le début de la fin, pour le livre, mais aussi pour tous les lecteurs qui ne pourront, à terme, plus le consulter !

Or, la bibliothèque de l’INHA est une bibliothèque de recherche et aussi une bibliothèque de conservation : toutes les publications que l’on y acquiert sont des références scientifiques et sont difficilement remplaçables ; il est donc fondamental de prévenir ces dégradations. C’est d’autant plus vrai dans un contexte de libre accès, où l’on espère que les livres seront plus souvent consultés. L’objectif de la reliure est de faire en sorte que les livres conservent leur intégrité plus longtemps, pour un public plus nombreux.

N’oublions pas non plus les revues et journaux. La reliure systématique des volumes de revues garantit leur bonne conservation : en effet, le risque est important que des fascicules isolés, souples et fragiles, parfois fixés par une simple paire d’agrafes, se perdent ou s’abîment s’ils ne sont pas traités rapidement.

D’autres livres, par exemple les grands catalogues d’exposition, ou bien des ouvrages de recherche anglo-saxons, sont vendus déjà reliés par les éditeurs. Certains d’entre eux sont couverts d’une jaquette en papier. Dans ce cas, on se contente de faire poser une « liseuse » en plastique transparent, qui protège l’ensemble et limite les risques de perte ou de déchirure de la jaquette.

En quoi la reliure consiste-t-elle, au juste ?

Nous ne parlons pas ici des reliures des livres anciens de la bibliothèque, mais de la reliure « courante », dite « reliure mécanisée », qui s’applique aux livres publiés depuis les années 1950 environ. Ce type de reliure a été développé en France par la Bibliothèque nationale de France, référence incontournable en matière de conservation, dont nous suivons les préconisations. À l’INHA, les reliures des livres ne sont pas faites au sein de la bibliothèque, mais par des entreprises extérieures spécialisées. Le titulaire du dernier marché de reliure mécanisée passé par l’INHA, jusque fin 2015, était l’entreprise Rénov’livres, installée à Ludres, près de Nancy.

La reliure s’effectue en plusieurs étapes. D’abord, il faut fixer solidement les pages du livre entre elles. Après le retrait de la couverture (« débrochage »), plusieurs techniques peuvent être employées : pour les livres en cahiers, ces derniers sont cousus entre eux et reliés par des rubans qui traversent le dos. Pour les livres faits de feuillets « coupés-collés », on peut reconstituer artificiellement des cahiers par « surjetage » : des feuillets sont cousus ensemble par un surjet le long du bord des pages. Ces cahiers artificiels sont ensuite cousus et pourvus de rubans. Mais la plupart des livres en feuillets sont simplement encollés, selon la technique du « double berçage ». On emploie alors une colle présentant de très bonnes garanties de vieillissement. L’ensemble est consolidé par la pose d’une mousseline au niveau du dos du volume.


Préparation du corps d’ouvrage d’un livre en cahier, par couture sur rubans, 2016. Cliché Rénov’livres

Puis une couverture en carton rigide est réalisée. Selon les cas, cette couverture sera recouverte d’une toile unie (reliure dite « muette »), la couverture et la quatrième de couverture d’origine étant montées sur onglets au début et à la fin du livre, ou bien on reportera sur la reliure la couverture d’origine (reliure dite « parlante »). La toile colorée employée pour la couvrure, dite toile « buckram », est enduite et traitée pour résister aux attaques extérieures (lumière, humidité, micro-organismes).


Préparation de la couvrure d’un livre dans l’atelier Rénov’livres, juillet 2013. Cliché INHA

L’objectif de la reliure est de conserver l’intégrité du livre en respectant son format, son contenu et le coloris d’origine. Il faut donc choisir le type de reliure, de toile et de coloris en prenant en compte ces critères. Sauf pour les revues, le choix des couleurs est libre : on veille avant tout à ce que la nouvelle reliure conserve l’identité visuelle d’origine. S’il est intéressant de découvrir les choix des éditeurs, souvent imaginatifs lorsqu’il s’agit de livres d’histoire de l’art, ils s’avèrent parfois bien difficiles à intégrer dans la taxinomie suivie à la bibliothèque de l’INHA… Mais on ne s’interdit pas pour autant les couleurs vives qui égaient les magasins de la bibliothèque !


Exemples de reliures « muettes », bibliothèque de l’INHA, février 2016. Cliché INHA


Exemples de reliures « parlantes », bibliothèque de l’INHA, février 2016. Cliché INHA

Enfin, une bande antivol magnétique est systématiquement glissée à l’intérieur du livre, et l’ensemble est collé : les bords de la mousseline et/ou les rubans qui maintiennent les cahiers sont collés au revers de la couverture en carton, puis recouverts par la première page de garde. Ainsi, le livre relié est solide et solidaire, tout en permettant une large ouverture et une manipulation facile.

Le chantier de la reliure à la bibliothèque de l’INHA

Depuis 2004, la bibliothèque a bénéficié de crédits spécifiques pour préparer le futur libre accès, élément majeur du projet de la nouvelle bibliothèque. Au total, plus de 110 000 documents ont été traités, sur les 265 000 qui rempliront à terme les rayonnages du magasin central et de la salle Labrouste !

Pendant plus de dix ans, toutes les deux semaines environ, plusieurs centaines de livres, pesant parfois au total plus d’une tonne, ont traversé les bâtiments du quadrilatère Richelieu. Certains se souviennent peut-être des encombrants chariots qui assourdissaient les passants en traversant la cour Vivienne entre 2010 et 2013…


Préparation des cartons de livres reliés destinés à la bibliothèque de l’INHA dans l’atelier de Rénov’livres, juillet 2013. Cliché INHA

Confié au service du patrimoine de la bibliothèque, ce travail considérable n’aurait pu se faire sans les équipes de moniteurs étudiants, qui se sont succédé de 2004 à 2015. Les moniteurs étaient chargés de préparer et de gérer les « trains » de reliure. Selon un calendrier fixé à l’avance, ils établissaient les listes des livres à relier et choisissaient pour chaque document le traitement le plus adapté, ainsi que, le cas échéant, le titrage à faire inscrire au dos du livre.

C’est véritablement à partir de 2006 que la reliure des ouvrages s’est organisée à partir de deux circuits distincts :

  • celui des acquisitions courantes dans lequel les livres destinés au futur libre accès passaient par l’étape de la reliure avant d’être disponibles pour le public ;
  • celui du « chantier sélection », à partir de listes de sélection pour le futur libre accès élaborées par les équipes de la bibliothèque parmi l’ensemble des collections.

Par ailleurs, on a relié aussi des livres en mauvais état repérés lors de leur communication au public.

Les moniteurs étaient également chargés de changer les statuts des livres dans le système informatique de la bibliothèque : la saisie du statut « en reliure » bloquait les demandes de communication.

Enfin, au retour des livres, l’équipe vérifiait que tous les livres étaient bien présents et qu’ils avaient reçu le traitement demandé : le statut informatique était alors changé en « disponible », et le livre retournait en magasin, parfois après une ultime étape au « rondage » (pose de l’étiquette indiquant la cote).

Ce chantier connaît une pause en 2016. C’est pour nous l’occasion de remercier tous ceux, notamment les relieurs et les moniteurs étudiants, qui y ont contribué depuis plus de 10 ans… et aussi de vous demander, lecteurs, de prendre soin de ces ouvrages qui ont été choisis pour vous, pour le futur libre accès de la bibliothèque !

Lucie Fléjou et Marion Guillen, service du patrimoine