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Jean-Nicolas Sobre, Projet de colonne nationale sur la place des Victoires, [1801]
Tous les jours 20 ans !
Pour les 20 ans de la création de l’INHA, les agents et agentes de l’institut ont sélectionné des documents entrés dans les collections de la bibliothèque ces vingt dernières années et vers lesquels leur cœur les portait. Patrimoniaux ou plus courants, ces documents seront exposés au centre de la salle Labrouste tout au long du mois de janvier 2022, à raison d’un par jour, accompagné d’un texte écrit par la personne qui l’a choisi. Ces présentations reflètent les rapports personnels que nous entretenons toutes et tous à l’art, à son histoire et ses sources, au-delà de la dimension scientifique. Vous retrouverez également ces textes au fil des jours sur le blog de la bibliothèque.
Jean-Nicolas Sobre (1759-1806)
Projet de colonne nationale sur la place des Victoires, [1801]
Crayon graphite et encre sur papier
41,8 × 22,6 cm
INHA, OA 780 (1)
Achat en vente publique, Ader (Paris), 26 mars 2015
On sait peu de choses de l’architecte Jean-Nicolas Sobre (1759-1806), dont les archives ont péri en 1915 dans l’incendie de la bibliothèque d’Arras causé par les bombes allemandes. Les deux réalisations les plus notables de cet élève de Ledoux, aujourd’hui disparues, sont à Paris le théâtre des Jeunes-Artistes, qui avait ouvert ses portes en 1790 sur le boulevard Saint-Martin, et un lotissement commercial nommé « la Cour Batave », commencé la même année dans le quartier Saint-Denis. Sobre a aussi laissé une précieuse œuvre de papier, grâce aux nombreux prix qu’il remporta, d’abord dans les concours scolaires organisés par l’Académie d’architecture, puis lors des concours publics de la période révolutionnaire et au-delà.
Place des Victoires, la statue de Louis XIV ayant été abattue dans la nuit du 10 août 1792, la Convention avait fait ériger à sa place un obélisque de toile et de bois sur lequel étaient inscrits les noms des victimes du 10 Août. En 1795, Sobre remporta le premier prix au concours ouvert pour remplacer ce monument provisoire, avec un projet d’obélisque porté par des éléphants, sur lequel les symboles révolutionnaires étaient gravés à la manière de hiéroglyphes. Comme la plupart des édifices conçus lors des concours révolutionnaires, ce projet représentatif de l’égyptomanie qui imprégnait alors l’édilité parisienne ne se fit pas.
En 1800 le Consulat, désireux de passer à l’acte, sollicita les artistes. Il s’agissait désormais de rendre hommage aux armées de la République, avec l’édification de colonnes départementales sur tout le territoire français et d’une colonne nationale, qui devait figurer toutes les autres, sur la place de la Concorde à Paris. En tandem avec le sculpteur Louis Auger, avec qui il avait déjà collaboré pour la cour Batave, Sobre fut choisi pour la colonne départementale de Paris, prévue place Vendôme, tandis qu’un jeune architecte, Jean-Charles Moreau, était choisi pour la colonne nationale.
Cette feuille acquise par l’INHA en 2015, légendée « projet de Colonne nationale sur la place des Victoires », est sans doute un contre-projet de Sobre pour la colonne nationale, réalisé début 1801. Car tandis que le projet de Moreau était très critiqué, notamment par ceux qui y voyaient une menace pour la grande perspective des Tuileries aux Champs-Élysées, sur la place des Victoires, le dernier projet en date, une copie de temple égyptien conçue par Dominique Vivant Denon en hommage aux généraux Desaix et Kléber, n’avait pas convaincu et les artistes avaient été invités à déposer de nouveaux projets.
Les figures féminines assises sur le socle, peut-être une personnification des batailles les plus mémorables de la jeune République, flanquées des trophées de guerre, tiennent au bout de leurs bras tendus des urnes renversées. Par ce geste théâtral et solennel, les cendres des héros sont ainsi versées à perpétuité aux points cardinaux de la capitale et du pays. Le piédestal, qui affiche le nom des chefs de guerre et des braves, complète cette solide assise funéraire et militaire. Au-dessus, le fût spiralé déroule un motif continu de couronnes dans lesquels sont peut-être inscrits les noms des batailles et des départements français, tandis qu’au sommet trône une figure de la République victorieuse, coiffée du bonnet phrygien. Moment d’équilibre donc, entre la symbolique funéraire prônée jusque-là pour ce type de monuments par David et la montée en puissance du modèle antique de la colonne Trajane, sous l’influence probable des architectes Percier et Fontaine. Complet, Sobre répond aux préoccupations des édiles en dessinant des fontaines au niveau du socle, une modification qui avait été proposée à son projet de colonne départementale.
Le dessin offre une vue contextualisée de la colonne, avec les deux bâtiments symétriques qui fermaient alors la place des Victoires à l’est, d’autant plus utile pour juger du projet que le site proposé par Sobre n’est pas celui officiellement retenu par les pouvoirs publics. Le contre-projet de Sobre semble ainsi répondre aux trois principales critiques qui avaient été adressées au projet de Moreau place de la Concorde. Déplacée place des Victoires, la colonne nationale ne risquait plus d’obstruer l’une des plus célèbres perspectives d’Europe. On avait aussi reproché à Moreau la nudité du fût de sa colonne et ce dernier avait lui-même proposé de rectifier son projet en y faisant graver un relief spiralé. Les quatre statues du socle, enfin, étaient peut-être une réponse au coût prohibitif de la centaine de figures en bronze qui devait représenter les départements français dans le projet de Moreau.
Mais Sobre ne construira finalement aucune colonne. En 1801, c’est une statue en hommage à Desaix qui sera choisie par Bonaparte pour la place des Victoires. Brièvement installée en 1810, elle sera remplacée sous la Restauration par une statue de Louis XIV qui est toujours là aujourd’hui. La colonne de la place Vendôme, une citation quasi textuelle de la colonne Trajane, sera finalement édifiée par les architectes Gondoin et Lepère en 1806 (Sobre meurt cette année-là). Le parti triomphal a pris le dessus sur le symbolisme funéraire et les allégories républicaines cèdent la place à la propagande impériale. Sur la place de La Concorde enfin, la Monarchie de Juillet élèvera en 1836 l’obélisque de Louxor, une greffe qui fait tardivement écho aux recherches de la période révolutionnaire.
Le projet de colonne nationale pour la place des Victoires constitue un témoignage précieux sur un architecte important quoique encore méconnu de la période révolutionnaire. Il complète l’histoire des projets pour la place des Victoires et illustre de manière spectaculaire cet épisode de fabrication de la capitale au cours duquel la jeune République, sollicitant de manière intensive les artistes, cherche à se doter de nouveaux symboles.
J’aime les dessins de projets urbains qui n’ont jamais vu le jour. Ils ouvrent l’imaginaire sur d’autres possibles de la ville. Chacun est comme un petit monde virtuel qui défie la curiosité et invite, pour le comprendre, à croiser de nombreuses sources visuelles et textuelles.
Julien Brault, service de la Conservation et des magasins