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Jean-Louis Boussingault, le « magicien du blanc et du noir »
En ce mois de mars qui célèbre la journée internationale des droits des femmes, la bibliothèque numérique vous propose de consulter deux recueils d’estampes d’un artiste, Jean-Louis Boussingault (1883-1943), qui compte nombre d’effigies féminines parmi ses œuvres, livrant la réalité non idéalisée de ses contemporaines. Portraits, nus et scènes du quotidien des mondaines comme des ouvrières, sont ses sujets de prédilection ; d’ailleurs le tout premier tableau qu’il choisit de montrer publiquement s’intitule Femme couchée.
Réinterprétation du thème de l’Olympia, il se compose d’un nu allongé devant lequel figure au premier plan un chapeau haut de forme, résumant assez bien les caractéristiques et préoccupations du jeune peintre : dandysme, raffinement, élégance, sensibilité à la grâce féminine. La toile, aujourd’hui disparue dans un incendie, fut exposée sur les cimaises du 25ème Salon des Indépendants en 1909.
Boussingault a débuté sa carrière quelques années auparavant, après des études à l’École des Arts Décoratifs de Paris et un apprentissage de lithographe. Il entre à l’Académie Julian en 1904 dans l’atelier de Jean-Paul Laurens (1838-1921) aux côtés d’André Dunoyer de Segonzac (1884-1974) qu’une année commune de service militaire à La Flèche en 1903 avait déjà liés d’une profonde amitié. Ensemble ils partagent un atelier rue Saint-André-des-Arts et font la rencontre de Luc-Albert Moreau (1882-1948). Le trio d’amis fréquente également l’Académie de la Palette où ils vont se rapprocher de « La Bande noire », surnom donné par la critique au groupe formé par Charles Cottet (1863-1925), Émile-René Ménard (1862-1930), André Dauchez (1870-1948), René-Xavier Prinet (1861-1946) et Lucien Simon (1861-1945). En opposition aux teintes claires et lumineuses des impressionnistes, ces cinq peintres optent pour des nuances sombres et mélancoliques afin de transcrire la rigueur et le réalisme de la vie quotidienne dans la veine de Gustave Courbet (1819-1877). Cette proximité avec « La Bande noire » valut à Segonzac, Moreau et Boussingault d’être appelés par Michel Charzat, théoricien de « La jeune peinture française », les « mousquetaires du néo-réalisme ».
Jean-Louis Boussingault, Visages, 1935, gravure à la manière noire, Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, FOL EST 273. Cliché INHA
Lors de son passage à l’Académie de la Palette, Boussingault fait une autre rencontre décisive, celle de Georges Desvallières (1861-1950). Son enseignant le présente à Jacques Rouché (1862-1957), un homme d’affaires dans l’industrie du parfum qui était également mécène et directeur de La Grande Revue, un journal juridique auquel il avait donné une forte orientation culturelle. Boussingault commence avec La Grande Revue une série de collaborations avec divers périodiques. Ses dessins paraissent notamment dans Le Témoin, hebdomadaire satirique de Paul Iribe (1883-1935), dans Schéhérazade, album mensuel d’œuvres inédites d’art et de littérature de François Bernouard (1884-1949) et Jean Cocteau (1889-1963) ou encore dans La Gazette du bon ton, célèbre revue de mode fondée en 1912 par Lucien Vogel (1886-1954).
Les illustrations qu’il réalise pour un article sur la mode et l’élégance rédigé par Paul Poiret (1879-1944) enthousiasment le couturier. Séduit par le style du jeune débutant, Poiret lui commande une grande décoration murale pour ses nouveaux salons de l’avenue d’Antin (actuelle avenue Franklin-D.-Roosevelt). Boussingault y travaille pendant trois années. Intitulée Pesage, la fresque, peuplée d’amazones et d’élégantes assises sur des balançoires dans un décor fantaisiste fait de verdure et d’escaliers, est exposée au Salon d’Automne de 1913.
Entre temps, le mécène propose également à Boussingault de faire l’inauguration de la galerie que vient d’ouvrir Henri Barbazanges dans une partie de l’hôtel particulier de Poiret. Le carton d’invitation mentionne « Quelques dessins de Jean-Louis Boussingault, André Dunoyer de Segonzac et Luc-Albert Moreau sont exposés chez Mr. Barbazanges, 109 faubourg Saint-Honoré du 2 au 12 mai MCMX ». L’exposition compte huit tableaux et quinze dessins de Boussingault. Les preuves de l’intérêt que porte Paul Poiret aux réalisations de Boussingault sont tangibles. Nulle surprise alors de retrouver sept œuvres de l’artiste lorsque la collection particulière du couturier fut exposée du 26 avril au 12 mai 1923 à la galerie Barbazanges, avant d’être dispersée à Drouot en novembre 1925.
Jean-Louis Boussingault, Visages, 1935, gravure à la manière noire, Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, FOL EST 273. Cliché INHA
L’après-guerre est pour Boussingault une période de trouble, d’anxiété et de remise en cause, le dandy insouciant se transforme en misanthrope. D’une exigence rare, souvent insatisfait, il détruit de nombreuses toiles et expose rarement (il participe à quelques salons et à des accrochages de la galerie Marseille). Parallèlement son œuvre de graveur se développe avec plus de certitude. Il illustre des livres de genres littéraires très variés tels que le Tableau des courses de Maurice de Noisay (1886-1942), le Tableau de la vénerie de Jean-Léopold Duplan (1861-1941), les Contes et nouvelles de Georges Courteline (1858-1929), D’après Paris de Léon-Paul Fargue (1876-1947), Amants, Heureux Amants de Valéry Larbaud (1881-1957), Le Spleen de Paris de Charles Baudelaire (1821-1867).
Lithographies en noir et en couleurs, eau-forte, pointe-sèche, lavis, plume, les techniques qu’il emploie sont variées. Il excelle dans la gravure à la « manière noire » dont la suite des Visages (exclusivement féminins) donne un bel exemple. Claude Roger-Marx (1888-1977) le qualifie même de « magicien du blanc et du noir » dans l’introduction au catalogue de l’exposition organisée au bénéfice de l’Entraide française au Musée de Lyon en 1945.
Boussingault disparaît en mars 1943. Resté dans l’ombre de Segonzac et Moreau, il laisse pourtant une œuvre importante de peintre, graveur, illustrateur mais aussi de grands décors comme cette Comédie Italienne de 1937 pour laquelle le Théâtre national de Chaillot a lancé une campagne de restauration.
En mars 1944, le musée des Art décoratifs de Paris organise une rétrospective monographique et, en 1946, justice est rendue à son talent par le critique Bernard Dorival (1914-2003) dans son ouvrage Les étapes de la peinture française contemporaine (Tome troisième : Depuis le cubisme) : « Une récente rétrospective du Musée des Arts Décoratifs a révélé au grand public les dimensions de Boussingault, enlevé en plein talent par une mort prématurée. Qui l’aurait cru, en fait, aussi grand ? ».
Références bibliographiques
- François Fosca, J.-L. Boussingault, L’Amour de l’art, 8ème année, 1927, p. 443-451
- Claude Roger-Marx, Peintres-graveurs contemporains : Jean Louis Boussingault, Gazette des beaux-arts, T. IX, 1933, p. 301-308. Disponible en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6101735c/f310.item (consulté le 02/03/2019)
- André Dunoyer de Segonzac, Luc-Albert Moreau, Valdo Barbey, André Villeboeuf, Boussingault par ses amis, Paris, Editions du Vieux Colombier, 1944
- Jacques de Laprade, Jean-Louis Boussingault : exposition, du 10 mars au 23 avril 1944, Paris, Musée des arts décoratifs, 1944
- Claude Roger-Marx, 4 rétrospectives Maillot, Vuillard, Boussingault, La Patellière : au bénéfice de l’entraide française : Musée de Lyon 9 juin – 1 juillet 1945, Lyon, Musée de Lyon, 1945
- Claude Roger-Marx, Maîtres du XIXe siècle et du XXe, Genève, P. Cailler, 1954, p. 260-264
- Michel Charzat, La Jeune peinture française : 1910-1940, une époque, un art de vivre, Paris, Hazan, 2010
Élodie Desserle, service de l’informatique documentaire