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Jacques Thuillier, « Éditorial », dans H.A.M.I. Histoire de l’art et moyens informatiques, 15 août 1989
Tous les jours 20 ans !
Pour les 20 ans de la création de l’INHA, les agents et agentes de l’institut ont sélectionné des documents entrés dans les collections de la bibliothèque ces vingt dernières années et vers lesquels leur cœur les portait. Patrimoniaux ou plus courants, ces documents seront exposés au centre de la salle Labrouste tout au long du mois de janvier 2022, à raison d’un par jour, accompagné d’un texte écrit par la personne qui l’a choisi. Ces présentations reflètent les rapports personnels que nous entretenons toutes et tous à l’art, à son histoire et ses sources, au-delà de la dimension scientifique. Vous retrouverez également ces textes au fil des jours sur le blog de la bibliothèque.
Jacques Thuillier (1928-2011)
« Éditorial », dans H.A.M.I. Histoire de l’art et moyens informatiques, no 34 (15 août 1989)
29,7 × 21 cm
INHA, Archives 51/148
Don de Jacques Thuillier, 2e versement, 28 août 2006
Jacques Thuillier, « Éditorial », dans H.A.M.I. Histoire de l'art et moyens informatiques, 34 (15 août 1989), INHA, Archives 51/148. Clichés INHA
On connaît Jacques Thuillier pour ses travaux en histoire de l’art sur la peinture française du XVIIe siècle faisant de lui un grand spécialiste de Nicolas Poussin, Charles Le Brun, Georges de La Tour ou des frères Le Nain.
Professeur d’histoire de l’art à l’université de Dijon (1962-1970), il succéda à André Chastel à la Sorbonne en 1970 avant d’être élu en 1977 au Collège de France sur la chaire d’Histoire de la création artistique en France, qu’il devait occuper jusqu’en 1998.
Dès 1973, il soumit à Georges Pompidou l’idée d’un Institut national d’histoire de l’art. Ce projet eut une gestation lente, émaillée des nombreux rapports Chastel, Melot, Encrevé, Benhamou, Fossier, Bélaval et Laclotte, jusqu’à l’association de préfiguration de l’INHA présidée par Alain Schnapp en 1999 et le décret de création de l’Institut du 12 juillet 2001.
L’intérêt développé par Jacques Thuillier pour l’informatique, qu’il n’a eu de cesse de mettre au service de la recherche en histoire de l’art, est plus méconnu. Pourtant, il a défendu dès les années 1970 la mise en œuvre de banques de données sur l’histoire des œuvres d’art, sur des catalogues de vente d’art ou sur des biographies d’artistes. Il a créé en 1985 l’association de recherche sur les techniques informatiques de l’art (ARTIA). Et, de 1983 à 1996, il a fondé et dirigé l’H.A.M.I. Histoire de l’art et moyens informatiques, une lettre d’information en 56 numéros adressée à un réseau d’historiens de l’art.
Dans l’éditorial du no 1 du 15 novembre 1983, Jacques Thuillier donnait le ton en déclarant : « L’informatique s’est développée en capacité et en flexibilité d’une manière prodigieuse, et désormais elle est en mesure de répondre aux exigences de l’historien de l’art. Bien plus : elle semble appelée à bouleverser – dans un avenir prévisible et qu’il faut dès maintenant préparer – les conditions de sa recherche, plus profondément peut-être que pour les autres disciplines, justement parce qu’elle résoudra des problèmes plus complexes et jusqu’ici insurmontables. Son aide pourrait bien se révéler aussi décisive pour l’histoire de l’art que l’invention de la photographie voici plus d’un siècle. »
Dans le no 34 du 15 août 1989, Jacques Thuillier déplorait la dissolution, le 19 avril 1989, de l’association de l’Institut national d’histoire de l’art créée par Antoine Schnapper dès 1986, qu’il classait parmi les « mauvaises nouvelles de l’année ». Cette disparition, qu’il attribuait aux blocages de l’administration, lui semblait compromettre définitivement la création tant attendue de cet Institut : « Les ministres changent, les rancunes des bureaux de ministères sont tenaces. » Ce qu’il déplorait le plus était qu’au programme de cet Institut « figurait l’établissement d’une série de banques de données. Plusieurs avaient déjà été étudiées, leur principe défini et leur système mis au point. » S’ensuivait alors une description de ces « banques de données », à initier ou poursuivre :
- une banque Laborde réalisée à partir du « Fichier Laborde », consacrée aux artistes parisiens du Moyen Âge à 1860,
- une banque consacrée aux Salons parisiens de la Révolution à la guerre de 1914,
- la banque CATART consacrée aux catalogues de ventes d’art de l’origine à nos jours,
- la banque de données biographiques d’artistes, initiée par le Comité international d’histoire de l’art avec l’appui financier du J. Paul Getty Trust.
Pour moi qui travaille au service numérique de la recherche sur AGORHA, la plateforme des données de la recherche de l’Institut national d’histoire de l’art, ce plongeon dans le fonds d’archives de Jacques Thuillier ouvre des perspectives. Tout d’abord, à l’heure où l’INHA fête ses 20 ans d’existence, les vicissitudes de sa création l’inscrivent dans un temps beaucoup plus long, rempli de péripéties et de rebondissements. On perçoit également, à la lecture de l’H.A.M.I., l’évolution technologique qui a permis le passage d’infrastructures lourdes en informatique à la bureautique et finalement au numérique. Ce périodique fort modeste, qui ferait aujourd’hui l’objet d’une simple lettre de diffusion adressée par mail, tente d’accompagner ces changements et entraîner une communauté de chercheurs vers des projets collectifs et ambitieux, avec toujours à l’esprit l’idée, que l’on pourrait adopter comme devise pour AGORHA : « chacun apportera son concours, recevant à la fin bien plus qu’il n’aura lui-même apporté » (no 17 de l’H.A.M.I.). Si les pistes de « banques de données » envisagées par Thuillier n’ont finalement pas toutes été retenues, je retrouve une part de sa démarche dans les bases de données d’AGORHA et l’accompagnement que l’on développe avec les chercheurs. À titre personnel, je regrette simplement l’abandon de la « banque Laborde », qui m’aurait beaucoup honoré, vu mon nom de famille, même si je ne descends pas du marquis Léon de Laborde (1807-1869).
Pierre-Yves Laborde, Service numérique de la recherche