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Henri Rivière : voyage au pays de la couleur
En ce mois de juillet, période de vacances estivales, la bibliothèque numérique vous propose une petite escapade en Bretagne aux côtés d’Henri Rivière (1864-1951). L’œuvre de cet artiste vient d’entrer dans le domaine public, par conséquent ses gravures conservées à la bibliothèque (bois, eaux-fortes, lithographies) sont désormais disponibles en ligne. Des faubourgs parisiens à Douarnenez, suivez-nous pour un voyage haut en couleur qui s’avèrera plus exotique qu’il n’y paraît puisque le travail de celui qui s’imposa comme un acteur principal du renouveau de l’estampe polychrome dans les années 1890 est empreint d’une forte influence japonisante.
Malgré une vocation précoce, Henri Rivière ne suivit pas de cursus classique à l’École des beaux-arts. Il fréquente l’atelier d’Émile Blin (1825-1897), un peintre académique de Montmartre chez lequel il perfectionne sa technique du dessin aux côtés de son ami d’enfance Paul Signac. Les deux jeunes artistes partagent un atelier dans le 18e arrondissement de Paris, rue Steinkerque, et un attrait certain pour la Bretagne. Sur les conseils de Signac, Rivière effectue un premier séjour breton à Saint-Briac en 1885. Il tombe sous le charme de la région où il passera dorénavant tous ses étés et fera même l’acquisition d’une maison qu’il baptise Landiris (la lande aux iris, sa fleur emblème) à Loguivy.
À Paris, les débuts artistiques de Rivière sont intimement liés au Chat noir, cabaret littéraire, artistique et musical d’avant-garde fondé en 1881 par Rodolphe Salis, pour lequel il réinvente le théâtre d’ombres chinoises avec Henry Somm en 1886. À partir de plaques de zinc et de lumières colorées, il crée les décors et assure la mise en scène de ce spectacle qui reste pendant dix années l’attraction phare des soirées montmartroises de l’époque.
Le Cabaret du Chat Noir : Rivière et deux personnes actionnant l’écran du théâtre d’ombre, épreuve argentique à partir d’un négatif verre, entre 1887 et 1894. ADAGP, Paris 2021 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt
Un autre directeur de théâtre, André Antoine fait appel à ses services pour illustrer un programme de la saison 1890 du Théâtre libre. Rivière exécute alors sa première lithographie en couleurs et rejoint la Société des peintres-graveurs créée par Félix Bracquemond, Henri Guérard et Philippe Burty afin de défendre et promouvoir la gravure dite « originale » (c’est-à-dire pour l’exécution de laquelle l’artiste grave lui-même au lieu de confier son dessin à un artisan graveur professionnel). La Société organise des expositions annuelles. Rivière expose dès la deuxième édition, dans la galerie de Paul Durand Ruel, aquarelles, pastels et estampes (eau-forte, pointe-sèche et lithographie) révélant une grande capacité d’exploration des supports artistiques. Sa faculté d’innovation se confirme lors de la quatrième exposition en 1892. En effet, Rivière réalise un véritable coup de maître puisqu’il présente un ensemble exceptionnel de gravures sur bois en couleurs issues de deux séries intitulées La mer, études de vagues et Paysages bretons. Il devient le premier artiste français à exécuter des xylogravures polychromatiques en utilisant les méthodes japonaises. Grâce à ses recherches empiriques, il est parvenu à percer les secrets des maîtres de l’ukiyo-e (images du monde flottant) et à s’approprier toutes les étapes de cette technique : du broyage des couleurs délayées à l’eau jusqu’à l’impression à la main à l’aide d’un baren, outil qu’il confectionne lui-même, comme il l’explique avec ironie dans ses mémoires : « C’était un peu ridicule d’inventer ainsi un procédé déjà existant. Quand je le connus plus tard, Hayashi s’amusa beaucoup de voir mes primitifs instruments qui depuis longtemps, en beaucoup mieux naturellement, servaient aux imprimeurs japonais » (Les détours du chemin : souvenirs, notes & croquis : 1864-1951). Outre les procédés, il emprunte à ses modèles nippons un répertoire de motifs et des thématiques comme celles des changements météorologiques au fil des heures et des saisons. Il utilise des caractéristiques stylistiques similaires : simplification des formes, gamme chromatique, et surtout des compositions typiquement japonisantes avec des points de vue décentrés, des cadrages asymétriques qui coupent le sujet, des constructions en diagonale, des plans rapprochés, des vues plongeantes, des lignes d’horizon absentes ou placées très haut. Pour sa série La Féérie des heures qui célèbre en seize planches l’harmonie naturelle des hommes et des saisons sur la côte bretonne, il adopte même le format vertical des kakémonos.
Henri Rivière, [Les Mousses], lithographie en couleurs, 1906. Paris, bibliothèque de l’INHA, EM RIVIERE 26. Cliché INHA
Rivière assume pleinement l’influence des artistes du pays du Soleil-Levant, notamment Hokusai et Hiroshige, qu’il admire et collectionne avec ferveur. Il revendique clairement sa filiation en commandant à son ami typographe George Auriol une série de monogrammes rouges inspirés des cartouches et cachets imprimés sur les estampes japonaises. Auriol collabore également avec Henri Rivière à la réalisation d’un album Les trente-six vues de la Tour Eiffel pour lequel il dessine la lettre des titres, de la préface, la décoration de la garde intérieure, de la couverture et de l’étui ainsi que les cachets, marques et fleurons. Cet hommage explicite aux Trente-six vues du mont Fuji d’Hokusai est en réalité un projet de longue date de Rivière qui avait envisagé un livre d’images gravées sur bois montrant le chantier de construction de la tour tout en métal élevée par Gustave Eiffel pour l’exposition internationale de 1889. Il réalise deux tirages sur bois mais laisse la série inachevée. Il reprend son idée, quelques années plus tard, cette fois en lithographie. En effet, après 1894, il a abandonné peu à peu la gravure sur bois en couleurs et ses procédés chronophages contraignants au profit de la lithographie, plus rapide d’exécution et permettant des tirages en nombre. Le volume, publié en 1902, reprend le principe de la série en déclinant un même motif sous des angles variés et à des moments différents.
Henri Rivière, Les trente-six vues de la Tour Eiffel : Dans la Tour, lithographie en couleurs, 1902. Paris, bibliothèque de l’INHA, 4 EST 150. Cliché INHA
À la même époque, le marchand d’art oriental Hayashi Tadamasa lui demande de concevoir quatre grandes peintures murales pour la salle à manger de la maison qu’il fait aménager à Tokyo. Rivière se fait rémunérer en « marchandises » pour enrichir sa collection personnelle de pièces d’Extrême-Orient, laquelle avec plus de sept cents estampes japonaises, ses livres illustrés japonais et sa trentaine de peintures chinoises figura parmi les plus conséquentes de l’époque.
Rapidement, la réputation de celui que Roger Marx définissait comme un « vulgarisateur de beauté », un « rêveur attentif aux incessantes métamorphoses des saisons, aux féeries de la lumière du ciel et de l’océan » (Le Voltaire, 22 février 1898) est établie auprès du public et de la critique. Dès 1907, Georges Toudouze publie Henri Rivière, peintre et imagier, ouvrage prenant la forme d’un catalogue raisonné de l’œuvre gravé existant jusqu’alors. En 1913, Rivière effectue son premier et unique voyage à l’étranger. Contre toute attente, il ne se rend pas au Japon mais en Italie à l’invitation de ses amis Berthe et André Noufflard, qui possèdent une villa près de Florence. Pendant deux mois, le couple lui fait découvrir la Toscane mais également l’Ombrie ; la bibliothèque conserve deux eaux-fortes, souvenirs de sa visite de la basilique d’Assise. Vers 1917, Rivière délaisse la gravure pour l’aquarelle et, en 1921, le musée des Arts Décoratifs lui propose d’exposer cette facette de son travail. Plus de cent-cinquante aquarelles ainsi qu’une trentaine de bois et d’eaux-fortes rejoignent les cimaises du Pavillon de Marsan du 5 au 27 février 1921.
Rivière décide de mettre un terme à sa carrière sur ce succès et entreprend la rédaction de son autobiographie Les détours du chemin : souvenirs, notes & croquis : 1864-1951. Il lègue un lot de ses aquarelles au département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France puis ses descendants complèteront, en 2006, par la dation d’une grande partie de son fonds d’atelier, des œuvres de Rivière ou de sa collection personnelle que vous pourrez consulter sur Gallica.
Élodie Desserle, service de l’Informatique documentaire
En savoir plus
- Georges Gustave-Toudouze, Henri Rivière, peintre et imagier, Paris, H. Floury, 1907.
- Armond Fields, Henri Rivière, Paris, éditions Hubschmid and Bouret, 1985.
- Henri Rivière, Philippe Le Stum (préface), Les détours du chemin : souvenirs, notes & croquis : 1864-1951, Saint-Rémy-de-Provence, Equinoxe, 2004.
- Valérie Sueur-Hermel (dir.), Henri Rivière : entre impressionnisme et japonisme [exposition, Paris, Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, 7 avril-5 juillet 2009], Paris, Bibliothèque nationale de France, 2009.
- Sophie De Grande, « La japonisation du paysage dans l’œuvre d’Henri Rivière. La Bretagne, le planisphère d’un Japon imaginaire » dans Catherine Méneux, Emmanuel Pernoud et Pierre Wat (ed.), Actes de la journée d’études Actualité de la recherche en XIXe siècle, Master 1, Années 2012 et 2013, Paris, site de l’HiCSA, 2014, disponible en ligne (consulté le 11 juillet 2022)..
- Philippe Le Stum, « Une leçon japonaise : la gravure sur bois en couleurs en France, 1889-1939 », dans Ebisu, 51, 2014, disponible en ligne (consulté le 11 juillet 2022).