Gauguin graveur : la suite Noa Noa D’un rivage l’autre

Si les toiles de Paul Gauguin (1848-1903) sont familières aux yeux de tous, déclinées sur de multiples supports, reproduites à l’infini, ce n’est pas le cas de ses gravures sur bois. Peu exposées, moins accessibles au premier abord que ses toiles aux tons vifs et aux paysages idylliques, elles sont pourtant une clef essentielle pour appréhender l’œuvre de l’artiste.

La bibliothèque en conserve un certain nombre, acquises pour le cabinet d’estampes modernes constitué à partir de 1906 par Jacques Doucet, et à présent disponibles en ligne sur la bibliothèque numérique.

La suite Noa Noa (1893-1894)

Au cours de la période où Gauguin s’essaya aux techniques de l’estampe, de 1889 à sa mort en 1903, il produisit trois séries majeures, fort différentes tant dans la forme que dans le fond : la suite Volpini, la suite Noa Noa et la suite Vollard. Tandis que la suite Volpini rend compte du séjour en Bretagne du peintre et que la suite Vollard constitue une vaste synthèse de toute son expérience plastique, la suite Noa Noa constitue un versant plus sombre et abstrait de l’œuvre peinte produite durant le premier voyage de Gauguin à Tahiti. Elle est donc à ce titre particulièrement fascinante, puisqu’elle permet de jeter un regard neuf sur la démarche de l’artiste qui aimait à jeter des ponts entre les différents médiums.


Paul Gauguin, Nave Nave Fenua (Terre délicieuse), gravure sur bois, 1893-1894, bibliothèque de l’INHA, EM GAUGUIN 7. Cliché INHA. http://www.purl.org/yoolib/inha/5734

Cette série de dix gravures était destinée à illustrer le manuscrit du même nom dont Gauguin est l’auteur. Il ne fut pourtant jamais publié sous cette forme. Par le biais de ce projet, l’artiste souhaitait contrer le mauvais accueil qu’avaient connu ses peintures au retour de son premier séjour à Tahiti, en 1893. Il réalisa donc cette série à Paris, avant de repartir en 1895 pour la Polynésie. Si les premières estampes furent encrées par ses soins, il confia à Louis Roy à l’été 1894 le soin de continuer les tirages. On rapporte que le résultat ne lui convint pas. Si les épreuves de Roy étaient de qualité professionnelle, et ce de point de vue supérieures aux siennes, elles étaient aussi plus lisses et paraissaient moins empreintes de noirceur.

Malgré ce supposé affadissement, on ne peut ignorer le contraste saisissant qu’elles offrent avec les toiles réalisées à la même période en Polynésie, dont Gauguin reprend les motifs dans ses gravures, en leur faisant subir une étrange métamorphose. Les peintures de Gauguin ne sont certes pas exemptes d’une certaine amertume face à l’européanisation des territoires où il séjourne, mais jamais leur forme n’est aussi abrupte ni aussi sombre que dans les estampes de Noa Noa.


Paul Gauguin, L’Univers est créé, [2e état], gravure sur bois, bibliothèque de l’INHA, EM GAUGUIN 12. Cliché INHA. http://www.purl.org/yoolib/inha/5741

Si elle fascine à de nombreux titres, la suite Noa Noa captive tout particulièrement par son caractère hybride. Résultat d’un va-et-vient entre deux continents, entre écrit et image, elle est également représentative des multiples expérimentations techniques menées par le peintre, du bois gravé à la peinture, de l’estampe à la zincographie. Cette exploration plastique est l’occasion pour Gauguin de faire évoluer le sens et la portée de ses œuvres, pour en arriver à une expression des plus pures et des plus intenses.

En savoir plus

Paul Gauguin est particulièrement bien représenté au sein des collections patrimoniales de la bibliothèque.

Outre ses séries d’estampes, en partie numérisées et disponibles en ligne sur la bibliothèque numérique, il faut signaler l’extraordinaire manuscrit du Cahier pour Aline, rédigé et illustré par l’artiste pour sa fille ; il fut offert par Jacques Doucet en 1927 à la Bibliothèque d’art et d’archéologie.

Références bibliographiques

  • Catalogue d’exposition à la Tate Modern/National Gallery en 2010-2011 : Tate Modern, National gallery of art, Gauguin, créateur de mythes , Paris, Skira/Flammarion, 2010 ;
  • Catalogue d’exposition au Kunsthaus de Zurich en 2012-2013 : Tobia Bezzola, Elizabeth Prelinger (dir.), Gauguin: the prints, Munich/London, Prestel, 2012 ;
  • Catalogue d’exposition au Museum of Modern Art de New York en 2014 : Starr Figura (dir.), Gauguin: Metamorphoses , New York, Museum Of Modern Art, 2014.

 

Béatrice Guillier

Service du patrimoine

 

Publié par bguillie le 9 février 2016 à 13:15