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Étienne Delaune, l’« exquis fanfrelucheur »
Étienne Delaune, l’« exquis fanfrelucheur »
La Bibliothèque numérique vous propose de venir consulter les œuvres d’un « inventeur plein de finesse, arrangeur plein d’ingéniosité […], exquis fanfrelucheur » tel que le définit Arsène Alexandre (1859-1937) dans son Histoire de l’art décoratif, du XVIe siècle à nos jours.
Étienne Delaune, dont il est ici question, fut l’un des ornemanistes français les plus féconds du XVIe siècle, avec près de 450 gravures à son actif dont une grande partie consultable en ligne sous forme de recueils. Cette abondante production qu’il signe d’un S, initiale de son prénom latinisé, ou des mots « Stephanus fecit », contraste avec la pauvreté des informations biographiques dont nous disposons à son sujet.
Probablement né vers 1518, il est parisien pour Alexandre-Pierre-François Robert-Dumesnil (1778-1864) mais il pourrait aussi être originaire d’Orléans comme le laisse supposer le qualificatif « Aurelianensis » employé par Pierre-Jean Mariette (1694-1774) qui envisage également la possibilité qu’il soit genevois dans son Abecedario. Une autre hypothèse, émise par Jeanne Duportal (1866-19??) dans Étude sur les livres à figures édités en France de 1601 à 1660, le fait naître à Milan, duché sous domination française à cette période. Étayée par un document conservé aux Archives municipales de la ville de Strasbourg (Série III – Archives de l’Hôtel de Ville Ancienne série G.U.P (Gewölbe unter der Pfalz). Corporations, métiers et compétences de la ville), cette thèse semble la plus probable.
Sur sa formation nous n’avons guère plus d’éléments. Toutefois, en 1545 et 1546, il fut condamné à plusieurs reprises à Paris, pour « travail en chambre », comme le mentionne, aux Archives nationales, le Répertoire chronologique de transcriptions d’arrêts prononcés par la Cour des Monnaies contre des orfèvres de Paris à la suite des visites de contrôle des gardes, avec quelques actes réglementaires enregistrés par la Cour des Monnaies, 1430-1658 (T* 1490 (14)) . On lui reproche donc l’exercice illégal de l’activité d’orfèvre car la profession était alors réglementée par une législation stricte et le nombre total de maîtres était limité. Huit années d’apprentissage étaient nécessaires avant de passer épreuves théorique et technique devant les « gardes du métier ». L’orfèvre devait ensuite enregistrer son poinçon et prêter serment de respecter les ordonnances de la corporation devant les Généraux de la Cour des Monnaies. Delaune est sans doute resté en marge du métier et ne fut jamais reçu maître orfèvre à Paris du fait de ces règlements contraignants mais sa formation semble avoir été celle d’un orfèvre comme le pressentait Mariette au seul regard de ses gravures : « il n’a commencé à graver que dans un âge mûr, d’où l’on peut conclure qu’il devoit avoir exercé quelque profession auparavant, et ce qui me feroit plutost pencher vers celle de l’orfèvrerie que sur aucune autre, c’est que les pièces, qu’il a gravées pour ceux qui se mêlent de cette profession, sont telles que les pouvoit faire un homme qui en auroit une grande pratique » ; une intuition sans doute confortée par les deux gravures de Delaune exécutées en 1576 représentant un atelier d’orfèvrerie avec la plus grande exactitude. Aucun outil ni accessoire ne manque à l’appel : forge, enclume, marteau, cisaille, bigorne, soufflet, tenaille, tisonnier, pincette… et certains détails comme l’établi équipé de poulies pour réduire la fatigue de travail et son emplacement central près de la fenêtre rendent le témoignage d’une telle fiabilité qu’il paraît impossible que ces estampes ne soient de la main d’un orfèvre de formation.
Étienne Delaune, [Atelier d’orfèvre], burin, 1576, Bibliothèque de l’INHA, 12 RES 19. Cliché INHA
La consécration semble enfin se profiler quand, en 1552, il entre comme graveur à la Monnaie du Moulin, atelier monétaire mis en place par Henri II (1519-1559). Mais l’aventure tourne court puisqu’il n’exerça sa charge que six mois, congédié pour avoir contesté le montant de son salaire qu’il jugeait trop mince. Lors de son bref passage à la Monnaie, il dessina une médaille éditée pour commémorer les victoires d’Henri II, son œuvre datable la plus ancienne.
Comme tout orfèvre, Delaune a appris le dessin et la gravure, deux enseignements fondamentaux pour la profession. Ses premières estampes datées remontent à 1561 et Delaune va se consacrer, plus particulièrement, à la gravure lorsque le déclenchement des Guerres de Religion mettra un terme à ses activités d’orfèvre et de médailleur. Contraint à l’exil, il quitte Paris après avoir échappé au massacre de la Saint-Barthélemy et s’installe comme réfugié huguenot à Strasbourg puis Augsbourg.
Dans son œuvre gravé dominent les panneaux d’ornements à grotesques ou moresques et les suites thématiques présentant des épisodes de la Bible ou de l’histoire romaine, des scènes de genres ou des allégories. Une grande part de ses gravures est inspirée de l’École de Fontainebleau, du Rosso (1495-1540), du Primatice (1504-1570), de Luca Penni (1500?-1556) ou de Jean Cousin (1490?-1560). Toutes ses pièces sont caractérisées par de petits formats car il les a adaptées aux dimensions requises pour servir aux travaux minutieux des artisans des arts décoratifs. Il grave même en blanc sur fond noir pour rendre ses compositions facilement utilisables pour l’émail ou le nielle. Ses modèles contribuèrent largement à la diffusion du style bellifontain en Europe du Nord.
Étienne Delaune, Latonam Lycius dum stagnis arcet agrestis rana fit : et meritas stagni luit incola pœnas, burin, [Vers 1562-1578], Bibliothèque de l’INHA, 12 RES 19. Cliché INHA
Reconnu pour son souci de la finition et le raffinement qu’il portait au traitement des détails et des paysages, il acquit une certaine notoriété de son vivant même. Dès 1584, soit un an après sa mort, il est présenté comme « l’un des plus excellents hommes pour le burin & taille douce de toute la France » sous la plume de François Grudé, sieur de La Croix du Maine (1552-1592), dans le catalogue de sa bibliothèque. La postérité ne gardera que le souvenir de ses talents de graveur car il ne subsiste que de rarissimes exemples de ses travaux d’orfèvrerie, les objets travaillés en métal précieux ayant massivement disparu, fondus dès que survinrent changements de mode ou difficultés financières. Et encore trois siècles plus tard, Désiré Guilmard (1810-1885?), dans Les Maîtres ornemanistes, son étude incontournable sur l’ornement gravé, le classe aux côtés de Jacques Androuet Du Cerceau (1510?-1585?) et Pierre Woeiriot (1532-1599) parmi « lesquels brillent les qualités qui distinguent la Renaissance française : la simplicité, la clarté, unies à l’élégance ».
Références bibliographiques
- Alexandre-Pierre-François Robert-Dumesnil, Le peintre-graveur français. Volume 9, Paris, Mme Bouchard-Huzard, 1835-1871 (consulté le 17/05/2019).
- Colin Eisler, « Étienne Delaune et les graveurs de son entourage », L’Oeil, n°132 (1965), p. 10-19 et 78-79.
- George A. Wanklyn, « La vie et la carrière d’Étienne Delaune à la lumière de nouveaux documents », Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1989, p. 3-16.
- Christophe Pollet, Les gravures d’Étienne Delaune (1518-1583), Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2002
- Michèle Bimbenet-Privat, « L’orfèvre et graveur Étienne Delaune : questions et hypothèses », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, n°2 (2009), p. 631-655 (consulté le 20/05/2019).
- Valérie Auclair, « Étienne Delaune dessinateur ? Un réexamen des attributions », dans Renaissance en France, renaissance française ?, Henri Zerner et Marc Bayard (dir.), actes du colloque Les arts visuels de la Renaissance en France (XVe-XVIe siècles), Rome, 7-9 juin 2007, Paris, Somogy, 2009, p. 143-160.
Élodie Desserle
Service de l’informatique documentaire