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Escapade au Pays du soleil levant
Envie de prolonger le dépaysement des vacances ?
Prenez le temps d’une escapade au Pays du soleil levant et venez vous plonger dans les albums d’estampes japonaises mis en ligne ce mois sur la bibliothèque numérique, parmi lesquels Souvenirs de la marée basse, Cent paysages de la région de Naniwa (région d’Ōsaka) mais aussi deux albums illustrant la vie dans le quartier du Yoshiwara : Le Miroir des beautés des maisons vertes de Katsukawa Shunshō (1726-1792) et Kitao Shigemasa (1739-1820) et L’Almanach des Maisons vertes de Kitagawa Utamaro (1753-1806) et Jippensha Ikku (1765-1831).
Situé dans la ville d’Edo (ancien nom de Tokyo), le Yoshiwara ou « Plaine du bonheur » symbolise l’ukiyo, « le monde flottant », un mode de vie urbain japonais de l’époque d’Edo (1603–1868), hédoniste et distancié, un brin mélancolique. Quartier fermé fondé en 1618 pour contrôler la prostitution, il fut ravagé par plusieurs incendies et tremblements de terre (notamment en 1657, 1787, 1794, 1800, 1855, 1913, 1923), à chaque fois reconstruit, il ne disparut qu’à l’abolition officielle de la prostitution par le gouvernement Japonais en 1958. Géographiquement parlant, il correspondrait aujourd’hui au quartier Senzoku 4-chōme de l’arrondissement Taitō (entre Asakusa et Minami-Senju).
Le Yoshiwara était entièrement dédié aux plaisirs et divertissements : maisons de thé, établissements de bains, restaurants, magasins de textiles, boutiques de saké … et surtout les « maisons vertes » qui firent sa renommée. Ces maisons de plaisir, dites vertes en raison de la couleur de leurs façades, hébergeaient de nombreuses courtisanes, jusqu’à 3000 aux plus belles heures du quartier. Parées de leurs plus belles étoffes, elles s’exposaient les après-midi et en début de soirée derrière des treillages de bois, tels des « oiseaux en cage ». Quartier réservé, le Yoshiwara était régi par ses propres codes et coutumes, chaque visiteur se devait de respecter le protocole établi, à titre d’exemple plusieurs rencontres entre la courtisane et son client étaient nécessaires avant que ce dernier ne puisse se déclarer. Cet univers à part, où les distinctions de classe et la censure étaient abolis, attira et inspira de nombreux lettrés et artistes comme l’indique Edmond de Goncourt : « le Yoshiwara a été peint par tous les peintres japonais » et dénombre que « M. Hayashi a, dans la bibliothèque qu’il possède au Japon, plus de 200 livres, concernant le quartier élégant de la prostitution » (Outamaro : le peintre des maisons vertes, Paris, 1891, p. 96).
Kitagawa Utamaro, L’Almanach des Maisons vertes, Les Cerisiers en fleurs dans la rue centrale, gravure sur bois en couleurs, 1804, Bibliothèque de l’INHA, 8 EST 156. Cliché INHA
L’Almanach des maisons vertes d’Utamaro, pour les illustrations, et Jippensha Ikku, pour le texte, offre une vision assez complète de la vie réelle du « Quartier sans nuit », détaillant ses règles, ses mœurs et ses rites. L’album donne à voir les courtisanes évoluant dans de luxueux décors où seul le raffinement des meubles et objets rivalise avec l’élégance de leurs tenues. Sur chaque planche les jeunes femmes sont présentées, en groupe, dans leurs activités quotidiennes ou festives, suivant le déroulé des saisons : la confection des gâteaux de riz du jour de l’An, la danse du lion du carnaval du huitième mois, les cerisiers en fleurs dans la rue centrale, la première entrevue, la reconduite au petit matin, la contemplation de la pleine lune à la mi-automne, la partie de colin-maillard un jour de repos à la saison des cerisiers en fleurs…
Le recueil fut publié en 1804, à une époque où le Yoshiwara avait déjà un peu perdu de la superbe qui fut la sienne jusque dans les années 1780. Le déclin du prestige du quartier semble imputable à divers facteurs tels que le développement d’autres lieux de prostitution plus accessibles, un énième incendie, ou encore la promulgation de lois moralisatrices réprimant le luxe et les dépenses outrancières suite à la grande famine de l’ère Tenmei. Ainsi, s’agit-il peut-être d’un ouvrage de commande s’inscrivant dans la stratégie commerciale de célèbres maisons de courtisanes pour relancer l’activité du quartier, certains tenanciers et commerçants ayant même pu contribuer à son financement. Quoiqu’il en soit sur les raisons qui motivèrent la publication de cet album, celui-ci remporta un vif succès auprès du public puisqu’il fit l’objet de plusieurs rééditions. L’attrait qu’il suscita s’explique sans doute par l’originalité de son format à mi-chemin entre le guide touristique et le calendrier illustré, très en vogue à l’époque, par la beauté et l’exactitude des gravures. En effet, Utamaro connaissait bien son sujet puisqu’il s’était installé chez son éditeur et libraire Tsutaya Jūzaburō (1750-1797) aux abords du Yoshiwara où il pouvait alors se rendre à l’envi. D’ailleurs, comme pour figurer sa présence quasi journalière, il se représente en dernière planche de l’album réalisant un « fenghuang » (oiseau mythique chinois) pour une peinture murale dans l’une de ces maisons vertes.
Kitagawa Utamaro, L’Almanach des Maisons vertes, Exécution d’une peinture murale dans une maison de courtisanes, gravure sur bois en couleurs, 1804, Bibliothèque de l’INHA, 8 EST 156. Cliché INHA
En savoir plus
- Estampes japonaises : images d’un monde éphémère : [exposition, Barcelone, Fundacio Catalunya, du 16 juin au 14 septembre 2008, Paris, Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, Galerie Mazarine et Crypte, du 17 novembre 2008 au 15 février 2009]
- Christophe Marquet, Dominique Morelon et Elisabeth Lemirre, L’Almanach des maisons vertes, Paris, INHA – Éditions Philippe Picquier, 2008
- Edmond de Goncourt, Outamaro : le peintre des maisons vertes, Paris, 1891. Disponible en ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k114188m (consulté le 29/08/2017)
Élodie Desserle, service de l’informatique documentaire