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Dmitri Ermakov, Habitants du Novobayazet (Arménie), 1908
Tous les jours 20 ans !
Pour les 20 ans de la création de l’INHA, les agents et agentes de l’institut ont sélectionné des documents entrés dans les collections de la bibliothèque ces vingt dernières années et vers lesquels leur cœur les portait. Patrimoniaux ou plus courants, ces documents seront exposés au centre de la salle Labrouste tout au long du mois de janvier 2022, à raison d’un par jour, accompagné d’un texte écrit par la personne qui l’a choisi. Ces présentations reflètent les rapports personnels que nous entretenons toutes et tous à l’art, à son histoire et ses sources, au-delà de la dimension scientifique. Vous retrouverez également ces textes au fil des jours sur le blog de la bibliothèque.
Dmitri Ermakov (1845-1916)
Habitants du Novobayazet (Arménie), 1908
Tirage photographique argentique sur papier albuminé
16,3 × 22,2 cm
INHA, Fol Phot 77
Achat en vente publique, Ader (Paris), 3 juillet 2020 (deux albums de photographies prises par Ermakov lors des campagnes archéologiques de Yervand Lalayan dans le Novobayazet et le Sharur-Daralaghez en 1908, dédiés par Lalayan à l’industriel Alexander Melik-Azarian, mécène de la ville de Tbilissi)
À Yeghsa, survivante du génocide arménien de 1915.
Quand j’ai vu cette image, j’ai pensé à toi, héroïne d’un film que je n’ai jamais vu.
Mon enfance a été bercée par le synopsis de ta propre vie. J’ai pensé ta vie comme un récit initiatique, quasi cinématographique, construit à partir d’images qui ont nourri mon enfance : les chevauchées de Lawrence d’Arabie, les morceaux de balalaïka dans Docteur Jivago, les souvenirs d’Omar Sharif et Claudia Cardinale dans Mayrig, les images immobiles et colorées des films de Paradjanov.
Plus tard, j’ai découvert les toiles de Jean Jansem au cours d’un voyage en Arménie. J’ai compris ton histoire différemment à travers les corps meurtris peints par l’artiste. Ton enfance, tu l’avais perdue à neuf ans sur ce cheval dans le désert de Deir ez-Zor en Syrie.
Vous ne savez sans doute rien d’elle. Pour moi, elle s’appelle Yeghsa. Elle a neuf ans en 1915. Elle se fait discrète à gauche de la photographie, elle serre cet homme. Qui est-il ? son père ? son frère ? son sauveur ? son bourreau ?
Cette scène que j’ai tant imaginée, je la vois enfin. Tu as quitté Ourfa, ta ville natale dans l’Empire ottoman, tu as marché et rejoint avec tant d’autres le désert de Deir ez-Zor. Dans cette traversée, tu as perdu les tiens et tu as vu de tes propres yeux qu’ils ne reviendront jamais.
Des hommes arrivent au loin à cheval et s’approchent, ce sont des bédouins. Je me demande si l’espoir t’a gagné quand tu les as vu arriver ou s’il était déjà trop tard. C’est toi qu’ils ont achetée, qu’ils ont sauvée ; t’ont-ils choyée ? t’ont-ils maltraitée ? Il ne restera de ces sept années passées dans ce harem, avant ta fuite, qu’un tatouage le long de ton visage, du front au menton – pour te rappeler que tu resteras l’étrangère.
J’ai rêvé ta vie au cinéma, j’ai mesuré ta douleur par la peinture et aujourd’hui, en regardant cette photo, j’ai vraiment l’impression de te voir.
Gayané Rast-klan, Direction générale