Les livres de fête dans les collections de l’INHA

Les écrits faisant le récit et illustrant les fêtes impériales qui se sont déroulées en Autriche représentent un petit corpus d’une trentaine d’ouvrages au sein de la collection de livres de fête conservés à l’INHA. Ces derniers constituent un ensemble assez conséquent, de près de 1 200 volumes, parmi les imprimés anciens. Objet de recherches et de publications depuis plusieurs années, ces livres de fête ont été notamment signalés dans Agorha, la plateforme de données de la recherche de l’INHA. Une base de données y recense et décrit de manière exhaustive ce grand ensemble.

Par ailleurs, une exposition organisée en 2010 sur le livre de fête dans la collection Jacques Doucet a donné lieu à un catalogue publié sous la direction de Dominique Morelon. En 2016, Lucie Fléjou s’est appuyée sur le fonds de l’INHA pour présenter les spécificités des livres et estampes de fête dans un article paru dans la revue Artefact. Plus récemment encore, Juliette Robain a décrit en 2022 les livres de fête du Portugal aux XVIIe et XVIIIe siècles conservés au sein de l’Institut, en lien avec ce pays, invité du FHA 2022. Par ailleurs, un travail régulier de signalement de ce type de documents est réalisé dans les catalogues informatisés de la bibliothèque et du Sudoc ; une partie est enfin consultable en ligne grâce à un programme de numérisation.

Les particularités du corpus de livres de fêtes impériales autrichiennes

La planche gravée sur cuivre par Melchior Küsell, représentant un feu d’artifice, à l’occasion du mariage de l’empereur Léopold Ier en 1666 : on notera les lettres "AEIOU" dans la partie droite de l'image. Paris, bibliothèque de l'INHA, 4 Res 1216. Cliché INHA.

Les fêtes relatées dans les ouvrages que nous proposons de mettre en avant se passent essentiellement à Vienne. Le plus ancien livre présent dans nos collections date de 1571 : il est publié à l’occasion des noces de l’archiduc d’Autriche Charles et de sa nièce Maria, duchesse de Bavière, le 26 août 1571 ; le plus récent date de la fin du XVIIIe siècle. Pendant toute cette période, Vienne est la capitale du Saint-Empire, dominé par la famille des Habsbourg depuis 1438.

Ces livres de fête sont édités en allemand, en latin ou en italien, car ils ont vocation à glorifier l’empereur et le Saint-Empire auprès d’un large public, dans les territoires qui le composent et au-delà de ses frontières. Certains sont même publiés en plusieurs langues. Ainsi, nous conservons un recueil qui rassemble cinq textes sur les festivités organisées en décembre 1666 à Vienne, en l’honneur du mariage de l’empereur Léopold Ier avec l’infante d’Espagne, Marguerite Thérèse. L’un d’entre eux, écrit en allemand, est accompagné de sa traduction en italien. La Staatsbibliothek de Berlin en conserve même une version en espagnol.

Une autre particularité caractérise ce corpus : près de la moitié des volumes décrit des fêtes en relation avec l’empereur Léopold Ier. Cela peut s’expliquer par la longévité d’un règne qui aura duré 47 ans. De plus, ce souverain a souhaité mettre en avant de nombreux événements : son élection et son couronnement, ses différents mariages, les naissances de ses enfants, ses victoires, des funérailles de membres importants de sa famille. Le rôle des livres de fête est en effet éminemment politique : ils sont là pour glorifier le pouvoir en place, ici l’empereur. Ils témoignent de l’image qu’entend donner ce dernier de lui-même, de son pouvoir et de son empire.

Un discours officiel « anti-Louis XIV »

Arc de triomphe dans N. Lescalopier, Douze tableaux du roy tres. chrestien Louis XIV. auguste. de la reine Anne d’Autriche. de Monsieur frere unique du roy, Philippes duc d’Anjou. de l’eminentissime cardinal Jules Mazarin. exposez sur des arcs de triomphe, apres le sacre de Sa Majesté...., 1655. Paris, bibliothèque de l'INHA, 8 Res 530. Cliché INHA

Philippine Dauga-Casarotto, maîtresse de conférences en littératures germaniques à l’Université de Lyon 3, s’est intéressée à plusieurs reprises aux textes des oraisons funèbres publiés dans les livres de fête et aux estampes qui les accompagnent. Elle montre ainsi que, lors des funérailles de Léopold Ier en 1705, ce dernier est présenté comme un monarque pacifiste, plein de « douceur ». Ce portrait s’inscrit dans le contexte particulier de la rivalité entre les Habsbourg et la France. Dans un autre article paru en 2020, Philippine Dauga-Casarotto développe plus longuement cette question : Léopold Ier et les cercles du pouvoir impérial ont cherché à dépeindre un empereur à l’opposé de la figure de Louis XIV.

Effectivement, en nous appuyant sur les ouvrages qui glorifient le souverain français conservés à l’INHA, nous constatons qu’ils mettent en avant des vertus guerrières, comme le courage, la force, la vaillance au combat. Un livre de 1655 comprend une série de planches gravées assez révélatrices. La première représente un arc de triomphe devant lequel figurent trois médaillons avec le buste de profil d’un roi de France. Le médaillon central, plus grand, est celui de Louis XIV. Sous ces médaillons, une inscription précise : « les aigles ne font point de timides colombes ». Le texte qui précède cette gravure en donne le sens : « Des forts naissent les forts », autrement dit : Louis XIV est issu d’une lignée valeureuse. C’est pourquoi son médaillon est entouré par celui d’Henri IV dit « le Grand », son grand-père, et par celui de Louis XIII, dit « le Juste » son père. La troisième planche de ce même recueil présente le dieu Vulcain et les cyclopes forgeant des armes. Là encore une inscription commente cette scène : « Fais des armes, Vulcain, au plus vaillant des roys », le roi étant ici Louis XIV.

 

Planche représentant Vulcain forgeant des armes, dans N. Lescalopier, Douze tableaux du roy tres. chrestien Louis XIV…, pl. 3. Paris, bibliothèque de l’INHA, 8 Res 530.

La réalité derrière le discours et les images

Page de titre du livre sur les obsèques de l’empereur Léopold Ier, publié en 1706 par Johann Thomas Kemmetinger et al.. Paris, bibliothèque de l'INHA, 4 Res 1203. Cliché INHA.

Malgré cette propagande impériale qui tend à opposer le « belliqueux » Louis XIV au « pacifiste » Léopold Ier, les deux souverains ont les mêmes ambitions, en particulier celle d’étendre leur domination bien au-delà de leurs territoires. Ainsi, en examinant les livres de fête édités à la gloire du monarque autrichien, nous pouvons constater que les références à l’Antiquité romaine, en particulier à l’empire romain, sont bien présentes. Le but est de souligner la continuité directe entre ce dernier et le Saint-Empire romain germanique. D’ailleurs, certaines planches gravées comportent l’abréviation « A.E.I.O.U. » (voir première image de cet article). Elle renvoie à la devise de la famille des Habsbourg en allemand, « Alles Erdreich ist Österreich untertan » ou bien en latin, « Austriae est imperare orbi universo », qui se traduit par « Il appartient à l’Autriche de commander à tout l’Univers ».

« Le temple de la gloire », gravure sur cuivre de Nicolas Guérard, à l’occasion de la fête donnée pour l’emplacement de la statue équestre représentant Louis XIV en 1699. Paris, bibliothèque de l'INHA, 4 Res 1406. Cliché INHA

De son côté Louis XIV revendique également l’héritage antique. Il est parfois comparé à Hercule comme dans l’ouvrage de 1680, Hercule soutenant le ciel, dessein des feux d’artifices dressez pour l’arrivée du Roy en sa ville de Valenciennes le 5. Aoust 1680. Cette figure mythologique est aussi reprise par Léopold Ier. L’appropriation de l’héritage antique par le roi de France est clairement visible dans l’iconographie de l’époque : ainsi, dans l’estampe du temple de la gloire, issue d’un livre publié en 1699, nous voyons que le monument représenté est entouré d’une série de médaillons de figures antiques célèbres comme Alexandre le Grand ou Jules César. En revanche, certains médaillons renvoient à l’époque médiévale et rappelle le lien entre les rois de France et Charlemagne. Or, les souverains du Saint-Empire ont toujours revendiqué l’héritage de l’empire carolingien.

La rivalité entre les deux puissances dont témoignent les livres de fête reflète une situation bien réelle sur le plan géopolitique. De nombreux conflits armés opposent les armées impériales et françaises au cours du XVIIe siècle, comme la guerre de Trente ans qui se conclut par le traité de Westphalie en 1648. Ensuite, au début du XVIIIe siècle, en 1701, une guerre éclate au sujet de la succession d’Espagne à la suite du décès sans descendance du roi d’Espagne Charles II de Habsbourg.

L’étude du discours et de l’image, mis en scène dans les livres de fête conservés dans les collections de l’INHA, permettent de mettre en avant une construction idéologique à la gloire de l’empereur et du Saint-Empire face au royaume de France. Cependant, cela ne doit pas masquer la réalité d’un empire fragile. Celui-ci est menacé continuellement sur le plan extérieur par les puissances voisines, mais aussi sur le plan intérieur par les conflits religieux entre catholiques et protestants depuis la Renaissance. Les Habsbourg ont besoin de réaffirmer sans cesse leur puissance à travers la glorification de la figure impériale. Les livres de fête, support contrôlé de propagande, concourent idéalement à cette entreprise.

Nadia Pizanias, service du Patrimoine

Pour aller plus loin

Juliette Robain, « Le Portugal en fête et en deuil », blog Sous les Coupoles, 1er juin 2022.

Philippine Casarotto, « « Plumer le coq gaulois » : éloge du prince, guerre des images et stratégies médiatiques dans les oraisons funèbres et les catafalques éphémères en l’honneur de Léopold Ier († 1705) et Joseph Ier de Habsbourg († 1711), dans l’Empire et les territoires de la Maison d’Autriche  », Études Épistémè, 38, 2020.

Philippine Dauga-Casarotto, « La « Douceur » autrichienne contre la superbe des Bourbons : un éloge funèbre en images à la gloire de l’empereur Léopold Ier (Vienne, 1705) », Exercices de rhétorique, 11, 2018.

Lucie Fléjou, « Les livres de fête (XVIe-XIXe siècles) dans les collections Jacques-Doucet : représentations et artifices du pouvoir », Artefact, 4, 2016, p. 339-345.

Jérôme de la Gorce et Dominique Morelon (dir.), Chroniques de l’éphémère. Le livre de fête dans la collection Jacques Doucet, Paris, INHA, 2010, disponible en ligne.