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Deverberie, un horloger de son temps
Deverberie, un horloger de son temps
L’heure des nouvelles mises en ligne sur la bibliothèque numérique a sonné avec notamment un recueil de gravures de pendules créées entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle.
Au Siècle des Lumières, l’horlogerie française a connu une sorte d’âge d’or grâce aux progrès techniques dans la fabrication des mécanismes et à l’industrialisation de la production. Une plus grande attention fut également portée à l’esthétique des réalisations qui perdirent peu à peu leur unique statut d’instrument de mesure du temps pour celui d’élément de décor. Devenues de véritables objets ornementaux destinés le plus souvent à agrémenter une cheminée, les pendules à sujet firent leur apparition, reflétant les courants esthétiques qui se développaient alors.
C’est le cas des modèles présents dans ce document conservé à la bibliothèque de l’INHA qui servait probablement de « catalogue de vente » à la maison Deverberie. Jean-Simon Deverberie (1764-1824) est répertorié de 1798 à 1823 dans l’Almanach du commerce de Paris au 483 rue Barbette à Paris, dans le quartier du Marais à l’époque occupé par une population d’artisans et d’ouvriers, puis rue des Fossés-du-Temple, devenue rue Amelot, dans le XIe arrondissement. La graphie de son nom varie : Deverberie, Verbery ou Verberie, tout comme la fonction qui lui est attribuée : horloger, fondeur, fabricant et marchand de bronze. La confusion s’explique sans doute par la nécessité de maîtriser plusieurs corps de métiers pour réaliser une pendule, l’horloger devant être aussi ornemaniste, bronzier, ciseleur, doreur… De plus, Deverberie a commencé comme fondeur en 1788, il ne deviendra bronzier spécialisé dans l’horlogerie que lorsque les corporations seront abolies et le principe de liberté du commerce et de l’industrie énoncé par la loi d’Allarde en 1791.
Jean-Simon Deverberie, [Modèles de pendules : Aphrodite sur son char], [Entre 1801 et 1821 ?], Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, 4 RES 121. Cliché INHA
Les structures et motifs des pièces qu’il façonne sont variés. À la mode de l’Ancien Régime avec des pendules-lyre ou des scènes pastorales chères à Marie-Antoinette (1755-1793), il suit également les nouvelles tendances de l’époque Directoire puis celles du style Empire avec des horloges au décor « retour d’Égypte » ou en forme de chars dont la roue sert de cadran.
Il puise son inspiration dans la mythologie gréco-romaine. Dieux et déesses, Grâces et Amours ornent ses créations tels Bacchus, Héra ou Cupidon qu’il représente en peintre ou en forgeron. Certaines réalisations évoquent des épisodes des récits d’Homère ou d’Ovide comme Ganymède et Zeus, Léda et le cygne, d’autres sont des allégories des sciences ou des arts sous les traits des muses Thalie et Uranie.
Mais Deverberie doit surtout sa réputation à ses modèles de pendules dites « au Nègre », selon l’appellation de l’époque, dans un contexte historique et social de lent éveil des consciences puisque la Révolution a aboli l’esclavage en France en 1792 mais que Napoléon le rétablit en 1802.
Deverberie ne fut pas l’inventeur de ce type de pendules, puisqu’il en existe des exemples antérieurs comme ceux de Charles Voisin (1685-1761) et Jean-Baptiste-André Furet (1720-1807), mais il va populariser ce genre qui traduit, dans les arts décoratifs, le mythe du « bon sauvage » apparu en littérature. Récits de voyages, théories de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) et écrits de Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814) ont fait naître dans l’Europe de la seconde moitié du XVIIIe siècle une soif d’exotisme, un rêve d’ailleurs et de retour à la nature. L’horloger s’empare de cette thématique qui lui offre l’opportunité de tirer un parti esthétique du contraste des patines, noire pour la peau des indigènes et dorée pour les accessoires.
Jean-Simon Deverberie, [Modèles de pendules : L’Afrique – L’Amérique], [Entre 1801 et 1821 ?], Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, 4 RES 121. Cliché INHA
Au chapitre de ses plus belles créations figurent l’Afrique et l’Amérique, dont les dessins préparatoires furent déposés au titre du dépôt légal le 3 pluviôse an VII (22 janvier 1799) au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale de France (cote Le-30-Fol). Toutes deux sont basées sur un moule identique qui présente une chasseresse vêtue d’un pagne de plumes, assise sur un cadran cerclé de perles dans une attitude similaire, le tout posé sur un socle à pans coupés et pieds toupies. Seuls les accessoires et les animaux chassés permettent de différencier les deux continents : alligator, couronnes de plumes et lance pour l’Amérique ; panthère, tortue et carquois de flèches pour l’Afrique.
L’abondance et la finesse des détails des réalisations de Deverberie firent sa renommée. Chaque pièce était composée puis exécutée avec le plus grand soin, les socles ou cadrans étaient bordés de rangs de perles, le bronze patiné et non verni, les yeux des personnages étaient émaillés, leurs oreilles percées et ornées de pendeloques colorées, les bracelets finement ciselés et placés judicieusement aux bras, poignets et chevilles afin de masquer les raccords des divers éléments assemblés.
Les pendules à sujets exotiques connurent un succès considérable et furent produites en grande quantité sous le Directoire, l’Empire puis la Restauration. Actuellement, le Musée des arts décoratifs François Duesberg en Belgique, qui conserve plus de 300 pendules réalisées entre 1785 et 1815, en réunit un des plus importants ensembles au monde.
Références bibliographiques
- Jean-Dominique Augarde, Les Ouvriers du temps : la pendule à Paris de Louis XIV à Napoléon 1er, Genève, Antiquorum, 1996
- Marie-Christine Delacroix, « Les Pendules au Nègre », L’Estampille, nº 100, Août 1978, p. 6-15
- Pierre Kjellberg, Encyclopédie de la pendule française du Moyen Age au XXe siècle, Paris, Éditions de l’Amateur, 1997
- Béatrice Mura, « Les Pendules au Nègre à l’Heure de Deverberie », L’Estampille-l’Objet d’Art, n°241, Novembre 1990, p. 34-45
- Musée de l’Hôtel Sandelin, La pendule au nègre : exposition 29 avril-12 juin 1978, Saint-Omer, Le Musée, 1978
- Charlotte Vignon, « Deverberie & Cie: Drawings, Models, and Works in Bronze », Cleveland Studies in the History of Art, vol. 8, 2003, p. 170–187. Disponible en ligne : www.jstor.org/stable/20079738 (consulté le 18/01/2019)
Élodie Desserle
Service de l’informatique documentaire