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Cham, l’Offenbach de la caricature
Cham, l’Offenbach de la caricature
Un album de lithographies intitulé Les Tortures de la mode vient de rejoindre la bibliothèque numérique. Il est l’œuvre de Charles Amédée de Noé dit Cham (1818-1879), qui est, aux côtés de Daumier, l’un des caricaturistes français les plus célèbres du XIXe siècle.
Particulièrement doué pour les mathématiques, tout prédestinait le jeune Charles Amédée de Noé, fils de Louis Pantaléon Jude Amédée, comte de Noé, pair de France, à une brillante carrière bureaucratique tracée par son père. Mais, après un échec au concours d’entrée à Polytechnique suivi d’une expérience malheureuse au ministère des Finances, sa famille se résigne à lui laisser suivre sa vocation première, celle de dessinateur. Cham manie déjà le crayon avec talent, ce qui lui permit d’être admis dans l’atelier de Charlet, où il s’initie à la lithographie, puis dans celui de Delaroche qui lui enseigne le dessin classique. Rapidement Cham se spécialise dans l’art de la caricature. Dès 1839, la maison d’édition Aubert fondée par Charles Philipon et son beau-frère Gabriel Aubert publie ses deux premiers albums, non signés, Monsieur Lajaunisse et Monsieur Lamélasse . Sa première œuvre signée Histoire de M. Jobard paraît un an plus tard, toujours chez Aubert qui détient le quasi-monopole du marché de la caricature. Il adopte alors le pseudonyme de « Cham ». Fusion du début de ses deux prénoms, Charles et Amédée, ce nom fait également référence à son patronyme puisqu’il est le fils du comte de Noé, et que dans la Bible, Cham est le fils irrévérencieux du patriarche Noé. Comme pour expliciter le choix de ce pseudonyme, sur la couverture de Deux vieilles filles vaccinées à marier, autre recueil publié en 1840, il utilise le paraphe de sa signature pour former un petit bonhomme sortant de l’arche de Noé.
En parallèle des albums qu’il réalise, Cham collabore à des publications périodiques satiriques. Il participe au Musée ou magasin comique de Philipon qui paraît sous forme de livraisons hebdomadaires et pour lequel l’éditeur sollicite ses dessinateurs habituels (Cham, Daumier, Dollet, Forest, Gavarni, Grandville, Lami, Lorentz, Trimolet, Vernier, etc.). Des journaux tels que L’Illustration, La Charge, Le Grelot, Le Monde illustré font également appel à ses services, sans oublier Le Charivari auquel Cham fournira des dessins pendant trente-six ans, de 1843 jusqu’à sa mort, et dans les pages duquel il développa un genre nouveau : les salons caricaturaux, comptes rendus en images humoristiques des œuvres exposées au Salon officiel. Le Charivari consacre entièrement son numéro du 19 avril 1845 à une promenade dans le Salon de l’année. Il porte le titre de Revue véridique, drolatique et Charivarique du Salon de 1845, la rédaction des textes est confiée à Louis Huart, les illustrations à Cham, qui après avoir été l’un des pionniers de la caricature de salons, en restera le maître incontesté. Tableaux primés, peinture académique comme peinture d’avant-garde, œuvres à scandale comme œuvres à succès, jury, public, critiques ou artistes, rien du Salon n’échappe au trait de crayon ravageur de Cham. Sa parodie de L’Olympia de Manet, parue dans Le Charivari du 14 mai 1865, reste un modèle du genre, le Département des arts graphiques du Musée du Louvre en conserve le croquis préparatoire.
Edouard Manet, Olympia, huile sur toile, 1863 ©Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais/Patrice Schmidt – Cham, Caricature de l’Olympia de Manet, encre brune, mine de plomb et plume, 1863.© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay)/Christophe Chavan – Le Charivari,14 mai 1865. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Les sources d’inspiration de Cham sont multiples : travers de la vie quotidienne, mœurs de son époque, pièces ou romans en vogue, et même bizarreries de la mode dans ce recueil qui vient d’être mis en ligne. Édité en 1857 au Bureau des Modes parisiennes, « journal préféré par toutes les dames qui connaissent le véritable goût parisien », ce « charmant album comique » était offert aux abonnés. L’auteur raille avec malice les tendances vestimentaires de son époque. Cols tuyaux, cravates bouffantes, corsets, crinolines, chapeaux Pamela, tromblon ou gibus, il passe en revue les tenues et accessoires qui imposent aux personnes qui les adoptent des attitudes et postures ridicules, l’exagération et la déformation des silhouettes engendrées par les artifices de la mode faisant écho aux techniques généralement employées par les caricaturistes. Cham tourne en dérision les excès de ceux et celles qui suivent aveuglement les tendances par soumission à la contrainte sociale. Il s’amuse également des évolutions, soulignant le caractère passager et capricieux de la mode : « la mode qui procède par pincement à une tendance à monter » alors que « la mode procédant par bosse à une tendance à descendre ». Sous chaque vignette figure un texte inscrit en écriture cursive comme si Cham avait légendé son album à la main. Les légendes occupent une place primordiale dans son travail : ses idées comiques se concrétisaient souvent d’abord en mots qu’il traduisait ensuite en images (à l’inverse de Daumier, dont on sait qu’il ne s’occupait jamais de la légende). Henri Beraldi disait à ce sujet en 1886 : « c’est un homme d’esprit qui dit son mot sur toutes choses, un journaliste qui fait ce qu’on appelle aujourd’hui des nouvelles à la main. Seulement il accompagne ses nouvelles, pour plus de mouvement, d’une indication dessinée qui en accentue la force comique […]. Son dessin n’était qu’une sorte d’accessoire, un appendice à la légende » (Les graveurs du XIXe siècle : guide de l’amateur d’estampes modernes. Tome 4). Ainsi, la phrase inscrite en épigraphe de l’album : « La Torture n’est point abolie en France, elle a seulement changé de nom, on l’appelle aujourd’hui la Mode », est sans doute la pensée qui initia tout ce recueil.
Cham, Les Tortures de la mode, Au bureau du journal Les Modes parisiennes et du Journal amusant, lithographie, [1857]. Paris, bibliothèque de l’INHA, 4 EST 565. Cliché INHA
Son ton spirituel et léger ainsi que son humour corrosif mais toujours dépourvu de méchanceté séduisirent ses contemporains. « Le propre du talent de Cham c’était de n’être point agressif. Il se moquait des choses et des gens avec tant de tact et tant d’esprit, que personne ne songeait à lui garder rancune, pas même ceux qu’il attaquait. La critique n’était pas entre ses mains une arme, mais un instrument artistique dont il se servait en dilettante et en homme du monde » (Oscar Havard, La Semaine des familles : revue universelle illustrée, 4 octobre 1879). Fin observateur de son époque, Cham fut très renommé en son temps et suivi par un public fidèle. « L’Offenbach de la caricature » comme le surnomma Arsène Alexandre (L’art du rire et de la caricature, 1892) laisse derrière lui une œuvre importante, fruit d’un travail quotidien qui ne devait s’interrompre qu’avec sa mort.
En savoir plus
- Félix Ribeyre, Cham, sa vie et son œuvre, Paris, Librairie Plon, 1884.
Élodie Desserle
service de l’Informatique documentaire