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Axel Moulinier et Antoine Watteau, peintre de mode à la mode
Axel Moulinier et Antoine Watteau, peintre de mode à la mode
Le saviez-vous ? 2021 est l’année du 300e anniversaire de la mort d’Antoine Watteau (Valenciennes, 1684 – Nogent-sur-Marne, 1721). Paroles de lecteurs a interrogé le jeune docteur en histoire de l’art, Axel Moulinier, qui nous fait partager le résultat de ses recherches concernant celui qu’on appelait « le peintre des modes de son temps ».
Vous, en quelques mots ?
Je suis un jeune chercheur tout nouvellement promu docteur en histoire de l’art. Le diplôme de troisième cycle et la thèse que je viens de soutenir, menés en codirection entre l’École du Louvre et l’université de Bourgogne Franche-Comté à Dijon, s’intitulent Le discours de l’étoffe. Antoine Watteau : arts visuels, mode et culture du vêtement à Paris dans le premier tiers du XVIIIe siècle.
Je suis un « pur produit de l’École du Louvre », après une classe préparatoire hypokhâgne B/L, je suis rentré dans cette école, où j’ai effectué toutes mes études supérieures. J’ai commencé par une licence d’histoire de l’art, avec une spécialité en Histoire de la mode et du costume puis j’y ai effectué mon master 1 sur la mode contemporaine. Après quoi j’ai ressenti le besoin de remonter dans le temps en essayant de croiser les disciplines : histoire de l’art et histoire de la mode, ce qui allait me mener, de manière plutôt imprévue d’ailleurs, à Watteau.
Détail du piédestal du tombeau d’Antoine Watteau à Nogent-sur-Marne. Cliché Isabelle Eudes
Le choix de travailler sur Watteau est survenu, disiez-vous, de façon imprévue ?
Cela a commencé un peu mal entre Watteau et moi ! À l’École du Louvre, on aborde l’histoire de l’art chronologiquement et, en troisième année, pour le cours du XVIIIe siècle, notre professeure nous avait présenté Watteau. Je me rappelle m’être penché vers ma camarade, binôme de toujours à l’École, et lui avoir dit que je trouvais cela extrêmement mièvre et que ce n’était pas vraiment ma tasse de thé (!)
L’ironie du sort a fait qu’en master 1, je suis parti en séminaire à la Wallace Collection à Londres. Il s’agissait d’un séminaire majoritairement axé sur les arts décoratifs, leur exposition, leur restauration. Le directeur de la Wallace Collection était alors Christoph Martin Vogtherr, un spécialiste de Watteau, qui serait plus tard mon codirecteur de thèse avec Olivier Bonfait. À cette occasion, Christoph nous a présenté les panneaux en cours de restauration. Comme nous étions tous historiens de l’art, on a fini par regarder la peinture et c’est vraiment là que j’ai vu pour la première fois qu’il y avait un rapport très étonnant de Watteau aux vêtements, qui sont très mélangés. Il y a des costumes de théâtre et des vêtements contemporains. Les vêtements d’enfants, par exemple sont très documentaires, très proches de ceux qu’on conserve aujourd’hui encore dans les collections publiques. Alors que d’autres vêtements, par exemple féminins, sont des réutilisations de modèles anciens ramenés à une forme contemporaine de par les modifications que Watteau leur a imposées. Cela m’avait interpellé et j’avais demandé à Christoph Martin Vogtherr s’il existait un peu de bibliographie sur le sujet « Watteau et la mode ». Il m’avait répondu qu’il en existait très peu et que cela constituerait un excellent sujet de recherche. Il se trouve que je rentrais en master 2 l’année suivante et qu’il me fallait justement un sujet de recherche, qu’Olivier Bonfait a accepté de diriger avec beaucoup d’enthousiasme. Voilà comment cela a débuté !
Laurent Cars (1699-1771), d’après un dessin d’Antoine Watteau, buste de jeune fille regardant à droite, un bonnet de linge sur les cheveux, gravure. Paris, bibliothèque de l’INHA, PL EST 96, pl. 35. Cliché INHA
Selon vous, pourquoi cet usage particulier du vêtement chez Watteau ?
J’ai commencé ma réflexion par une analyse vraiment typologique sur les usages vestimentaires contemporains et comment ils étaient réinterprétés (ou non) par Watteau, notamment en examinant ses dessins qui donnent une perspective plus immédiate sur les vêtements et accessoires. J’ai fait le choix de mettre de côté les vêtements de théâtre, qui constituent un autre champ d’études, celui du costume et non du vêtement.
La question s’est posée du rapport entre vêtements historiques et vêtements exotiques ou inventés. j’ai essayé de comprendre comment Watteau pratiquait ce mélange. Autant Watteau n’a pas inventé le thème de la « fête galante », autant il a en quelque sorte forgé une nouvelle armure à celle-ci. Si pour notre œil contemporain, ces réinterprétations vestimentaires demeurent un peu difficiles à appréhender, il faut savoir qu’elles étaient très parlantes pour la clientèle de ces tableaux. Ces acheteurs se retrouvaient dans la pratique de la « fête galante », qui est une activité de personnes issues des hautes classes de la société (bourgeoises et nobles). Watteau est majoritairement un peintre de Louis XIV, beaucoup plus que de la Régence, et il peint pour une clientèle en possession de moyens financiers suffisants, capable d’investir des fortunes dans ses collections.
Antoine Watteau, La Leçon d’amour, huile sur bois, 44 x 61 cm, 1716-1717, Stockholm, Nationalmuseum, inv. NM 5015. Cliché Erik Cornelius, CC BY-SA 4.0.
Ainsi Watteau peignait un instantané de la vie de cette clientèle aisée, avec une subtilité dans la représentation, qui semblait comme suspendue dans le temps, quasi aucun personnage n’étant vraiment identifiable.
Il est intéressant de considérer la carrière de Watteau d’un point de vue statistique. Il arrive en 1700-1702 à Paris et il meurt à 36 ans. L’on sait qu’il vend son premier tableau autographe et autonome vers 1710 seulement. Sa carrière se réduit en fait à 19 ans d’activité. Le catalogue raisonné compte environ 290 numéros, ce qui représente beaucoup pour une personne qui a aussi peu vécu. Sur ces 290 numéros, il y a des typologies évidentes de production de marché. On retrouve les mêmes personnages, souvent les mêmes vêtements, cités et organisés différemment. Watteau avait très bien compris le marché sur lequel il s’insérait et avait trouvé une formule qui fonctionnait.
La conclusion que je formule dans le dernier chapitre de ma thèse est que Watteau est un peintre de marché. Six ans à peine après sa mort, on le considérait comme un peintre des modes de son temps ou de l’histoire des modes de son temps. Une nuance intéressante intervient des décennies plus tard, lorsque son ami le comte de Caylus explique, dans la Vie d’Antoine Watteau (conférence qu’il prononce à l’Académie royale de peinture et de sculpture), que « les ouvrages de Watteau plaisaient à tout le monde indifféremment ; étant à la mode, cela n’est pas étonnant ». Distingué pour sa qualité d’illustrateur de mode, Watteau devient rapidement un peintre à la mode.
Votre fréquentation de la bibliothèque et votre emplacement favori ?
Ma fréquentation véritable de la bibliothèque remonte à juillet 2017, dans les premiers mois de ma thèse – j’étais auparavant à l’étranger. À partir de ce moment, je suis venu vraiment tous les jours, de 9 heures à 18 heures, sauf pendant la crise sanitaire, pendant laquelle la bibliothèque ouvrait, sur réservation, à un public restreint. En effet, cela coïncidait avec ma période de rédaction de thèse, et j’ai préféré laisser la place à des étudiants de master qui avaient besoin d’accéder aux ressources documentaires, estimant qu’ils étaient prioritaires.
Invariablement, je m’installe dans la salle Labrouste, au rang Q, plus précisément à la toute dernière place avant l’ordinateur destiné aux déficients visuels, place 353.
Si je préfère la salle Labrouste, c’est à cause de sa lumière. C’est un bel endroit où perdre son regard quand on réfléchit.
Par ailleurs, le fait qu’il y ait de l’espace à la bibliothèque de l’INHA est particulièrement appréciable : lorsqu’on travaille toute la journée, il est important de pouvoir se dégourdir les jambes, se déplacer dans les différents niveaux du magasin central, pas des déplacements de titans, mais qui donnent de l’énergie !
Une trouvaille dans les collections ?
Cela m’est arrivé maintes fois : lorsque vous allez chercher un ouvrage sur un sujet précis, et trois livres plus loin, vous dénichez celui que vous cherchiez depuis longtemps mais qui pour X raisons, ne figurait pas dans vos recherches bibliographiques, ou alors vous découvrez un autre livre, qui est là en toute logique de classement. Ce système permet de grandes épiphanies !
Dernièrement je cherchais un livre sur un collectionneur pour, au final, me rappeler l’existence d’un rayon entier dédié aux collectionneurs du XVIIIe siècle, au niveau 2 du magasin central. Cette découverte m’a permis de compléter ma cartographie des collectionneurs à cette époque.
Axel Moulinier devant les rayonnages dédiés aux collectionneurs, libre accès de la bibliothèque de l’INHA. Cliché INHA
Toujours dans le libre accès, aux cotes NY, j’ai bien évidemment souvent recours aux monographies consacrées à Watteau. À ce sujet me revient une anecdote : un catalogue raisonné des peintures d’Antoine Watteau par Hélène Adhémar, Watteau, sa vie, son œuvre(aujourd’hui NY WATT3.A3 1950), que j’utilisais fréquemment, était localisé dans les magasins fermés. J’ai envoyé un mail à l’équipe de la bibliothèque qui a été très réactive : au bout d’une semaine, ma demande a été entendue et le livre a rejoint le libre accès ! Je tiens à souligner l’écoute et la disponibilité de tous les personnels de bibliothèque, toujours accueillants, sympathiques, professionnels. Dans une bibliothèque de recherche, cela constitue un atout considérable et rend le quotidien des chercheuses et des chercheurs plus facile !
Un livre que vous avez apprécié et souhaiteriez mettre en avant ?
Le dernier livre que j’ai vraiment aimé et trouvé intéressant rejoint la question des collectionneurs évoquée plus tôt. Il s’agit du catalogue de la collection d’objets exotiques du président de Robien : Le monde à portée de sens : un cabinet de curiosités chez Christophe-Paul de Robien au XVIIIe siècle. C’est un très bel objet, où la partie éditoriale a été particulièrement soignée et dont le contenu est extrêmement riche. Il regroupe l’intégralité de ce fascinant cabinet de curiosités, explique comment la collection s’est constituée ; chaque objet ou groupe d’objets similaires est méticuleusement détaillé.
L’ouvrage « Le monde à portée de sens », AM48.R46 B43 2020. Cliché INHA
Parmi ces objets, mes préférés sont les pagodes qui tiennent leur nom du XVIIIe siècle et désignent tout simplement des figures représentant des Chinois, soit en bois, soit en terre cuite. Elles ont été réalisées en Chine, notamment pour le marché européen. Ces figurines mesurent 50 à 60 centimètres de haut et elles présentent la particularité d’être vêtues, ce qui est tout à fait en accord avec mes recherches sur le textile et le vêtement.
Votre sujet du moment ?
Je prépare un article sur plusieurs dessins pour un décor spécifique, par Nicolas Lancret(Paris, 1690 – id. 1743), un collaborateur et suiveur immédiat de Watteau, en collaboration avec un ami et collègue, François Gilles, qui prépare sa thèse sur les décors de boiseries du Musée des arts décoratifs de Paris.
Saviez-vous que la ville de Nogent-sur-Marne, où est décédé le peintre, a modifié le nom de son théâtre La Scène Watteau en Théâtre Antoine Watteau ?
Non, je l’apprends ! C’est bien que les Nogentais l’aient appelé « Antoine » et pas « Jean-Antoine » : c’est son prénom d’usage, il est important de le respecter.
Sur le parvis de l’église Saint-Saturnin de Nogent-sur-Marne, on peut voir le tombeau de Watteau. Cliché Isabelle Eudes
Le buste surmontant le piédestal a été sculpté par Louis Auvray (1810-1890). Cliché Isabelle Eudes
Pouvez-vous nous parler du colloque sur Watteau, qui s’est tenu dernièrement ?
J’ai organisé, avec un ami, collectionneur et mécène, Lionel Sauvage, un colloque pour célébrer le 300e anniversaire de la mort de Watteau. Il s’intitulait L’Univers de Watteau : Réseaux et influences autour de Watteau. Nous avons travaillé en partenariat avec Fine Arts Paris. Ce colloque s’est tenu les 6 et 7 novembre à l’auditorium du Petit Palais. Les actes de ce colloque seront publiés sous ma direction dans l’année à venir.
Vous avez un compte Instagram : que représente-t-il pour vous ?
Sur mon compte Instagram, je fais paraître directement mes publications parce que c’est un excellent système de communication. Cela favorise les contacts avec d’autres chercheurs sur des sujets connexes ou pas. En tant que jeune chercheur, né avec les nouvelles technologies, il est un peu frustrant, je trouve, de lire les papiers d’historiens de l’art des générations précédentes sans pouvoir aisément les contacter – il faut toujours « faire jouer son réseau ». Certes, chacun se positionne de manière différente par rapport à ses publications : moi, je fais beaucoup de connoisseurship, donc je poste une partie de mes publications qui sont soumises à un aléa d’opinions et j’aime vraiment la contradiction. Il y a certaines attributions, dont je suis relativement sûr et d’autres, dont je sais qu’elles peuvent potentiellement être contestées. Le débat reste ouvert et il est toujours temps de rectifier le tir. J’espère que cela est perçu comme une démarche d’humilité parce que c’est vraiment comme ça que je l’entends. L’histoire de l’art ne s’écrit pas seul, on a besoin d’écrire à plusieurs et c’est toujours une question de communication.
Je viens souvent à l’INHA parce que j’ai un grand cercle d’amies et d’amis, et c’est extrêmement important de pouvoir échanger en permanence avec elles et eux. Parler de nos projets en cours autour de la machine à café fait toujours jaillir une bonne idée ou un petit élément auquel on n’avait pas pensé et qui, une fois retravaillé, rend l’argument beaucoup plus fort. On a souvent l’image du chercheur dans sa tour d’ivoire et j’avais cette crainte au début de la thèse. On m’avait dit : « La thèse c’est toi et toi-même… » Or ce n’est pas du tout mon tempérament ! Je ne suis pas sûr qu’il y ait de règle absolue sur la façon de mener sa thèse. Mais au final, je suis content d’avoir fait une thèse, très entouré !
Christine Camara
service des Services aux publics
En savoir plus
- En liaison avec le mémoire de master 1 d’Axel Moulinier qui portait sur l’histoire de la mode, son essai « Incompréhensions, malaises, scandales dans la mode contemporaine », in Bruna D. (dir.), Tenue correcte exigée, [exposition, Paris, Musée des arts décoratifs, 1er décembre 2016-23 avril 2017], Paris, Musée des arts décoratifs, 2016, p. 46-55.
- Axel et le peintre Watteau, dans le podcast Passion modernistes, 31 mai 2020.
- Axel Moulinier, Les Satellites de Watteau, Paris, Galerie de Bayser, 2020, coll. « Les Cahiers du dessin français ».
- Axel Mouliner, « Des Figures de modes à l’Enseigne : Watteau illustrateur de modes à la mode » in Generaldirektion der Stiftung Preußische Schlösser und Gärten Berlin-Brandenburg (dir.), Antoine Watteau. L’art, le marché et l’artisanat d’art [catalogue d’exposition, Berlin, Fondation des châteaux et jardins prussiens de Berlin-Brandebourg, 9 octobre 2021 – 9 janvier 2022 ], Bruxelles, Mercatorfonds, 2021, p. 89-100.
- Figures de différents caractères, de paysages, d’études dessinées d’après nature par Antoine Watteau […], Paris, Chez Audran-Chez F. Chéreau, [1726-1728], PL EST 96, disponible sur la bibliothèque numérique de l’INHA.
- Un catalogue raisonné de Watteau en ligne, auquel Axel Moulinier a collaboré pendant sa thèse : A Watteau Abecedario [consulté le 10 décembre 2021].