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70 dessins de C…
70 dessins de C…
Lecteurs assidus de la bibliothèque de l’INHA, vous avez peut-être déjà croisé cette silhouette, celle de Jacques Doucet, le fondateur de la Bibliothèque d’art et d’archéologie (BAA) dont l’INHA est l’héritier pour une large part de ses collections. Mais savez-vous qui en est le dessinateur ? Non ? Il s’agit de Leonetto Cappiello, célèbre affichiste qui réalisa des publicités pour les plus grandes marques de la première moitié du XXe siècle : Kub, Maggi, Cachou Lajaunie, Lesieur, Puget, Peugeot, Poulain… La liste pourrait être encore longue puisque le catalogue raisonné de ses affiches en dénombre près de 2000. Cependant, avant de devenir cet affichiste de renom, Cappiello s’est d’abord fait connaître par son travail de caricaturiste. En effet, le portait de Jacques Doucet dont il est question est tiré d’un recueil de caricatures intitulé 70 dessins de Cappiello qui vient de rejoindre la bibliothèque numérique de l’INHA.
En 1897, Cappiello, jeune Italien originaire de Livourne, arrive à Paris pour rendre visite à son frère qui travaille à la Bourse. Captivé par l’effervescence artistique parisienne, il tombe sous le charme de la capitale française et décide de s’y installer définitivement dès 1898. Artiste autodidacte, il a déjà exposé quelques toiles à Florence et publié un premier petit volume de caricatures (Lanterna Magica) mais sa carrière va réellement décoller en France lorsqu’il rencontre deux de ses compatriotes : Giacomo Puccini et Ermete Novelli. Le compositeur connaît alors un vif succès avec La Bohème présentée à l’Opéra-Comique et l’acteur fait un triomphe au Théâtre de la Renaissance. Cappiello leur propose de réaliser leurs portraits-charges, une pratique fort appréciée alors des artistes qui y voyaient une marque de consécration confirmant leur popularité. Le caricaturiste présente ses deux dessins au journal Le Rire. Le directeur Arsène Alexandre, séduit par son trait audacieux et piquant, les publie dès le 2 juillet 1898 (Il Maestro Puccini ; Ermete Novelli, illustrissimo attore) et demande à Cappiello de rejoindre sa brillante équipe où figurent entre autres Willette et Léandre. S’ensuivent de nombreuses collaborations à d’autres titres de périodiques plus ou moins célèbres tels que L’Assiette au beurre, La Baïonnette, Le Canard sauvage, Femina, La Rampe, La Revue blanche, etc.
Leonetto Cappiello, 70 dessins de Cappiello : Une répétition à l’Opéra comique. M. Puccini, M. Victorien Sardou, M. Ricordi, M. Albert Carré, M. Paul Ferrier, M. André Messager, 1905. Paris, bibliothèque de l’INHA, FOL EST 237. Cliché INHA
Leonetto Cappiello s’adonne à la caricature pendant une courte période : de 1898 à 1904. Paru en 1905, le recueil 70 dessins de Cappiello n’est donc pas composé de créations nouvelles mais de reprises de croquis de l’artiste parus antérieurement dans la presse ou dans un album publicitaire de la firme LU (Lefèvre-Utile) : acteurs, académiciens, hommes et femmes de lettres, mondains, musiciens, politiques et même ses confrères caricaturistes, personne n’échappe à son œil infaillible. Quelques scènes complètent cette galerie de portraits comme une séance de l’Académie française, l’inauguration de la statue du Balzac de Falguière, un départ en tournée de la troupe de Sarah Bernhardt ou encore des dessins relatifs aux audiences du procès de l’affaire Humbert, une sombre histoire d’escroquerie basée sur un héritage fictif qui passionna l’opinion. Excellent panorama de l’œuvre de Cappiello de 1900 à 1904, cette parution confirme la notoriété de l’artiste. En effet, l’éditeur H. Floury répond par cette compilation à une véritable attente du public comme le souligne Georges Grappe : « Je voulais revoir toutes ces charges qui disparurent avec l’actualité du périodique qui les édita » (La Presse, 31 juillet 1905).
L’album fut bien accueilli par la critique. Gustave Kahn, dans son article intitulé « Le Caractérisme des dessinateurs » analyse les raisons de ce succès par l’originalité et la spécificité du type de caricature développé par Cappiello. Kahn relève et explique la quasi-absence de légende : « le texte a perdu de son importance ; les albums qu’on publie et qui sont justement admirés, ce sont des séries de coups de crayon avec des rehauts de couleurs, où c’est le dessin qui parle presqu’exclusivement au public ; à peine un nom au-dessous presqu’inutile… ». De plus, à l’image des dessinateurs que Kahn qualifie de « caractériste », Cappiello ne vise pas l’effet comique par l’accentuation ou la déformation des traits physionomiques. Ni blessants ni grinçants, ses dessins ne se limitent pas à l’apparence physique mais cherchent à faire ressortir la personnalité des individus, se rapprochant en ça du portrait de caractère. En effet, Cappiello stylise mais n’enlaidit jamais.
Leonetto Cappiello, 70 dessins de Cappiello : Mme Séverine, 1905. Paris, bibliothèque de l’INHA, FOL EST 237. Cliché INHA
Ses caricatures plaisent car elles ne sont jamais exécutées aux dépens des modèles qui tiennent, eux aussi, des propos élogieux à son égard. Ainsi, l’écrivaine et journaliste Séverine, qui apparaît en fin de volume accueillie avec joie par ses amis animaux après une lourde opération chirurgicale (dessin initialement paru en couverture du périodique Le Rire, le 8 avril 1899, sous le titre Séverine va mieux) publie le 27 juillet 1899 dans La Fronde, quotidien féministe dirigé par Marguerite Durand, un commentaire enthousiasme sur l’artiste : « Son procédé ? Oh ! il est simple et d’une personnalité absolue ! Il n’accentue pas le tic, la déformation, l’expression d’un visage. C’est à la conformation osseuse qu’il s’attaque à travers le masque de la chair, et qu’il traite, en quelque sorte, par l’algèbre […] La plus jolie femme devient un monstre, et ce monstre encore vous charme, parce que c’est ressemblant, parce que c’est exquis ! ». Même Robert de Montesquiou, autre protagoniste visible en début de recueil, pourtant plus enclin aux provocations et aux bons mots parfois féroces, semble lui aussi séduit par l’univers de Cappiello. Dans la préface qu’il rédige pour l’ouvrage La Comédie française (Paris, 1905) d’André Rouveyre, le dandy qui inspira le personnage du baron de Charlus à Marcel Proust lui rend hommage en ces termes : « L’Italie terre de Léonard… Après Léonardo, Leonetto. Je veux parler de ce charmant Cappiello, de qui le trait incisif comme celui que le diamant trace sur un miroir, dessine si finement, et si communicativement, le rire des femmes… »
Un tracé simple, une élégance raffinée, des arabesques japonisantes, « un peu d’Hokusai, beaucoup d’Outamaro » peut-on lire à son sujet dans les colonnes de La Presse du 15 mai 1903, voilà ce qui définit le style de Cappiello qui considère avant tout la caricature comme une activité esthétique. Chroniqueur artistique et mondain plus que dessinateur engagé, ses préoccupations stylistiques l’emportent sur un quelconque message politique et social. Des années plus tard, les caricatures de l’artiste délivrent toutefois encore un témoignage fort précieux, tout en subtilité, sur la société de son temps, faisant revivre sous nos yeux les plus grandes gloires féminines et masculines des scènes et des soirées parisiennes, et cela sans outrance, amertume ni violence.
Élodie Desserle
service de l’Informatique documentaire
En savoir plus
- Jacques Viénot, L. Cappiello sa vie et son œuvre, Paris, Editions de Clermont, 1946.
- Cappiello : 1875-1942 : caricatures, affiches, peintures et projets décoratifs [exposition, Paris, Grand Palais, 3 avril-29 juin 1981], Paris, Réunion des musées nationaux, 1981.
- Cappiello : 1875-1942 : portraits de caractères, affiches[exposition, Paris, Mona Bismarck Foundation, janvier-février 1993], Paris, Mona Bismarck Foundation, 1993.
- Gustave Kahn, « Le Caractérisme des dessinateurs : à propos d’un album de Cappiello », dans La nouvelle Revue (Paris), tome XXXV, juillet 1905.