Ducourtioux et Huillard, Portrait de John Grand-Carteret, gravure d'après un dessin de Fred Regamey, La Revue des Arts graphiques, 15 septembre 1894.

Auteur(s) de la notice :

TILLIER Bertrand

Profession ou activité principale

Écrivain, journaliste, homme de presse

Autres activités
Critique d’art, critique littéraire, collectionneur, conférencier, organisateur d’expositions

Sujets d’étude
Gravures, imageries, cartes postales, caricatures (XVIIIe-XIXe siècles), histoire de la vie et des mœurs (XVe-XIXe siècles), histoire de la papeterie, des enseignes, des almanachs, des brasseries, des bibelots, de la mode, de la montagne

Carrière
1872 : fonde à Genève la revue La Trique fédérale
1876 : dirige la Revue suisse des beaux-arts, d’archéologie, de littérature et de bibliographie
1878-1906 : participe à différentes initiatives et manifestations commémoratives relatives à Jean-Jacques Rousseau
1879 : publie Les Arts industriels en Suisse
1880-1882 : donne des conférences à l’Institut national genevois et à l’université de Genève
1880-1885 : à Paris, se consacre principalement au journalisme (La Patrie, La France, L’Estafette, L’Indépendant, Le National, L’Ère nouvelle, Le Figaro…) ; collabore à des revues (Revue des deux mondes, Revue bleue, Revue encyclopédique…)
1885 : publie son premier essai consacré à l’image satirique Les Mœurs et la Caricature en Allemagne, en Autriche, en Suisse
1889 : rédige la section II, « Arts libéraux » du catalogue de la rétrospective de l’Exposition universelle de Paris
1892-1894 : dirige la revue mensuelle Le Livre et l’Image
1893 : lance L’Année en images, qui restera sans suite
1894 : commissaire d’une exposition sur le livre et l’industrie du papier (Paris, Palais de l’Industrie)
1896 : commissaire d’une exposition sur la mode (Paris, Palais du champ de Mars)
1900 : préside la classe 92 et organise la rétrospective centennale sur les industries de la papeterie et du livre à l’Exposition universelle de Paris (esplanade des Invalides)
1903-1904 : rédacteur en chef du Cartophile illustré, à la disparition duquel il fonde Mes cartes postales, journal illustré de la famille
1909 : commissaire de l’exposition L’Aérostation et l’aviation à travers les âges, organisée sous le patronage de l’Aéro-Club de France (Paris, locaux du journal Les Modes) et de L’Exposition internationale de la navigation aérienne (Paris, Grand Palais)
1912 : fonde un Comité de rapprochement intellectuel franco-allemand
1913 : adhère à la société savante Le Vieux papier, fondée à Paris en 1900

Étude critique

Considéré dès son vivant comme « le plus grand remueur d’estampes et de documents du siècle », Jean Antoine Henri Grand est d’abord un collectionneur de vieux papiers et d’images en tous genres, surtout de caricatures, mais aussi d’autographes et de souvenirs qu’il sollicite de ses illustres correspondants. Il est également un bibliographe et un catalographe, lecteur assidu à la Bibliothèque nationale — où il est lié à Henri Bouchot, conservateur du cabinet des Estampes — et dans les grandes bibliothèques d’Europe. Grand-Carteret ne se contente pas d’amasser des documents iconographiques, il s’emploie en effet à les recenser dans les publications françaises ou internationales, pour les répertorier, les classer, les documenter et les commenter, généralement avec verve, dans ses nombreux ouvrages. S’il est un héritier de la curiosité de Champfleury pour l’image satirique — celui-ci écrira la préface à son volume Les Mœurs et la Caricature en Allemagne (1885), Grand-Carteret est parmi les premiers à avoir accordé une telle place à la caricature dans ses livres, abondamment illustrés de centaines d’images, voulant combattre le mépris ou l’indifférence de son époque pour l’imagerie comique. Le collectionneur se définit comme un « fervent de cette religion » qui consiste à sauver les images de la destruction, pour leur donner la possibilité de participer à l’écriture de l’histoire. L’imagerie qui passe de mains en mains, et se transmet d’une génération à l’autre, porte en elle « quelque chose de l’humanité qui survit ». C’est, écrit-il, de « la lumière impérissable » et de « l’éternelle intelligence », d’autant que comparée à l’écrit, « [elle] est plus concise, elle parle aux yeux de tous une langue en quelque sorte internationale » (Mœurs et Coutumes en France, 1888). « J’ai développé, il y a dix ans, la thèse du document graphique. Je démontrai l’importance qu’il était appelé à prendre dans l’histoire des mœurs : aujourd’hui, le document triomphe et l’on peut affirmer que le XXe siècle verra se réaliser la grande révolution dont nous voyons les premiers germes : la langue graphique, l’Image, marchant de pair avec la langue littéraire, l’Écriture », triomphe-t-il en ouverture de sa revue Le Livre et l’Image (1893). Dans la plupart de ses ouvrages, l’illustration entendue au sens le plus large — principalement des caricatures, mais aussi des chansons, cartes postales, statuettes, papiers, cartonnages, éventails, pipes, bijoux, décorations, médailles… — règne sur le propos de l’historien, le plus souvent réduit à quelques pages introductives et à des commentaires de documents. Dans ses travaux consacrés à l’imagerie légère, ce principe de l’occultation du texte par l’illustration sera radicalisé (Le Retroussé et le décolleté, 1910).

L’entreprise éditoriale de Grand-Carteret, dont on ne sait s’il a pu la mener véritablement seul, avec des collaborateurs voire des nègres, est aussi vaste que ses ambitions sont démesurées : la publication de Rire et galanterie (1903) durera cinq ans ; les cinq volumes (1927-1928) de L’Histoire, la vie, les mœurs et la curiosité par l’image, le pamphlet et le document (1450-1900), forment un ensemble de 2360 pages et reproduisent 2359 illustrations… Certains de ses projets avorteront d’ailleurs, comme L’Année en images ou Les Mois en images. On sait fort peu de choses sur les méthodes de travail de ce collectionneur érudit qui multiplie les livres, les articles et les expositions sur des sujets variés, si ce n’est qu’il constitue patiemment des dossiers thématiques sur des événements ou des personnalités, des modes ou des courants d’opinion. Cette phase de préparation peut durer plusieurs années et être menée de front pour des thèmes très hétéroclites : Wagner, Napoléon, les almanachs français, la voiture de demain, la femme en culotte, l’enseigne… Un réseau informel de connaissances et d’amis, de collectionneurs, bibliophiles, conservateurs de bibliothèques ou de musées, lui signale des documents susceptibles de l’intéresser. Parallèlement, Grand-Carteret est en relation avec les grands journaux illustrés, qui lui facilitent l’accès à leurs collections — « au premier rang desquels […] L’Illustration, Le Monde illustré, Le Charivari, La Chronique amusante, Le Figaro de Vienne, le Kladderadatsch de Berlin, Pasquino et Fischietto de Turin », explique-t-il en 1888.

Grand-Carteret conçoit l’imagerie comme un témoignage. Il se présente donc lui-même comme un témoin et un archiviste de l’histoire contemporaine, dont il se prétend l’historien, en même temps qu’il se pose en mémorialiste des « documents » étudiés, pour en montrer la force polémique et le pouvoir didactique. Parce que l’image et la caricature lui semblent susceptibles de renseigner une époque et ses mentalités, les raisons qui motivent la publication de chacun de ses ouvrages sont souvent liées à une actualité. « Chaque fois qu’hommes ou choses se sont imposés à l’attention publique de façon particulière ou qu’une figure ou un fait ont prédominé au point de tout absorber, je suis intervenu, j’ai fait appel à l’image », déclare-t-il, sans cacher son sens de l’opportunité commerciale (Victor Bettega, John Grand-Carteret 1850-1927, 1990, p.48). La Conquête de l’air (1910) paraît à l’occasion du premier meeting aérien et se double, l’année suivante, de deux expositions sur l’aviation et l’aérostation. La visite des souverains russes en France provoque la publication de Caricatures sur l’alliance franco-russe (1893) et du Musée pittoresque du voyage du Tsar (1897). Les grandes crises politiques seront également l’occasion, pour Grand-Carteret, de prendre part au débat public, en donnant des recueils de caricatures. Dreyfusard, il consacre plusieurs livres successifs à l’affaire : L’Affaire Dreyfus et l’image (1898), Heureux les peuples qui n’ont pas d’« Affaire » (1899) et Zola en images (1908). La séparation de l’Église et de l’État lui inspire aussi Contre Rome (1906).

Dans les ouvrages de Grand-Carteret, le chercheur et l’historien sont souvent occultés par le collectionneur avide et passionné, tout autant que par le polémiste exalté et prophétique. S’il est incontestablement un excellent connaisseur de la caricature, du dessin d’humour et de l’illustration de presse, tant en France qu’à l’étranger (Allemagne, Russie, Autriche-Hongrie, Hollande, Italie, Espagne, Angleterre, États-Unis…), Grand-Carteret manque de recul et de rigueur pour être un historien au sens moderne du terme. Ses sources sont imprécises et peu fiables — il se fera traiter de « fumiste » pour avoir fabriqué de toutes pièces des sources fantaisistes, ses critères de choix des documents sont confus et ses corpus souvent déséquilibrés. De même, il ignore l’environnement textuel et graphique de l’image qui est pourtant déterminant dans sa diffusion et sa réception : il se contente d’indiquer le nom du dessinateur, le titre du journal et la date de parution, sans donner accès au tirage du journal, à sa tendance politique, à son aire de lecture, au rang de l’image dans le journal et dans la page…

Grand-Carteret inaugure la plupart de ses livres par un plaidoyer pour l’image, en particulier pour la caricature, déplorant qu’elle soit ignorée par les historiens qui ne la considèrent pas comme une source et regrettant que la presse illustrée française n’ait pas elle-même perçu l’intérêt documentaire d’une « revue par l’image des événements de toute nature ». Pour autant, et alors qu’il défend le principe d’une singularité du message et de l’iconographie satiriques, il s’avère peu soucieux de la polysémie des caricatures qu’il analyse en séries et trop rapidement, insensible aux nuances des genres et des intentions — il ne distingue guère que la caricature politique et la caricature de mœurs ; il est indifférent aux confusions taxinomiques entre caricature, chronique illustrée, dessin humoristique, dessin de presse… Tandis que montent les nationalismes en Europe et qu’un courant d’anthropologie culturelle et de psychologie des peuples se développe, Grand-Carteret place ses travaux sous le signe d’une universalité du message iconique, prenant peu en compte, sauf pour la France et l’Allemagne, la tradition et la culture satiriques des pays qu’il étudie, et considérant les opinions publiques nationales comme des monolithes dépourvus de toutes nuances.

Dès la fin du XIXe siècle, au moment de l’affaire Dreyfus, de la guerre des Boxers et de la guerre des Boers, Grand-Carteret se passionne pour la vogue des cartes postales satiriques gravées à l’eau-forte, à parution périodique fixe, à tirages limités et numérotés. Il se lance alors dans ce qu’il appelle la « littérature carte postalière » et consacre à ce support et ses auteurs (notamment Orens et sa grande série « Le Burin satirique ») des articles enthousiastes, pensant qu’il s’agit, d’une part, d’une façon de renouveler la caricature souvent médiocre des journaux, et d’autre part, d’un excellent support d’éducation, de vulgarisation et de propagande.

Bertrand Tillier, maître de conférences en histoire de l’art contemporain, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

Bibliographie critique sélective

  • Pierre et Paul. « John Grand-Carteret ». Les Hommes d’aujourd’hui, n° 294, 1887.
  • Bettega Victor. – John Grand-Carteret, 1850-1927. Grenoble : Cahiers de l’Alpe, 1990.
  • Perthuis Bruno (de), dir. – « John Grand-Carteret ». Ridiculosa, n° 5, 1998.
  • Tillier Bertrand. – « Une écriture de la caricature : John Grand-Carteret et Zola en images (1908) ». Ridiculosa, n° 5, 1998, p. 33-50.

Sources identifiées

Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits

  • Nafr 11295, ff. 153-156 : 4 lettres à Eugène Müntz
  • Nafr 13574, f. 87 : Lettre à Joseph Reinach
  • Nafr 22464, ff. 260-266 : 7 lettres à Edmond de Goncourt
  • Nafr 22859, ff. 272 et 276-277 : 4 lettres à des destinataires non identifiés
  • Nafr 22859, f. 273 : lettre à Pierre Dauze
  • Nafr 24271, ff. 636-638 : 3 lettres à Nadar
  • Nafr 24495(1), ff. 224-229 : 4 lettres à Louis Havet
  • Nafr 24519, ff. 391-399 : 7 lettres à Émile Zola
  • Nafr 24531, f. 468 : lettre à Germain Bapst
  • Nafr 24558, f. 513 : lettre à Jehan Rictus
  • Nafr 24998, ff. 404-405 : 2 lettres à Nadar
  • Nafr 25039, ff. 483-487 : 4 lettres à Ferdinand Brunetière
  • Z-BARRES : 4 lettres à Maurice Barrès

En complément : Voir la notice dans AGORHA