MORTET, Victor(27 janvier 1855, Nancy – 15 janvier 1914, Paris)

Auteur de la notice : Philippe Bernardi

Profession ou activité principale

Archiviste paléographe, bibliothécaire à la bibliothèque universitaire de la Sorbonne

Autres activités
Historien ; historien de l’art ; archéologue ; philologue ; bibliographe ; lexicographe.

Sujets d'étude
Archéologie antique et médiévale ; architecture ; arpentage et métrologie ; bibliothèques ; livre ; Notre-Dame de Paris ; Maurice de Sully.

Carrière
1876-1880 :
études supérieures à l’École des chartes
1880-1882 : archiviste du département de l’Aude
1882-1888 : bibliothécaire à la bibliothèque universitaire de Bordeaux, d’abord adjoint de son frère Charles Mortet, puis bibliothécaire en chef à partir de 1885
1888-1914 : bibliothécaire à la bibliothèque universitaire de la Sorbonne, en charge du service des périodiques
1889 : publication de Maurice de Sully, évêque de Paris (1160-1196) constituant le tome 16 des Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France
1890 : deuxième prix de l’Académie des inscriptions et belles-lettres au Concours des antiquités nationales pour Maurice de Sully, évêque de Paris (1160-1196)
1906 : médaille de vermeil de la Société française d’archéologie
1911 : publication du Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture et à la condition des architectes en France, auquel il travaille depuis une vingtaine d’années
1912 : seconde médaille de l’Académie des inscriptions et belles-lettres au Concours national pour le Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture et à la condition des architectes en France

Membre de la Société française d’archéologie.

Étude critique

Victor Mortet fut, dans la lignée des travaux de Jules Quicherat, l’un des promoteurs les plus influents de l’étude des textes anciens pour la connaissance des édifices médiévaux et des conditions techniques, sociales et économiques de leur construction. Fils d’un juge au tribunal civil de Sarrebourg, puis de Dax, il était le frère cadet de Charles Mortet (né Paul-Louis-Charles Mortet ; 1852-1927), bibliothécaire, universitaire et historien. Les carrières des deux frères, très proches, apparaissent fortement liées. Charles commença par faire des études de droit à la faculté de Bordeaux (obtenant son doctorat en 1878) et rejoignit son cadet à l’École des chartes en 1877 pour obtenir son diplôme d’archiviste paléographe en 1882 ; il passa le concours de bibliothécaire universitaire en 1879 et devint conservateur à la bibliothèque universitaire de Bordeaux. Ce fut alors au tour de Victor de l’imiter et de passer le même concours, en 1880.

Victor Morter rejoignit son frère à Bordeaux en 1882 et le remplaça à partir en 1885, lorsque ce dernier prit un poste à la bibliothèque Sainte-Geneviève, à Paris. Mortet semble avoir mal supporté les responsabilités administratives inhérentes à cette position de direction ; en 1888, il quitta Bordeaux et ses fonctions de bibliothécaire en chef pour rejoindre à son tour Paris comme bibliothécaire à la bibliothèque universitaire de la Sorbonne, en charge du service des périodiques. Alors que Charles, avec qui il écrivit plusieurs articles dans les années 1890, poursuivit une carrière professionnelle brillante, devenant professeur à l’École des chartes (1895), chargé du cours de bibliographie, membre du Bureau bibliographique de Paris et élu président de l’Association des bibliothécaires français de 1908 à 1910, puis de 1912 à 1914, Victor conduisit la sienne de manière plus effacée. Ses positions professionnelles successives furent mises au service d’une volonté d’approfondir les sujets qui l’occupaient avec un souci scrupuleux d’exactitude qui put lui être reproché.

Si sa thèse de l’École des chartes sur la vie et l’administration de Maurice de Sully, évêque de Paris, avait déjà fourni matière à quelques articles, l’année 1888, celle de son passage de Bordeaux à Paris, marqua une évolution sensible dans sa carrière scientifique. Il publia, en 1888 puis en 1889, deux ouvrages : une Étude historique et archéologique sur la cathédrale et le palais épiscopal de Paris, du VIe au XIIe siècle et Maurice de Sully, évêque de Paris (1160-1196). Il conclut ainsi, pour un temps, ses travaux sur Notre-Dame de Paris et Maurice de Sully débutés à l’École des chartes, pour, de 1890 à 1896, se consacrer principalement à la critique historique et à la bibliographie.

De 1897 à 1908, c’est sur l’archéologie que porta l’essentiel de ses travaux. Il reprit alors des dossiers ouverts dans les premiers temps de sa carrière, sur des bâtiments médiévaux de Narbonne ou Alet, mais aussi sur Notre-Dame de Paris, la cathédrale de Chartres, l’église des Cordeliers de Provins ou celle de la Dalbade, à Toulouse, et publia, conjointement, diverses études sur la métrologie et les techniques de construction de la fin de l’Antiquité. Le succès de son Recueil de textes a quelque peu éclipsé un aspect important de sa démarche scientifique, consistant à ne pas établir de séparation étanche, en matière d’architecture, entre Antiquité et Moyen Âge. Ses recherches critiques sur Vitruve et son œuvre comme les analyses minutieuses qu’il consacra à diverses « sources d’origine antique » moins fameuses, compilées et commentées à l’époque médiévale, montrent tout l’intérêt que présentait le fait de « remonter à l’usage antique » et de mener l’étude des techniques constructives sur le temps long. Elles soulignent aussi la dimension culturelle des pratiques architecturales révélée par l’attention portée au lexique et par l’importance accordée au dessin, à la géométrie et à la mesure dans l’acte de bâtir. Mortet entendait, dans ses recherches, allier histoire et archéologie dans une démarche qui empruntait certes à Quicherat ou Robert de Lasteyrie, qui furent ses maîtres à l’École des chartes, mais qui prétendait aussi et peut-être surtout compléter ou préciser les travaux d’Eugène Viollet-le-Duc, qui apparaissent comme une référence presque constante. Revenir sur des textes inconnus ou méconnus pour préciser ou approfondir la connaissance est le fondement de la pratique que Mortet mit en œuvre scrupuleusement, inlassablement, ses publications les plus récentes faisant souvent écho aux précédentes.

C’est dans cette recherche de sources écrites susceptibles de fournir des éléments « archéologiques et philologiques » que le Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture et à la condition d’architecte en France au Moyen Âge plonge ses racines. Ce Recueil, qui a fait en grande partie la renommée de Mortet, était en projet depuis au moins 1897, date à laquelle il l’annonça dans une note de bas de page d’un article. Ses fonctions de responsable des périodiques le plaçaient au cœur d’une information riche et diversifiée qu’il eut le mérite de savoir mettre à la disposition d’un large public. Le recueil devait, à l’origine, réunir des « textes relatifs à l’histoire de l’architecture en France depuis le XIe siècle inclusivement jusqu’à la fin du XVe » (1897) ; il se concentra, dans le volume paru en 1911, sur les seuls XIe et XIIe siècles.

Du projet initial et du ou des volumes qui auraient dû suivre demeurèrent, après sa mort en 1914, une série de textes et de références relatifs aux périodes postérieures. Son frère chargea Paul Deschamps de revoir et de compléter ces notes qui donnèrent matière à un second volume sur les XIIe et XIIIe siècles, publié sous le même titre et sous les deux noms de Mortet et Deschamps, en 1929. Le renouveau de l’étude des sources écrites en histoire de l’architecture qui a marqué les années 1990 en France a justifié la réédition d’un ouvrage toujours utilisé mais qui devenait difficile à consulter. Le succès de cette entreprise éditoriale atteste, si nécessaire, la pertinence des choix faits au tournant des XIXe et XXe siècles par Mortet.

Le fait de réunir un corpus de documents relatifs à l’histoire des arts n’était pas, à la fin du XIXe siècle, une nouveauté et Mortet reconnut, dans l’introduction de son Recueil, tout ce qu’il devait à l’enquête lancée, dès les années 1840, par le Comité des arts et des monuments auprès du ministère de l’Instruction publique. Mortet eut le mérite de conduire son travail à terme, ou à l’un de ses termes, en proposant des textes révisés ou complétés avec beaucoup de rigueur. Aux critères scientifiques de qualité et de fiabilité des éditions s’ajoutent une facilité de manipulation due à un ensemble d’outils (résumé introductif, références, notes critiques développées, table alphabétique des noms de personnes et de lieux, répertoire archéologique des matières et glossaire) qui en ont fait une mine presque inépuisable pour les chercheurs depuis plus d’un siècle. La cohésion du corpus a été recherchée dans la chronologie, les quelque deux cents textes réunis couvrant, « bien qu’à un degré forcément très inégal, la plupart des pays de l’ancienne France ». Mais l’un des atouts majeurs du recueil est de n’avoir négligé aucun type d’architecture et aucun matériau, tout en associant intimement l’histoire des techniques de construction à celle de la condition des bâtisseurs. Mortet était clairement conscient de cette richesse et la mit en avant dans l’ample introduction de son recueil. Au-delà de la pluralité des usages possibles, il convient de souligner également l’unité qu’un tel recueil confère à l’action de construire, malgré la diversité des objets et des pratiques, et malgré les époques ; une unité qui n’est pas une uniformité mais un ensemble de pratiques qui évoluent, se combinent et s’influencent, bousculant bien souvent les limites rigides que l’on serait tenté de dresser entre Antiquité et Moyen Âge, comme entre construction de bois et de pierre, civile et religieuse ou monumentale et courante.

On regrette que l’intérêt porté au Recueil n’ait pas rejailli sur l’ensemble de la production archéologique de Mortet qui balaie, avec la même rigueur et beaucoup de minutie, un champ de recherches beaucoup plus large. Ce dernier l’a rassemblée en deux volumes de mélanges, dont son frère acheva l’édition en 1914 et 1915, et qui demeurent aujourd’hui difficiles d’accès.

 

Principales publications

Ouvrages et catalogues d'expositions

  • Étude historique et archéologique sur la cathédrale et le palais épiscopal de Paris, du VIe au XIIe siècle. Paris : Picard, 1888.
  • Maurice de Sully, évêque de Paris (1160-1196). Étude sur l’administration épiscopale pendant la seconde moitié du XIIe siècle. Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, 1889, t. 16, p. 105-318.
  • Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture et à la condition d’architecte en France au Moyen Âge XIe-XIIe siècles. Paris : Picard, 1911.
  • Mélanges d’archéologie (Antiquité romaine et Moyen Âge), 1re série : Technique architecturale, Métrologie. Paris : Picard, 1914.
  • Mélanges d’archéologie (Antiquité romaine et Moyen Âge), 2e série : Histoire de l’architecture ; lexicographie. Paris : Picard, 1915.
  • Et Deschamps Paul. Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture et à la condition d’architecte en France au Moyen Âge XIIe-XIIIe siècles. Paris : Picard, 1929.

Articles

  • Et Mortet Charles. « Histoire. Objets et caractères généraux de l’histoire conçue comme une science ». In La Grande Encyclopédie. Inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Paris : H. Lamirault, 1894, p. 121-150.
  • « La mesure des colonnes à la fin de l’époque romaine, d’après un très ancien formulaire ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1896, t. 57, p. 277-324, [en ligne] doi.org/10.3406/bec.1896.447856.
  • « Un très ancien devis français. Marché pour la reconstruction de l’église des cordeliers de Provins (1284) ». Bulletin monumental, 1897, t. 62, p. 232-243 et 397-420.
  • « La mesure et les proportions des colonnes antiques, d’après quelques compilations et commentaires antérieurs au XIIe siècle ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1898, t. 59, p. 56-72, [en ligne] doi.org/10.3406/bec.1898.447925.
  • « Notes historiques, archéologiques sur la cathédrale, le cloître et le palais archiépiscopal de Narbonne (XIIIe-XVIe siècle) ». Annales du Midi. Revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, 1898, t. 10, no 40, p. 401-414, [en ligne] doi.org/10.3406/anami.1898.3401.
  • « Étude archéologique sur l’église abbatiale Notre-Dame d’Alet ». Bulletin monumental, 1898, t. 3, p. 97-126 et 513-533.
  • « Vitruvius Rufus § 39, Mesure des hauteurs, et § 39bis, formule de l’arc surhaussé. Fragment d’un ms de la bibliothèque de Valenciennes (compilé d’après Vitruve (I, III et IV), sur les proportions des colonnes antiques) ». Revue de philologie de littérature et d’histoire anciennes, 1898, p. 30-36.
  • « Observations comparées sur la forme des colonnes à l’époque romane dans divers monuments du midi de la France et de pays étrangers ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1898, t. 59, p. 578-588, [en ligne] doi.org/10.3406/bec.1898.447949.
  • « La mesure des voûtes romaines, d’après les textes d’origine antique ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1900, t. 61, p. 301-333, [en ligne] doi.org/10.3406/bec.1900.452601.
  • « II. Un ancien devis languedocien. Marché pour la reconstruction du campanile de l’église de la Dalbade à Toulouse (1381) ». Annales du Midi. Revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, 1900, t. 12, no 6, p. 209-220, [en ligne] doi.org/10.3406/anami.1900.6707.
  • « La fabrique des églises cathédrales et la statuaire religieuse au Moyen Âge ». Bulletin monumental, 1902, t. 66, p. 216-229.
  • « Recherches critiques sur Vitruve et son œuvre ». Revue archéologique, 1902, t. 41, p. 39-81 ; 1904, t. 3, p. 222-233 et 382-393 ; 1904, t. 4, p. 265-266 ; 1906, t. 8, p. 268-283 ; 1907, t. 9, p. 75-83 ; 1907, t. 10, p. 277-280 ; 1909, t. 13, p. 46-78.
  • « Notice historique sur l’emploi de procédés matériels et d’instruments usités dans la géométrie pratique du Moyen Âge (Xe-XIIIe siècles) ». In Comptes rendus du IIe Congrès international de philosophie. Genève, septembre 1904. Genève : H. Kündig, 1905.
  • « Un formulaire du VIIIe siècle pour les fondations d’édifices et de ponts d’après des sources d’origine antique ». Bulletin monumental, 1907, t. 71, p. 442-465.
  • « Le plus ancien traité français d’algorisme ». Bibliotheca mathematica. Zeitschrift für Geschichte der mathematischen Wissenschaften, 1908, t. 9, p. 55-64.
  • « Lexicographie archéologique (I) : Le sens du mot abside ». Bulletin monumental, 1908, t. 72, p. 162-166.
  • « La mesure de la figure humaine et le canon des proportions d’après les dessins de Villard de Honnecourt, d’Albert Dürer et de Léonard de Vinci ». Mélanges offerts à M. Émile Chatelain. Paris : H. Champion, 1910, p. 367-382.
  • « Lexicographie archéologique (II) : Deambulatorium, ambulatorium, corona ecclesiæ ». Bulletin monumental, 1912, t. 76, p. 540-555.
  • « Lexicographie archéologique (III) : Origine du mot Transept ». Bulletin monumental, 1913, t. 77, p. 265-281.

Bibliographie critique sélective

  • Bonnerot Jean. – « Victor Mortet ». Revue des Bibliothèques, 1914, p. 48-78.
  • Stein Henri. – « Victor Mortet ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1914, t. 75, p. 202-204.
  • Aubert Marcel. – « Victor Mortet et Paul Deschamps. Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture en France au Moyen Âge. T. II : XIIe-XIIIe siècles. Paris, Picard, 1929 ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1930, t. 91, p. 347-348
  • Pressouyre Léon. – « Préface ». In Victor Mortet et Paul Deschamps, Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture et à la condition d’architecte en France au Moyen Âge. Paris : CTHS, 1995, p. 7-22.
  • Boucheron Patrick. – « Victor Mortet et Paul Deschamps éd., Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture et à la condition des architectes en France au Moyen Âge, XIe-XIIIe siècle ». Médiévales, 1996, no 30, p. 153-155.