Hommage à Vera Molnár

L’Institut national d’histoire de l’art rend hommage à Vera Molnár

C’est avec une profonde tristesse que l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) rend hommage à l’artiste de l’abstraction géométrique et de l’art génératif, Vera Molnár, décédée aujourd’hui à l’âge de 99 ans. Elle avait noué avec l’INHA des liens profonds qui se sont concrétisés par le don d’un corpus important d’estampes en 2022 dans lequel la dimension pionnière et généreuse de son œuvre, reflétait pleinement sa personnalité. Sa disparition laisse un vide immense dans le monde de l’art, qu’elle contribuait encore récemment à animer, au contact des jeunes créatrices et créateurs qui venaient lui rendre visite.
 
Vera Molnár est née en 1924 à Budapest où elle a suivi l’enseignement classique des Beaux-arts dont elle sort diplômée, professeur d’histoire de l’art et d’esthétique en 1947. Cette même année, elle quitte la Hongrie et s’installe à Paris. Choisissant très vite sa famille picturale, celle de l’abstraction géométrique, elle est durant les années 1950 une constructiviste radicale qui refuse de qualifier d’« art » ce qu’elle considère avec l’appui théorique de son mari François, scientifique, psycho-physiologiste, comme des expérimentations. Dans cet esprit, elle invente dès 1959 une « machine imaginaire », procédé conceptuel proto-informatique qui consiste à se donner des instructions de composition parfaitement définies qu’accompagne ensuite une réalisation systématique, à la manière d’une machine. Elle n’a qu’un pas à franchir, en 1968, en utilisant véritablement un ordinateur pour l’aider à concevoir des œuvres, issues de programmes, d’algorithmes qu’elle apprend à maîtriser faisant d’elle l’artiste pionnière en France du dessin génératif. Curieuse de tous les matériaux et de tous les supports, elle dessine, colle, peint, conçoit des sculptures, programme, photographie, réalise des installations, des livres d’artiste (les livrimages) et un formidable Journal intime (1976-2020) d’ordre plastique en vingt-deux volumes de presque 5000 pages.

 

Dès qu’elle le peut, Vera Molnár réalise également des estampes. Initiée aux Beaux-arts, elle sait très jeune comment graver sur bois ou sur linoléum, mais fait par la suite appel à des professionnels pour réaliser avec elle un grand nombre d’éditions. En 2022, elle décide d’en réunir un corpus important pour en faire don à la bibliothèque de l’INHA, constitué de 264 estampes, 2 portfolios et 12 maquettes préparatoires.
 
Ce don constitue un ensemble exceptionnel, représentatif de l’ensemble du travail de l’artiste, unique dans les collections publiques françaises et étrangères. Ses œuvres appartiennent à des familles formelles travaillées, reprises, réinvesties durant plusieurs dizaines d’années. Les Sainte-Victoire Blues font ainsi directement référence au motif cézannien, dessiné et peint des centaines de fois par Vera Molnár. Les Lettres de ma mère font écho à la modélisation informatique de l’écriture de la mère de l’artiste, lui écrivant de Budapest, et dont l’écriture, au fil des ans, devenait de plus en plus saccadée en fin de ligne, l’artiste la définissant comme « un peu gothique, en même temps un peu hystérique » mais à chaque fois lui procurant une sensation de « bombardement visuel. » Les 4 carrés rouges, les Brèches3 triades 3 couleurs, Ordinateur miroir de la main, Hypertransformations hommage à Klimt et les nombreuses autres séries investissent la forme paradigmatique de l’univers de l’abstraction géométrique : le carré. Découpé, décalé, chevauché, abouché, poussé, recouvert, faisant naître de son déplacement d’autres formes, incises, triangles, quadrangles, lettres peut-être, le carré, les carrés se déboîtent, esquissent une figure d’équilibre ou génèrent une indécision perceptive, c’est à chacune, chacun, de s’y frotter l’œil et de décider pour soi.

 

À la nouvelle de sa disparition, c’est bien l’héritage vivant d’une immense créatrice que l’INHA désire perpétuer ; celui d’une aventurière des formes, de l’ordre et du désordre, jouant et se déjouant de la tradition. Derrière les programmes, algorithmes et systèmes de Vera Molnár résident de la pensée et des idées, mais aussi de la tendresse et de l’amusement ; en un mot, de la vie. C’est une artiste générative à tous points de vue qui nous quitte aujourd’hui.
 
Le directeur de l’INHA, Éric de Chassey, le directeur de sa bibliothèque, Jérôme Bessière, ainsi que Vincent Baby, chef de projet à l’INHA, proche ami et spécialiste de Vera Molnár, tiennent à adresser leurs sincères condoléances à l’ensemble de ses proches.