Nuit Bleue : « Va, regarde. Au bord des images connues »Autour de la collection vidéo du Fonds national d’art contemporain

Élaboré, à l’invitation de l’INHA, par les étudiants du master 2 « Praxis de la programmation » (université Sorbonne-Nouvelle) sous la direction de Nicole Brenez et Pascale Cassagnau (Cnap), le projet « Nuit Bleue » propose un voyage à travers la collection vidéo des œuvres du Fonds national d’art contemporain (Fnac) du Centre national des arts plastiques (Cnap). Dans le cadre de ce séminaire, les étudiants sont conviés à explorer la collection de films réunie par le Cnap, à y choisir ce qui paraît le plus éloquent pour le temps présent et à expliciter leurs choix. La programmation sera donc réalisée au fur et à mesure du séminaire.



Séance du 19 mars 2019

« Va, regarde
Au bord des images connues »

Avec All that is solid – film de la collection vidéo du CNAP – comme impulsion, nous tentons de dérouler une programmation autour de la question de l’image manquante, empêchée, menacée. Traversées d’espaces étanches, de zones closes (nasses, camps de réfugiés, villes bombardées, exploitations minières). Quatre films, quatre gestes, pour mettre en lumière des réalités occultées.

Programme dans l’ordre :

■ (Posthume), Ghassan Salhab, 2007 – 29’
■ All that is solid, Louis Henderson, 2014 – 15’ (CNAP)
■ On ne sait jamais ce qu’on filme, Matthieu Bareyre et Thibaut Dufait, 2016 – 2’
■ Border, Laura Waddington, 2004 – 27’

(Posthume), film-essai sorti en 2007, a été réalisé par Ghassan Salhab, cinéaste sénégalais qui s’est ensuite installé au Liban avec sa famille où il a tourné la plupart de ses films. Le cinéaste est un grand défenseur du cinéma de la « marge » ou cinéma « alternatif », terme qu’il préfère à celui d’« indépendant ». Lors d’un entretien donné en 2011, Ghassan Salhab déclare : la question est bien « celle du lieu et non du sujet, le lieu compris comme une entité vivante, inconnue et familière. Un lieu autant intérieur, « invisible », qu’extérieur. ». Les personnages de (Posthume) semblent se trouver à la fois ici et ailleurs, apparaissant en surimpression sur des images de ruines, filmées au Liban peu de temps après les attaques israéliennes de 2006. Le film interroge l’expérience qui est faite d’un lieu, avec les histoires qui le traversent, sans jamais se détacher de son actualité et de sa réalité concrète. La structure du film est à l’image du pays qu’il donne à voir. Et plutôt que « voir » il s’agit plus exactement de « percevoir ». Que montrer de la violence ? Que montrer du sentiment né de cette violence ? Quelle image donner de ce qui se voit et de ce qui ne se voit pas ? Le geste du cinéaste s’attache à creuser les différentes strates et régimes d’images dans une logique qui s’oppose à celle de la surenchère. Un plan pourrait synthétiser ce geste : un homme est filmé de dos regardant la mer. Ce dos, selon Ghassan Salhab, dit beaucoup « de ce qui se voit, de ce qu’il voit et de ce que l’on voit. » Donner l’image pour ce qu’elle est.

Louis Henderson est un vidéaste d’origine britannique travaillant principalement sur la matérialité des mondes numériques, ainsi que sur les implications d’une pensée post-colonialiste contemporaine.
All That Is Solid reprend, décline et déconstruit le mythe de l’immatérialité du Cloud, outil de la domination capitaliste. Son illusoire désengagement sur le monde réel et les vies humaines est broyé par un dispositif numérique d’imbrication et de surimpressions d’images issues d’exploitations d’or dans les pays décolonisés. La misère, les ouvriers, les processus d’extraction, de raffinement, s’entremêlent par le truchement d’un montage de fenêtres numériques au sein du cadre. L’or, valeur fondamentale de la société capitaliste, et l’informatique, adjuvant d’une domination masquée des esprits, coexistent paradoxalement. Le renversement de la perception de ces deux fondamentaux de nos modes de vie laisse entrevoir une réalité perdue, invisible ou niée, et dont l’implication dans le réel, par sa matérialité même, retranscrite sensiblement, est réaffirmée. La possibilité d’une pensée agissante voit le jour. L’avènement d’une perception véridique du monde contemporain, au travers des systèmes qui le régissent, est déclaré.

Matthieu Bareyre est un jeune documentariste. Il a réalisé son premier court-métrage, Nocturnes, en 2015. Son premier long-métrage, L’époque, sortira en salles le 17 avril 2019. Il a par ailleurs écrit pour Critikat, Vertigo et la revue Débordements.
On ne sait jamais ce qu’on filme a été tourné dans la nuit du 28 au 29 avril 2016, place de la République, à Paris, au cours d’un rassemblement du mouvement Nuit Debout.
Un plan large. Un cadre relativement fixe. Des rangées de CRS se repositionnent. Les manifestants sont hors-champs. Le film vient alors creuser l’image. Le son est parti. Quelque chose surgit dans une série de quatre recadrages, quelque chose qui échappait au regard. Il s’agit bien là de re-voir.
Ce soir-là, Matthieu Bareyre effectuait avec Thibaud Dufais des repérages pour son prochain film, L’époque.

Avril 2002, depuis les champs bordants le camp de Sangatte, près de Calais, Laura Waddington s’empare de la vidéo pour enregistrer les passages des réfugié.e.s qui tentent de traverser la manche en entrant dans le tunnel qui la traverse. L’obturateur bien ouvert, tel un regard étiré et infatigable, laisse entrer ce qu’il reste de lumière pour aller voir et rendre visible ceux que l’on ne voit jamais, coincés dans un entre-temps fait de champs, de grilles, de phares et de lumières sécuritaires oppressantes.
Sous les récits récoltés et racontés par la cinéaste, la matière numérique brouille les corps jusqu’à ce que les silhouettes quasi fantomatiques se confondent au décor. L’image fragile et tremblante semble les engloutir, la disparition s’enclenche mais l’image résiste et garde les traces de leur passage.

Les curateurs : Etienne Bomba, Gabrielle Allais, Léo Gilles, Juliette Morini, Emily Curtis, Gauthier Beaucourt, Clémence Arrivé.

En partenariat avec l’université Sorbonne-Nouvelle et le Centre national des arts plastiques

Voir le programme complet du séminaire

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Informations pratiques

19 mars 2019 - 19h-21h

Galerie Colbert, auditorium
Institut national d'histoire de l'art
2, rue Vivienne ou 6 rue des Petits Champs
75002 Paris

Entrée libre