Sismographie des luttes. Vers une histoire globale des revues critiques et culturelles

Une visite guidée (1h) de l'exposition par la commissaire de l'exposition Zahia Rahmani est organisée le samedi 20 janvier à 15h. Inscription par mail à l'adresse : inscription @ inha.fr

Cette installation vidéo-sonore rend compte d’un recensement de revues non-européennes ou produites en situation diasporique, dans la suite des courants révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au basculement de l’année 1989 et la fin du monde des deux blocs. Les populations des territoires nommés dans cette œuvre visuelle et sonore ont connu le colonialisme, les pratiques esclavagistes, l’apartheid et le génocide. D’autres subiront de violentes dictatures, de fortes convulsions politiques et culturelles. La lutte contre l’esclavage est peut-être à la source de ce que l’on nomme une revue critique et culturelle, soit un objet matriciel de la modernité. Tout comme la lutte contre le colonialisme. Si par sa nature le colonialisme a affecté nombre de communautés en leurs cohésions sociale et culturelle, ce dernier a lui aussi été extrêmement combattu par l’écrit et le geste.

Au XVIIIe siècle, ce que l’on nomme la Révolution américaine ne met pas fin à l’esclavage. Ni à la dépossession indienne. C’est le marronnage, cette contestation de l’esclavage par l’esclave qui, dès le XVIe siècle, en Afrique d’abord puis dans les Amériques et aux Antilles, par ses pratiques politiques et artistiques clandestines (notamment dans la danse et le chant) et plus tard dans ses récits et textes, alimentera la conscience abolitionniste. De cette période peu d’éléments matériels nous sont parvenus. Et les rares matériaux existants sont difficiles d’accès. Mais là est né un modèle de résistance critique utilisant différents supports, tissus, bois, papiers, et une variété de signes et de dessins. Leurs équivalents européens pourraient être les modèles de samizdats, ces liens précaires, produits eux aussi dans la clandestinité par une population juive en lutte contre son oppression. Mais toutes ces pratiques, fragiles, se sont dissoutes dans le temps.

La revue ne cesse de dire une ambition d’indépendance contrariée parce que faite nécessairement de voix singulières, d’auteurs volontaires, tentés par des perspectives politiques et culturelles renouvelées.

C’est sur l’île d’Haïti que l’on a trouvé la trace la plus ancienne et complète de cet exercice éminemment moderne qu’est la revue critique, comme en témoigne L’Abeille Haytienne de 1817. Un document qui dit une volonté constante d’émancipation, qui en fait le vœu et qui en témoigne. Christophe Colomb y débarque le 5 décembre 1492 et il la nomme de droit Hispaniola. Puis, l’île devient Saint-Domingue, territoire français de plus de 400 000 esclaves régi avec férocité. En 1804, la révolte des populations soumises donne naissance à un état indépendant nommé Haïti. Cette cause acquise, les luttes perdureront.

Durant plus de deux siècles, la revue papier a été l’espace d’expériences protéiformes. Nées dans l’urgence et souvent en contexte colonial, portées par une ambition tant critique, politique, qu’esthétique, poétique et littéraire, les revues ont perpétué une inventivité graphique et scripturale dont il faut souligner la rareté. Elles font constamment irruption dans les luttes que les femmes et les hommes ont mené pour leur émancipation. Faite à la fois de singularités formelles et de volontés politiques en direction de communautés humaines et de leurs aspirations, la revue, cet objet fragile, réalisée bien souvent dans des conditions d’adversité matérielle, sociale et politique fortes, animée par des causes nobles et l’obstination d’auteurs engagés, témoigne d’une puissance plastique rare. Il faut aujourd’hui, à l’ère du tout numérique, en restituer l’apport et mettre en perspective sa fonction formelle, critique, esthétique et politique à l’échelle mondiale.

 

L'exposition a donné lieu à un colloque La revue critique et culturelle dans le monde les 16 et 17 novembre 2017.

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Informations pratiques

Du 10 novembre 2017 au 20 janvier 2018 - 14H30-19H30
du mardi au samedi

Galerie Colbert, salle Roberto Longhi
Institut national d’histoire de l’art
2, rue Vivienne ou 6 rue des Petits Champs
75002 Paris

entrée libre