Archéologie des médias et Anthropocène 5e séance du séminaire « Archéologie des médias et histoire de l’art »

Séminaire de recherche du programme « Art contemporain et cinéma » organisé en partenariat avec l’université Paris 3 (LIRA)

  • Vincent Normand, ECAL, « La clinique et la critique : formes de médiation et genres de représentation entre le spécifique et le générique »
    Le concept d’Anthropocène, en rendant explicite les réseaux de médiations qui articulent systèmes humains et systèmes terrestres, recoupe certaines préoccupations propres à l’archéologie des médias, en faisant émerger dans la théorie de l’art un impératif matérialiste invitant à repenser la constitution historique des lignes de partage qui, à travers la modernité, ont contribué à définir l’institution de l’art et l’expérience esthétique comme des espaces d’extra-territorialité.
    Partant de cet impératif matérialiste, cette présentation postule néanmoins que ce qui dans l’espace de l’art hante le médium n’est pas le « média », mais la question du « genre », en proposant d’aborder les transformations historiques de l’espace moderne, postmoderne et contemporain de l’art sous l’angle de l’oscillation entre forme et genre, ou entre spécifique et générique. À partir de cette distinction, il s’agit de reconstruire la manière dont l’espace de l’art a travaillé spécifiquement et génériquement la « condition média » de l’œuvre d’art, afin de comprendre 1) comment le modernisme a projeté sur celle-ci à la fois un regard clinique et un regard critique, et 2) la manière dont, suite à la critique anti-formaliste formulée par l’art conceptuel, le champ étendu postmoderne de l’art a radicalement transformé l’articulation de ces deux perspectives historiques.
    Il s’agit donc de proposer un mouvement de pensée ne consistant pas seulement à faire une archéologie de la « condition média » de l’œuvre d’art au seul niveau phénoménologique, mais aussi et surtout au niveau épistémologique, c’est-à-dire au niveau de l’articulation sémiotico-matérielle de l’espace de l’art avec les formes de médiation techniques qui ont historiquement façonné la psyché moderne, afin de construire un modèle théorique d’inscription de l’art dans une cartographie étendue des lignes de partages modernes, à l’heure de la constitution de l’anthropos comme strate géologique.
    Vincent Normand est historien de l’art, auteur et commissaire d’expositions. Il enseigne à l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL), où il dirige avec Tristan Garcia un laboratoire de recherche intitulé « Théâtre, Jardin, Bestiaire : une histoire matérialiste de l’exposition ». Il est co-fondateur de la plateforme de recherche Glass Bead (glass-bead.org) qui fera paraître le premier numéro de la revue éponyme en décembre 2015. Parmi ses publications récentes :  « Les larmes de l’explication : le geste critique entre réduction et expansion » (Initiales, 2015), « Notes on the Exhibition as Ontoscopy » (dans Pierre Huyghe The Artist’s Institute, New York, 2015), « In the Planetarium: the Modern Museum on the Anthropocenic Stage » (dans Art in the Anthropocene, Open Humanities Press, New York, 2015), « La Critique à l’épreuve de l’Anthropocène » (Critique d’art, avril 2014), « Échiquiers et ronciers » (dans Pierre Huyghe, Centre Pompidou 2013).
  • Riccardo Venturi, INHA, « L’enfer dans l’océan. Autour du Vampyrotheuthis Infernalis de Vilém Flusser »
    Dans sa trilogie sur la théorie des médias, le philosophe tchèque Vilém Flusser explore le paysage médiatique et les nouvelles technologies de production et de diffusion des images. Cependant, ce paysage est hanté par une créature inquiétante : le Vampyroteuthis Infernalis, le calamar vampire qui vient de l’enfer. Au coeur du livre le plus curieux et le moins connu de Flusser, on retrouve un imperceptible mollusque marin découvert en 1899 par le biologiste allemand Carl Chun dans les abysses de l’océan. Les formes de vie sous-marine dans la zone pélagique et l’inconscient furent sondées simultanément.
    Vampyroteuthis Infernalis (1988) est un roman et un traité scientifique, un reportage de science-fiction et un essai philosophique sur notre condition post-humaine, autant qu’un bestiaire marin  du XXème. Il a été conçu en collaboration avec Louis Bec – « zoosystémiste » et directeur de l’Institut scientifique de recherche paranaturaliste – qui a enrichi le texte de 16 dessins inspirés librement des traits du calamar vampire.
    Loin de présenter un récit scientifique de l’évolution des formes vivantes – des céphalopodes à l’être humain – l’intention de Flusser est plus radicale, explorant un territoire inconnu qui menace notre expérience dans le monde. Le monstre gélatineux est une figure radicale de l’altérité qui excède la subjectivité humaine à l’époque des sociétés post-industrielles.
    Avec cette intervention, on se propose de revenir sur le Vampyroteuthis Infernalis dans le cadre de la pensée de Flusser et de celui plus large de l’Anthropocène.
    Riccardo Venturi a obtenu en 2010 un doctorat d’esthétique et d’histoire de l’art à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense en cotutelle avec l’université d’Aquila (Italie) sur Mark Rothko et l’expérience du tableau moderniste. Il a rejoint l’INHA en 2012 en qualité de pensionnaire dans le domaine « Histoire de l’art contemporain XXe-XXIe siècles ». Parmi ses publications : Mark Rothko. Lo spazio e la sua disciplina (Electa, Milan, 2007) et Black paintings. Eclissi sul modernismo (Electa, Milan, 2008). Il collabore régulièrement à la revue Artforum et tient une rubrique sur la plateforme en ligne www.doppiozero.com. Son ouvrage La porosità dell’arte italiana est en préparation chez Johan & Levi (Milan).

25 septembre 2015 -10h-13h30
Galerie Colbert
Salle Walter Benjamin
Institut national d’histoire de l’art
entrée libre

Accès

2, rue Vivienne
75002 Paris