L’Atelier du XIXe siècle - Portrait et expression en France à l’époque romantique

15 février 2014
10h -13h
Salle Pierre Albouy
Université Paris –Diderot
Bât. C, 6e étage
Site des Grands Moulins
5, rue Thomas Mann
75013-Paris



Programme

Dans La Nouvelle Héloïse, Saint-Preux, ayant reçu le portrait tant attendu de Julie, en est d'abord charmé. Il s'en lasse cependant peu à peu et lui reproche d'être « insensible » :

« La première chose que je lui reproche est de te ressembler et de n'être pas toi, d'avoir ta figure et d'être insensible. Vainement le peintre a cru rendre exactement tes yeux et tes traits ; il n'a point rendu ce doux sentiment qui les vivifie, et sans lequel, tout charmants qu'ils sont, ils ne seraient rien. »

L'incapacité à exprimer la vie des passions sera aussi l'un des principaux reproches adressés par les romantiques à l'art des Anciens, que l'on songe à Stendhal dans Histoire de la peinture en Italie ou à Mme de Staël dans De la littérature et dans Corinne.

Mais cette exigence d'expressivité ne va pas sans contradictions. Saint-Preux souhaiterait en effet que le portrait exprime Julie tout entière, dans tous les instants de sa vie. Exprimer signifie d'abord, comme le notent tous les dictionnaires du XVIIIe et du XIXe siècle, l'acte de faire sortir le suc, le jus de quelque chose. L'expression doit ainsi révéler la nature profonde du sujet. Or, pour Saint-Preux, la nature de Julie ne peut être rendue visible par une seule de ses expressions, mais par leur totalité. Pour représenter la véritable Julie, le portraitiste devrait donc dépasser la peinture d'une expression singulière, d'un état d'âme momentané, afin de saisir, en quelque sorte, l'essence du modèle. Or n'est-ce pas dans un visage au repos, dans ses traits fixes, que l'essence peut s'exprimer ?

Au début du XIXe siècle, l'étude des passions est influencée par les enquêtes médicales, sociologiques et physiognomoniques de l'époque qui privilégient l'étude de types fixes. C'est surtout aux traits fixes que Lavater s'intéresse dans L'Art de connaître les hommes par la physionomie (1775-1778). Dans les romans de Balzac, les passions se décèlent avant tout dans les marques fixes qu'elles ont laissées, et non dans un mouvement du visage. Pour exprimer l'intériorité du modèle, le portrait devrait donc tendre au type et être, paradoxalement, inanimé, inexpressif.

L'autre difficulté que soulève, au début du XIXe siècle, l'exigence d'expressivité du portrait est la tension qui existe entre beauté et expressivité. Si Saint-Preux s'est lassé du portrait, il en a cependant apprécié la beauté et, lorsqu'il écrit que, pour être expressif, le portrait devrait représenter tous les défauts de Julie et toutes ses expressions, cela impliquerait une renonciation aux codes de la beauté classique.

La littérature se heurte à cette même difficulté. Comme l'a souligné Barthes dans S/Z, la beauté ne peut être que réaffirmée par référence à un code. La beauté des personnages semble donc inconciliable avec la singularité, ce qui explique la longue fortune des clichés littéraires dans les portraits, et ce même dans les romans romantiques qui aspiraient à l'originalité. Comment individualiser les personnages caractérisés par leur beauté et comment rendre les clichés littéraires expressifs ?

Trois « études de cas » nous permettront de réfléchir à la façon dont écrivains et artistes se sont confronté à ces paradoxes de l'expressivité dans la première moitié du XIXe siècle.

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