Takesada Matsutani. Estampes (1967-1977) Collections de l’Institut national d’histoire de l’art

Takesada Matsutani (né en 1937), Object-8, 1973, photosérigraphie sur papier BFK, éd. 5/50, 76 x 56 cm, bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art (EM MATSUTANI 53), courtesy the artist and Hauser & Wirth

 

 

Donation de Takesada Matsutani à l’Institut national d’histoire de l’art

Artiste japonais résident en France, Takesada Matsutani enrichit une nouvelle fois les collections publiques françaises, après sa donation au Centre Pompidou en juin 2019. Une très grande partie de son oeuvre gravé a fait l’objet d’une donation à l’Institut national d’histoire de l’art en janvier dernier. Après la donation Ellsworth Kelly en 2018, artiste dont le travail a suscité un profond intérêt chez Matsutani, c’est un nouvel ensemble exceptionnel qui rejoint les collections d’estampes de la bibliothèque de l’INHA.

Né à Osaka au Japon en 1937, Takesada Matsutani se forme au dessin et à la peinture. Au début des années 1960, il commence à travailler avec un matériau nouveau, la colle vinylique, dont il explore les propriétés plastiques, et crée des oeuvres dans lesquelles les formes organiques sont prépondérantes. Le caractère novateur de son oeuvre est rapidement reconnu. Il devient membre permanent du mouvement Gutai, courant d’avant-garde qui naît au Japon dans les années 1950. Il expose avec ce groupe à partir de 1960 jusqu’à sa dissolution en 1972. Après avoir remporté en 1966 un prix de l’Institut français du Japon, Matsutani vient à Paris et intègre très vite l’Atelier 17, animé par Stanley William Hayter, dont il devient l’assistant. En 1968, il rejoint parallèlement l’atelier de sérigraphie créé par Kate Van Houten et Lorna Taylor. Après presque une décennie consacrée principalement à l’estampe, Matsutani reprend dans les années 1970 la création d’œuvres sur toile avec de la colle vinylique et entame un travail, qu’il poursuit encore, reposant sur les rapports entre le noir de l’encre, les reflets des traits de graphite et le blanc du papier ou de la toile.

La donation comprend une centaine de pièces (88 estampes, un portfolio de 9 photogravures et 3 livres d’artiste). Elle reflète toute la diversité et l’étendue de la pratique de l’artiste dans le domaine de l’estampe, depuis ses débuts en 1967 jusqu’à ses créations récentes de 2016.

Réalisés à l’Atelier 17, les eaux-fortes, aquatintes et burins des années 1967-1968 traduisent les recherches personnelles de Matsutani, associant formes organiques et transposition d’espaces en trois dimensions. À partir de 1968, la technique de la sérigraphie lui permet d’explorer deux directions différentes : les formes géométriques en aplats de couleurs, pouvant évoquer le Hard Edge (ce mouvement caractérisé par des œuvres peintes aux transitions brusques de couleurs) et la photosérigraphie transposant en surfaces tramées les œuvres réalisées antérieurement en trois dimensions grâce à la colle vinylique. Les livres d’artistes et 7 eaux-fortes de 2016 donnent à voir ses travaux les plus récents et témoignent de ses recherches sans cesse renouvelées.

La très grande diversité des techniques employées au fil du temps et l’originalité de leur approche par l’artiste permettent de nombreux rapprochements avec la collection d’estampes modernes de la bibliothèque de l’INHA. Riche aujourd’hui de quelques 17 000 estampes, la collection a été créée au début du XXe siècle par le couturier, collectionneur et mécène Jacques Doucet (1853-1929). L’oeuvre de Matsutani y entre en résonance avec celle de nombreux autres artistes venant du monde entier. En effet, si les artistes français sont majoritaires (Edgar Degas, Odilon Redon, Paul Gauguin, Henri de Toulouse-Lautrec, Henri Matisse, Raoul Dufy pour ne citer que les principaux), une des forces de la bibliothèque est d’avoir recherché dès sa création les œuvres d’artistes étrangers, alors peu présents dans les collections publiques françaises. Les estampes sont acquises dans les salons (Salon d’Automne, des Indépendants), lors de ventes aux enchères ou encore par le biais de conservateurs de musées et de galeristes européens. Les œuvres d’artistes tels qu’Alice Bailly, Muirhead Bone, Mary Cassatt, Käthe Kollwitz, Ethel Mars, Frans Masereel, Karol Mondral, Edvard Munch, Jean Peské, Emil Orlik ou encore Vincent Van Gogh entrent ainsi dans les collections dès le début du xxe siècle, époque où Jacques Doucet achète, par ailleurs, une centaine d’albums de graveurs sur bois japonais du xviiie siècle comme Okumura Masanobu ou Kitagawa Utamaro. Plus récemment, d’importants ensembles ont encore enrichi cette collection : estampes, dessins et archives de l’artiste silésien installé à Paris Johnny Friedlaender ou encore estampes et livre d’artiste de l’américain Ellsworth Kelly.

Au sein des collections de l’INHA, Matsutani retrouve également d’autres artistes ayant, comme lui, fréquenté le célèbre Atelier 17 fondé par Stanley William Hayter. Leurs oeuvres ont été acquises grâce à des associations de graveurs et d’artistes (Shoichi Hasegawa et Georges Ball), à la faveur de dons (Kiyoshi Hasegawa, Yasuyuki Kihara, Terry Haass), ou encore grâce à l’entrée du fonds d’atelier de l’imprimeur Paul Decottignies (Maria Helena Vieira da Silva, Roger Vieillard, Alberto Giacometti et bien d’autres).

Une exposition : Takesada Matsutani. Estampes (1967-1977) Collections de l’Institut national d’histoire de l’art

De février à mai 2020, l’Institut national d’histoire de l’art organise en partenariat avec les Abattoirs, musée-FRAC Occitanie Toulouse une exposition de l’oeuvre gravé de l’artiste japonais. Les 38 estampes exposées constituent une part très significative de la donation de Takesada Matsutani à l’INHA, ainsi présentée pour la première fois au public. En écho aux autres ensembles montrés ce printemps aux Abattoirs, l’exposition met l’accent sur les premières années parisiennes de l’artiste, période pendant laquelle l’estampe revêt une importance particulière dans son oeuvre.

Le parcours de l’exposition présente quatre ensembles témoignant de la richesse et de la diversité des directions explorées par l’artiste entre 1967 et 1977 : les premiers travaux au sein de l’Atelier 17 (1967), la réflexion autour de la représentation de l’espace dans les deux dimensions de l’estampe (1968-1969), l’exploration de la sérigraphie et des aplats de couleurs comparables au Hard Edge (1969-1971), enfin la réinterprétation par la photosérigraphie d'œuvres antérieures en trois dimensions réalisées à la colle vinylique (1973-1977).

Les estampes sont accompagnées de pièces prêtées par l’artiste : deux plaques gravées, qui sont les matrices de deux des estampes exposées, des outils de graveur, des photographies de l’artiste au travail, les catalogues des expositions internationales et biennales dans lesquelles ses œuvres ont été exposées et primées. Deux vidéos (une interview faite à Paris et une performance réalisée à Los Angeles en 2017) complètent ces objets et donnent un aperçu de l’approche de Matsutani et de l’évolution de son oeuvre jusqu’à ses réalisations les plus récentes. Trois œuvres des années 1990, présentes dans les collections des Abattoirs, sont également montrées à cette occasion. Les 38 estampes et les pièces qui les accompagnent permettent de faire redécouvrir en France tout un pan de l’oeuvre de Matsutani et de rendre sensible le rapport privilégié que l’artiste a entretenu pendant une décennie avec les différents modes d’expression permis par les diverses techniques de l’estampe. Ils donnent aussi à voir plus largement l’importance de l’estampe dans la création artistique internationale des années 1960-1970.