Appel à contributions : Perpective, Autonomie, n°2024-1

Proposition à envoyer avant le 25 janvier 2023

Vue de l’exposition « Préhistoire, une énigme moderne », montrant deux œuvres de Joachim Lutz copiant des peintures pariétales du Zimbabwe (1929), Paris, Centre Georges-Pompidou, 2019. © Pascal Rodriguez

Français

 

La notion d’autonomie est centrale pour appréhender l’œuvre d’art au moins depuis l’essor de la philosophie esthétique au XVIIIe siècle. Elle constitue une donnée majeure de l’histoire de l’art du siècle dernier, au point que le critique Clement Greenberg put en faire la clé de son approche formaliste de la peinture moderniste. A contrario, certains théoriciens tel Peter Bürger (Theorie der Avantgarde, 1974) ont perçu l’offensive menée par les artistes contre l’autonomie de l’art comme le dénominateur commun de l’avant-gardisme.

Ces débats, apparemment circonscrits à la sphère esthétique, invitent pourtant à formuler un constat plus général : si la notion d’autonomie est disputée, c’est qu’elle renvoie à des significations multiples dans les différents domaines des sciences humaines et sociales. Elle peut concerner l’art ou l’esthétique (par rapport aux champs politique, social, moral ou encore religieux), les œuvres d’art elles-mêmes (leur référentialité et, plus largement, leur vie propre – en ce sens elle renverrait aussi à leur réception), l’artiste (dont il conviendrait de lire l’histoire à l’aune de celle de l’avènement de l’individu ou encore, par exemple, à partir de sa définition romantique, plus tardive) et enfin l’histoire de l’art (comme discipline autonome), toutes périodes et aires géographiques confondues. En parallèle de contributions sur les XIXe et XXe siècles qui semblent au premier chef concernés, la revue souhaite donc proposer aux spécialistes de l’histoire de l’art moderne, de la Renaissance, du Moyen Âge et de l’Antiquité de sonder la préhistoire de cette notion partout où l’ordre politique, les structures religieuses et les dynamiques culturelles et sociales ont façonné ou présagé ses définitions contemporaines.

La rédaction invite les contributeurs, en portant leur attention sur les contextes aussi bien extra-occidentaux qu’européens, à repenser l’autonomie avec, pour toile de fond, les déplacements intervenus dans le champ intellectuel au cours des dernières décennies, suivant cinq axes principaux qui constituent autant de pistes de réflexion à partir desquelles des propositions de contribution pourront être formulées :

  1. Il s’agit en premier lieu de réfléchir aux conditions d’application actuelles de l’autonomie en histoire de l’art, à partir des questions apparues d’abord dans le champ de la sociologie institutionnelle. Tout en produisant une critique de cette notion, Andrea Fraser a par exemple souligné la centralité que revêt toujours l’autonomie dans l’art contemporain, en tant qu’indépendance des œuvres visuelles « vis-à-vis de toute rationalisation, de tout usage ou de toute fonction spécifique, qu’ils soient d’ordre moral, économique, politique, social, matériel ou émotionnel » (dans Alberro, 2005, p. 56). Dans quelle mesure ce besoin de conceptualiser s’est-il ou non généralisé ? Quelles définitions disciplinaires nouvelles, quelles notions situées de l’autonomie sont apparues, et par quels canaux ?
  2. Ce numéro souhaite aussi interroger le versant esthétique de ce concept, et travailler à un inventaire de l’héritage de la critique d’art formaliste. Comment les formes artistiques ont-elles accompagné ou refaçonné l’idée d’autonomie, passée de la peinture moderniste défendue par Greenberg à la sculpture minimale, puis à la photographie contemporaine ? Et que reste-t-il de l’utopie de l’autonomie esthétique moderniste, entendue comme levier d’émancipation du spectateur ?
  3. Du point de vue de l’histoire de la discipline, il s’agit de consacrer un axe à l’autonomie de l’histoire de l’art, mais aussi à celle de l’archéologie, des études photographiques et cinématographiques, etc., en tant que savoirs disciplinaires indépendants et spécialisés, en particulier à l’aune des transformations récentes de leurs champs de recherches (appels récurrents à l’interdisciplinarité, importation des studies anglo-américaines, nouvelles méthodes et approches, etc.).
  4. Parallèlement, un axe de réflexion spécifique sera consacré à la dimension politique de la notion d’autonomie appliquée à l’art. Plusieurs fois dans l’histoire, des mouvements artistiques, des artistes, des architectes ou même des historiens de l’art se sont approprié les formes et/ou les discours de certains courants idéologiques ou politiques, et ont tissé des liens avec eux – pensons par exemple aux artistes et théoriciens liés au marxisme ouvriérisme italien, à partir des années 1960 (Galimberti, 2022). Toutefois, l’histoire de l’autonomie politique en art se limite-t-elle à ces seuls usages circonscrits et revendiqués ? Peut-on envisager plus largement les jalons de son histoire ?
  5. Nous souhaiterions enfin aborder, à partir des nouvelles formes d’autonomie de l’imagerie induite par les technologies actuelles, la dimension technique de cette question (savoir-faire artistiques, statut de l’œuvre d’art, auctorialité, etc.). Le cinéaste Harun Farocki l’a souligné très tôt avec son concept d’« image opérationnelle » : le visible est devenu un terrain que les machines organisent pour elles-mêmes. Cette « culture visuelle invisible » peut être un point de départ pour interroger, rétrospectivement, une histoire plus longue de l’autonomie de l’œuvre d’art et des images (Paglen, 2016).

Les auteurs veilleront à tenir compte de la réciprocité entre les objets et les idées : que nous enseignent une image, une œuvre, une forme sur les définitions de l’autonomie qu’elles convoquent ? Que nous apprend l’autonomie sur d’autres éléments du vocabulaire artistique (l’interactivité, l’immersion, …), politique (l’émancipation, l’autodétermination, …) ou savant (l’hétéronomie, la critique, …) ? Quel que soit le sujet proposé, les contributions doivent s’inscrire dans la ligne éditoriale de Perspective qui publie des bilans ou des essais historiographiques inédits sur des questions de fond et/ou relevant de l’actualité de la discipline au sein de la thématique envisagée. Les études de cas ne seront acceptées que dans la mesure où elles sont l’occasion d’aborder des questions critiques de portée plus générale concernant les approches, les orientations et les enjeux de la discipline histoire de l’art.

Perspective : actualité en histoire de l’art

Publiée par l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) depuis 2006, Perspective est une revue semestrielle dont l’ambition est d’exposer l’actualité plurielle d’une recherche en histoire de l’art qui soit toujours située et dynamique, explicitement consciente de son historicité et de ses articulations. Elle témoigne des débats historiographiques de la discipline sans cesser de se confronter aux œuvres et aux images, d’en renouveler la lecture, et de nourrir ainsi une réflexion globale, intra- et interdisciplinaire. La revue publie des textes scientifiques offrant une perspective inédite autour d’un thème donné. Ceux-ci situent leur propos dans un champ large, sans perdre de vue l’objet qu’ils se donnent : ils se projettent au-delà de l’étude de cas précise, et interrogent la discipline, ses moyens, son histoire et ses limites, en inscrivant leurs interrogations dans l’actualité – celle de la recherche en histoire de l’art, celle des disciplines voisines, celle enfin qui nous interpelle toutes et tous en tant que citoyens.

Perspective invite ses contributeurs à actualiser le matériel historiographique et le questionnement théorique à partir duquel ils élaborent leurs travaux, c’est-à-dire à penser, à partir et autour d’une question précise, un bilan qui sera envisagé comme un outil épistémologique. Ainsi, chaque article veillera à actualiser sa réflexion en tissant autant que possible des liens avec les grands débats sociétaux et intellectuels de notre temps.

La revue Perspective est pensée comme un carrefour disciplinaire ayant vocation à favoriser les dialogues entre l’histoire de l’art et d’autres domaines de recherche, des sciences humaines notamment, en mettant en acte le concept du « bon voisinage » développé par Aby Warburg.

Toutes les aires géographiques, toutes les périodes et tous les médiums sont susceptibles d’y figurer.

 

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Autonomie, no 2024 – 1

Rédaction en chef : Marine Kisiel (INHA) et Matthieu Léglise (INHA)

Numéro coordonné avec Maxime Boidy (université Gustave-Eiffel)

Voir la composition du comité de rédaction.

Prière de faire parvenir vos propositions – un résumé de 2 000 à 3 000 signes, un titre provisoire, une courte bibliographie sur le sujet et une biographie de quelques lignes – à l’adresse de la rédaction (revue-perspective@inha.fr) avant le 25 janvier 2023.

Perspective prenant en charge les traductions, les projets seront examinés par le comité de rédaction quelle que soit la langue dans laquelle ils seront rédigés. Les auteurs des propositions retenues seront informés de la décision du comité de rédaction en février 2023, tandis que les articles seront à remettre pour le 1er mai 2023. Les articles soumis, d’une longueur finale de 25 000 ou 45 000 signes selon le projet envisagé, seront définitivement acceptés à l’issue d’un processus anonyme d’évaluation par les pairs.

 

English

 

The notion of autonomy has been key to understanding the work of art, at least since the development of aesthetic philosophy in the eighteenth century. It has been a central constituent of art history over the last century, to the point that critic Clement Greenberg positioned it as the touchstone of his formalist approach to modernist painting. On the other hand, certain theorists, such as Peter Bürger (Theorie der Avantgarde, 1974), consider the offensive that artists have waged against art’s autonomy as the common denominator of avant-gardism.

These debates, though apparently confined to the aesthetic sphere, invite the formulation of a more general observation: if the notion of autonomy is disputed, it is because of the different meanings it evokes in the various branches of the human and social sciences. It can relate to art or aesthetics (with respect to the political, social, moral, or even religious fields), the artworks themselves (their referentiality and, more broadly, their own life—in this sense, it also concerns their reception), the artist (whose history should be considered within the context of the advent of the individual or, for example, from its later Romantic definition), and finally, art history (as an autonomous discipline) all periods and geographical areas combined. In addition to contributions focusing on the nineteenth and twentieth centuries, which seem to be the periods most concerned, the journal would like specialists in the history of modern art, the Renaissance, Middle Ages, and Antiquity, to explore the prehistory of this notion, anywhere the political order, religious structures, and cultural and social dynamics have shaped or anticipated its contemporary definitions.

The editors invite contributors to rethink autonomy within the context of the shifts in the academic landscape that have happened in recent decades, focusing on non-Western as well as European contexts, following five main lines of thought from which contribution proposals can be formulated:

  1. First, there is the question of considering the current conditions of autonomy as applied in art history, beginning from questions that initially appeared in the field of institutional theory. In producing a criticism of this notion, Andrea Fraser, for example, has underlined the centrality that autonomy maintains in contemporary art, as independence of the visual works “from rationalization with respect to specific use or function, whether moral, economic, political, social, material or emotional” (in Alberro 2005, p. 56). To what extent has this need to conceptualize become generalized or not? What new disciplinary definitions, what situated notions of autonomy have emerged, and via what channels?
  2. This issue also seeks to interrogate the aesthetic dimension of this concept and to work on establishing an inventory of formalist art criticism’s legacy. How have artistic forms supported or reshaped the idea of autonomy, from the modernist painting defended by Greenberg to minimalist sculpture, and extending to contemporary photography? And what remains of the utopia of the modernist autonomous aesthetic, understood as a driver of the spectator’s emancipation?
  3. From the perspective of the history of the discipline, it is a question of thinking about art history’s autonomy, but also of archeology, photographic and film studies, and so on, as independent, specialized disciplinary spheres, especially in light of recent transformations in their areas of research (recurrent calls for interdisciplinarity, the importation of Anglo-American studies, new methods and approaches, etc.).
  4. In parallel, an axis will be dedicated to the political dimension of autonomy as applied to art. At several moments in history, artistic movements, artists, architects, even art historians, have appropriated the forms and/or discourse of certain ideological or political currents, weaving links with them: consider the example of the theorists bound to Italian Marxist workerism, beginning in the 1960s (Galimberti 2022). However, is the history of political autonomy in art limited to these defined and already claimed uses? Can we consider the landmarks of its history in a more comprehensive perspective?
  5. Finally, we would like to reflect, from the perspective of the new forms of imagery autonomy induced by current technologies, on the technical dimension of this question (artistic expertise, status of the artwork, auctoriality, etc.). Quite early, filmmaker Harun Farocki underlined this with his concept of “operational image”: the visible has become a terrain on which machines organize for themselves. This “invisible visual culture” can be a starting point to investigate, in retrospect, a longer history of the autonomy of artwork and images (Paglen 2016).

Authors should take into account the reciprocity between objects and ideas: what does an image, a work, a form, teach us about the definitions of autonomy that they invoke? What does autonomy teach us about other elements of the artistic vocabulary (interactivity, immersion, and so on), the political (emancipation, self-determination, etc.), or the academic (including heteronomy and criticism)? No matter the proposed subject, contributions must be in line with the editorial guidelines of Perspective, which publishes overviews and historiographic essays on substantive issues underpinning and/or relevant to the discipline’s latest developments within the proposed theme. Case studies are only acceptable in so far as they provide the opportunity to address critical questions of a more general nature concerning the approaches, orientations, and stakes of the discipline of art history.

Perspective : actualité en histoire de l’art

Published by the Institut national d’histoire de l’art (INHA) since 2006, Perspective is a biannual journal which aims to bring out the diversity of current research in art history through a constantly evolving approach that is explicitly aware of itself and its own historicity and articulations. It bears witness to the historiographical debates within the field, while remaining in continuous relation with the images and works of art themselves, updating their interpretations, and thus fostering global, intra- and interdisciplinary reflection. The journal publishes scholarly texts which offer innovative perspectives on a given theme. These may be situated within a wide range, yet without ever losing sight of their larger objective: going beyond any given case study in order to interrogate the discipline, its methods, history and limitations, while relating these questions to topical issues from art history and neighboring disciplines that speak to each of us as citizens.

Perspective invites contributors to update their historiographical material and the theoretical questionings from which they draw their work, to think from and around the starting point of a precise question, an assessment that will be considered an epistemological tool rather than a goal in itself. Each article thus calls for a new approach creating links with the great societal and intellectual debates of our time.

Perspective is conceived as a disciplinary crossroads aiming to encourage dialogue between art history and other fields of research, the humanities in particular, and put into action the “law of the good neighbor” developed by Aby Warburg.

All geographical areas, periods, and media are welcome.

 

Call for papers


Autonomy
, no. 2024 – 1

Editors in chief: Marine Kisiel (INHA) and Matthieu Léglise (INHA)

Issue coordinated with Maxime Boidy (Université Gustave-Eiffel)

See the members of the editorial committee.

Please send your proposals – a summary of 2,000 to 3,000 characters / 350 to 500 words, a working title, a concise bibliography on the subject, and a short biography – to the editorial contact (revue-perspective@inha.fr) before January 25, 2023.

Perspective will provide translations for the editorial committee; all projects will be reviewed regardless of the language the proposal is submitted in. Authors of the successful proposals will be notified of the editorial committee’s decision in February 2023, and the completed articles will be due by May 1, 2023. Submitted papers, with a final length of 25,000 or 45,000 characters / 4,500 or 7,500 words depending on the project, will be accepted after an anonymous peer-review process.

[English translation: Bronwyn Mahoney]