« Substrat », une œuvre de Dove Allouche pour la salle Labrouste

Substrat, une œuvre de Dove Allouche réalisée pour la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art - salle Labrouste dans le cadre du 1% artistique*

Substrat est une œuvre de Dove Allouche composée de 20 volumes rassemblant 4500 images de colonies de micro-organismes prélevées sur autant de catalogues raisonnés d’artistes appartenant aux collections de la bibliothèque de l’INHA. Elle met en évidence la participation du vivant aux artefacts culturels, la relation entre un artiste et ses parasites. L’ensemble constitue une œuvre à la fois monumentale et discrète, témoignant des formes de vie invisibles qui se développent continuellement dans l’architecture conçue par Henri Labrouste et sur les livres qui y sont conservés. Elle est déposée en première galerie de la salle Labrouste et consultable dans l’espace Jacques Doucet.

Depuis sa réouverture en 2016 et son installation dans la salle Labrouste, sur le site Richelieu, la bibliothèque de l’INHA met à disposition des étudiants et des chercheurs en histoire de l’art, l’une des plus grandes collections au monde d’ouvrages dans les domaines de l’histoire de l’art et de l’archéologie : 1,7 million de documents déployés sur 4 500 m². L’une de ses originalités est de proposer en libre accès 150 000 livres et revues sur les rayonnages de la salle Labrouste et du magasin central.

C’est dans le contexte du chef-d’œuvre architectural conçu par Henri Labrouste, de l’ampleur extraordinaire des collections et enfin du dialogue avec les usagers de la bibliothèque que Dove Allouche a pensé le projet Substrat comme commande publique du 1  % artistique destinée à la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art.

Dove Allouche, Substrat, 2019-2020, ensemble de 20 volumes indissociables et numérotés de I à XX, 30,5 x 22 x 4 centimètres (chaque volume), détail. © INHA / photo : Aurélien Mole

Tous les biens culturels présents dans les fonds de musées, d’archives et de bibliothèques doivent être conservés le plus longtemps possible et, pour ce faire, être maintenus dans un environnement approprié. Parmi les multiples causes de dégradation qui les menacent, la présence de moisissures est l’un des problèmes les plus fréquents et constitue un risque réel pour les collections. Ces microorganismes peuvent détériorer, dégrader, voire détruire tous les matériaux constitutifs des collections. Démarrée il y a plusieurs années, la collaboration de Dove Allouche avec le pôle bio-détérioration et environnement du Centre de recherche sur la conservation des collections (CRCC) a d’abord produit la série d’œuvres Fungi. Il était question d’établir un inventaire des souches fongiques présentes dans les réserves de musées français et étrangers. Après avoir rassemblé les principales informations concernant la biologie, la physiologie, la biochimie et l’écologie des souches responsables de la bio-détérioration des collections, Dove Allouche réalisait une série d’images photographiques correspondant au développement naturel de chaque spore, combinée à la production de verres soufflés spécifiques. L’artiste souhaitait mettre en évidence la prédominance du vivant sur les artefacts culturels. L’immense biodiversité des micromycètes, environ 10 millions d’espèces de moisissures et levures, ainsi que leur date d’apparition sur Terre, environ 450 millions d’années, précédent en tous sens l’existence des collections patrimoniales qui leur servent de substrat.

Dove Allouche, Substrat, 2019-2020, ensemble de 20 volumes indissociables et numérotés de I à XX, 30,5 x 22 x 4 centimètres (chaque volume), détail. © INHA / photo : Aurélien Mole

Pour Substrat, 2019-2020, Dove Allouche a poursuivi ce travail de recherche sur la présence de micro-organismes au sein du corpus Artistes vu en tant que substrat. Son intention était de produire des images correspondant aux contaminations fongiques présentes sur les monographies d’artistes. Son choix s’est resserré sur les 4 500 catalogues raisonnés en accès libre sur les rayonnages de la salle Labrouste et de son magasin central attenant, car ils constituent précisément un genre fondateur de l’histoire de l’art. Définie comme une «  étude complète et détaillée qui se propose d’épuiser un sujet précis et relativement restreint », la monographie s’impose depuis les Vies de Giorgio Vasari comme la forme éditoriale principale du discours en histoire de l’art. Dans le domaine artistique, la monographie est un genre très vaste qui inclut la forme du catalogue raisonné, c’est-à-dire le regroupement, sous un même auteur, de toutes les œuvres produites.

Chaque ouvrage a fait l’objet d’un échantillonnage en suivant rigoureusement le classement alphabétique par noms d’artistes nés avant et après 1870 selon lequel les ouvrages sont répartis sur les rayonnages de la bibliothèque. La méthode utilisée reposait sur l’écouvillonnage (prélèvement à sec à l’aide d’un écouvillon) de quelques microgrammes de poussière située sur le dos des ouvrages à analyser. Cette poussière a été le matériau principal du projet. Présente dans l’environnement immédiat des ouvrages (air, surfaces, êtres humains), elle est l’un des principaux responsables des dommages engendrés sur le patrimoine, car elle véhicule des particules organiques et des micro-organismes dont certains peuvent adhérer aux surfaces et dégrader le substrat grâce aux enzymes spécifiques qu’ils produisent. 

Par la suite, les prélèvements réalisés in situ ont été mis en culture selon un protocole simple et efficace : chaque écouvillon a été hydraté dans une solution pour la mise en suspension de l’échantillon puis déposé sur un Pétri film contenant un milieu de culture déshydraté. Après une période d’incubation de six jours à 24° Celsius, les Pétri films révélaient l’état de contamination fongique de l’échantillon sous la forme de tâches colorées représentant les colonies de la moisissure.

À ce stade du projet, l’intention de l’artiste était d’établir une correspondance visuelle entre chaque catalogue raisonné et l’espèce vivante qui le colonise.

Les Pétri films ont été numérisés en haute définition puis imprimés. Les impressions ont été reliées en 20 volumes différents, de 225 planches chacun, réunis dans un coffret. La couleur bleu-vert des reliures fait écho à la dominante chromatique des fresques végétales d’Alexandre Desgoffe, présentes dans la salle Labrouste, ainsi qu’au phénomène de sporulation lui-même : l’apparition des premières colonies fongiques prend la forme de tâches colorées bleues et vertes.

Dove Allouche, Substrat, 2019-2020, ensemble de 20 volumes indissociables et numérotés de I à XX, 30,5 x 22 x 4 centimètres (chaque volume), détail. © INHA / photo : Aurélien Mole

Comme le dit l’artiste  : « Substrat est une œuvre monumentale dans le prolongement de la logique de collection de l’INHA. J’attache une importance et une attention particulière à la place qu’occupera l’œuvre au regard des collections, ainsi qu’à son choix d’emplacement. La rénovation de la bibliothèque de l’INHA a consisté à révéler la qualité propre de chaque espace en cohérence avec la longue histoire du site. Chaque transformation a été pensée de façon globale en prenant en compte l’emboitement des espaces avec une volonté constante de rester en retrait face au monument. Soucieux de m’inscrire dans ce même mouvement de retrait, j’exclue toutes formes de dispositif ostentatoire qui viendrait s’ajouter au mobilier déjà présent dans la bibliothèque. »

Chaque volume se termine par un index correspondant aux références des catalogues raisonnés d’où proviennent les visuels de champignons imprimés, et chaque index a été conçu de sorte à faire apparaître le plus clairement possible les noms des artistes, titres, auteurs, éditeurs et années d’édition.

Comme une mise en abyme, cette œuvre monumentale prend place à son tour dans les rayonnages de la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art. Elle se découvre, comme tous les ouvrages : lors de sa consultation.

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*Cette œuvre, créée au titre du 1 % artistique, s’inscrit dans le cadre de la réhabilitation du site Richelieu menée par l’architecte Bruno Gaudin et dont la maîtrise d’ouvrage a été déléguée par le ministère de la Culture à l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic). Au total ce sont trois interventions artistiques instaurant un dialogue inédit entre passé et présent qui ont été choisies par chacune des trois institutions : un projet photographique monumental de Dove Allouche dans la salle Labrouste pour l’Institut national d’histoire de l’art, une sculpture de verre de Jeremy Maxwell Wintrebert dans la rotonde de la bibliothèque de l’Ecole nationale des chartes et une création paysagère de Gilles Clément dans le jardin Vivienne pour la Bibliothèque nationale de France.