Sismographie des luttesVers une histoire globale des revues critiques et culturelles

Si les revues donnent lieu à de nombreux recensements, rarement il nous a été donné de lire, de voir et d’entendre un programme tel que « Sismographie des luttes. Vers une histoire globale des revues critiques et culturelles ».  Sur deux siècles et quelques 1000 revues non-européennes ou diasporiques, que présente ce projet, on éprouve une voix de l’humanité qui avait été dissoute, voire étouffée dans les limbes de l’histoire coloniale de la période moderne. Comment rendre sensible, concrète et intelligible une telle voix ? Comment lui donner une matérialité et au travers de quels médiums ? Et à qui la restituer ? Et pour quelle raison ? C’est toute l’ambition du projet engagé en 2015 à l’Institut national d’histoire de l’art sous la direction de Zahia Rahmani, écrivaine et historienne de l’art, qui trouve aujourd’hui son aboutissement dans une proposition globale qui témoigne à la fois de la recherche et de la ressource mise à jour mais aussi de la sensibilité des objets ainsi révélés. 

Participer d’une meilleure connaissance des productions revuistiques critiques non-européennes et en partager l’archive avec le plus grand nombre, notamment avec les populations concernées par ces revues, a nécessité de penser une présentation d’une grande mobilité et aussi d’en valider l’accès pour tous via une base de données. C’est ce qui a été soutenu par les instances scientifiques de l’INHA.

« Sismographie des luttes », c’est :

- une base de données en accès libre :  sismo.inha.fr 
          un recensement de 1000 revues non européennes dont plus de 600 vers leurs liens numériques ;

 - deux ouvrages critiques coédités par l'Institut national d'histoire de l'art et les Nouvelles éditions Place
          Sismographie des luttes – Épicentres, vol 1,un catalogue construit sous la forme d’une chronologie historique dédiée au contexte d’émergence des revues non européennes à travers le monde ; 
          Sismographie des luttes –  Répliques, vol 2, recueil de textes critiques regroupant une vingtaine d’auteurs ; 

- une exposition itinérante, sous forme d’une installation audiovisuelle présentant quelques 900 documents accompagnés d’une bande son originale de Jean-Jacques Palix. 

Sismographie des luttes – Vers une histoire globale des revues critiques, est un projet issu du programme de recherche « Art global et périodiques culturels » inauguré en 2015 à l’INHA au sein du domaine Histoire de l’art mondialisée, dirigé par Zahia Rahmani. Dédié aux revues produites en dehors de l’Europe ou en situation diasporique aux XIXe et XXe siècles dans la suite des courants révolutionnaires nés à la fin du XVIIIe siècle jusqu’aux mouvements de décolonisation qui ont suivi. Le programme a rassemblé un collectif international de chercheurs et d’acteurs de la scène artistique et a par la suite donné lieu au recensement de plus d’un millier de revues. Il témoigne de la dynamique sociale, intellectuelle, artistique et politique qui s’est exercée dans le monde à travers les revues critiques et culturelles. Il est aussi le résultat d'un processus de recherche engagée, multilingue et décentrée.

L’objet central de cette recherche est celle de la revue, devenue, de part le monde, un support d’expression critique générateur d’une puissante modernité. Elle a permis à des groupes de femmes et d’hommes, à des intellectuels et des artistes de structurer leurs ressources propres et leur vocabulaire, de produire une archive de la pensée et d’élaborer un récit alternatif au cœur des empires coloniaux. C’est ce récit que restitue cette recherche.

Une exposition itinérante

L'exposition « Sismographie des luttes : Vers une histoire globale des revues critiques et culturelles » rend compte d’un recensement de revues non-européennes ou produites en situation diasporique, dans la suite des courants révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au basculement de l’année 1989 et la fin du monde des deux blocs. Les populations des territoires nommés dans cette œuvre visuelle et sonore ont connu le colonialisme, les pratiques esclavagistes, l’apartheid et le génocide. D’autres subiront de violentes dictatures, de fortes convulsions politiques et culturelles. La lutte contre l’esclavage est peut-être à la source de ce que l’on nomme une revue critique et culturelle, soit un objet matriciel de la modernité. Tout comme la lutte contre le colonialisme. Si par sa nature le colonialisme a affecté nombre de communautés en leurs cohésions sociale et culturelle, ce dernier a lui aussi été extrêmement combattu par l’écrit et le geste. L’exposition opère comme un moteur épistémologique et a donné lieu à un programme scientifique du même nom et deux publications à vocation culturelle et scientifique.

Conçue et réalisée en collaboration avec Thierry Crombet, de l’agence Relativ Design, pour le montage des images, et Jean-Jacques Palix pour la bande sonore originale, cette collaboration a donné lieu à une installation audiovisuelle en multi-projection qui présente sur deux siècles, un long continuum d’inventions graphiques et textuels fait de quelques 800 documents, ponctuées par les portraits de femmes et d’hommes qui par leurs engagements artistiques, littéraires et politiques ont marqué à jamais l’histoire des revues comme organe essentiel des luttes pour l’émancipation.

Sismographie des luttes – Vers une histoire globale des revues critiques et culturelles
, a été présentée pour la première fois à l’INHA en 2017 puis en 2018 durant la Biennale de Dakar à RAW Material Company, puis à Kulte - Center for Contemporary Art à Rabah au Maroc, à La Compagnie à Marseille et à la Gallatin Gallery de l’Université de New-York. En 2019 elle a été présentée aux Abattoirs de Toulouse, puis à l'Alliance Française de Cali en Colombie à l'occasion de la Foire Internationale du Livre, ainsi qu'au Beirut Art Center au Liban. En 2020, elle était une des pièces majeures du Dakha Art Summit « Seismic Movements ». En 2021, elle est exposée à Paris au Centre Pompidou / Musée national d'art moderne et au Middelheim Museum à Anvers, dans le cadre de l’exposition « Congoville ». Cette œuvre sera présente en 2022-2023 au Carnegie Museum of Art de Pittsburg dans le cadre de la 58th Carnegie International. 

Deux ouvrages critiques

Un catalogue, Sismographie des luttes – Épicentres et un ouvrage critique, Sismographie des luttes – Répliques parachèvent cette recherche. Ils sont publiés aux Nouvelles Éditions place. Au fil d’une chronologie historique dans laquelle se juxtaposent les continents Afrique, Amérique, Asie, Océanie (– de la première revue recensée (1817) jusqu’à l’année 1991 –, une histoire mondiale apparaît. Elle dit le colonialisme à grande échelle mais aussi l’intensité des luttes et des inventions qui ont été nécessaires pour le combattre. Ce catalogue invente une forme éditoriale pour témoigner de la dynamique sociale, intellectuelle, artistique et politique qui s’est exercée à cet effet à travers ces revues. L’objet qui en est issu se situe au croisement de l’art et de l’histoire, de la pensée et de la politique et vise à mettre à la disposition du plus grand nombre un matériau largement inédit pour nourrir les pratiques critiques contemporaines.

Pensé comme le second volet d’Épicentres, Répliques rassemble les études critiques d’un collectif international de chercheurs et d’acteurs de la scène artistique. Leurs travaux permettent de réévaluer la portée des revues critiques et culturelles produites dans des espaces géographiques souvent absents des études dédiées aux revues - et de fait absents des ouvrages consacrés à celles et ceux qui ont participé de la vie des idées -  et de mettre en lumière l’intensité des échanges à l’échelle mondiale. 

Ces publications démontrent également la pertinence d’une histoire des revues et, à travers elle, d’une histoire globale de l’art, de la culture et de la critique, traçant sur quelques deux siècles diverses voies culturelles, politiques et théoriques méconnues.

 

Une base de données

Pour permettre à chacun d’accéder à ces ressources, une base de données, en accès libre, héberge le recensement des 1 000 revues critiques et culturelles non-européennes ou diasporiques des XIXe et XXe siècles menée dans le cadre du programme de recherche (Portail mondial des revues lié à AGORHA, qui regroupe l’ensemble des bases de données développées par l’INHA). Les revues y sont présentées sous forme de notices descriptives enrichies de bibliographies critiques et de liens vers leurs corpus numérisés. Il est possible de naviguer sur le portail par le biais d’index thématiques (aires, sujets, contributeurs, langues), d’une carte géographique interactive et d’une visualisation des réseaux des contributeurs. Cet outil témoigne des échanges intellectuels à l’échelle mondiale permettant de révéler des nouvelles dynamiques critiques mettant au jour des liens méconnus et de découvrir des périodiques rares.

Par cohérence avec les objectifs du programme et en accord avec les institutions partenaires, ce portail est en accès libre et forme ainsi un matériau unique pour toute personne à travers le monde.