Hommage à Michel Laclotte

Michel Laclotte, né à Saint-Malo le 27 octobre 1929, vient de mourir à Montauban, le 10 août 2021. Avec lui, l’Institut national d’histoire de l’art perd l’un de ses fondateurs et inspirateurs et un ami fidèle ; la communauté internationale d’histoire de l’art, l’un de ses membres les plus actifs et les plus éminents ; la France, l’une de ses personnalités les plus constructives, les plus attachées au service public, dont les décisions, aussi bien à la tête du Louvre entre 1987 et 1994 qu’à celle des missions de préfiguration du musée d’Orsay puis de l’INHA, alliaient la rigueur et l’ambition scientifique à l’engagement visionnaire, au courage politique et à la droiture.


Michel Laclotte fut d’abord un grand historien de l’art et, tant que ses forces le lui permirent, il le resta, bien après qu’eut sonné l’heure de la retraite officielle. Doué d’un œil extraordinaire et d’une érudition prodigieuse, il se fit d’abord connaître, tout jeune conservateur des musées, au début des années 1950, pour ses travaux de redécouverte et d’attribution, en particulier des peintures du Trecento et du Quattrocento, parmi lesquelles bon nombre de celles qui figurent aujourd’hui dans les collections du musée du Petit-Palais d’Avignon, l’un de ses enfants, ouvert en 1976 grâce à son action inlassable et à sa force de conviction pour réunir en un seul lieu les collections de Primitifs italiens rassemblées au XIXe siècle par Giampietro Campana et depuis lors dispersées entre le Louvre et les musées de province. Après la création de l’INHA, il fut d’ailleurs à partir de 2001 le concepteur et l’animateur central de l’un de ses principaux programmes de recherche, toujours actif, le Répertoire des tableaux italiens dans les collections publiques françaises (RETIF). Devenu directeur du département des Peintures du Louvre en 1966 et le restant pendant vingt ans, il y organisa expositions majeures, accrochages magistraux et programmes de restauration efficaces et patients, s’entourant des meilleurs collègues, aussi bien conservateurs qu’universitaires et formant plusieurs générations de conservateurs. Il aimait discuter avec les jeunes historiens d’art et avec celles et ceux qui, au fil d’années de travail commun, composaient une véritable famille, nous recevant généreusement dans son appartement de la rue du Pré-aux-Clercs, pour des discussions à la fois animées et passionnées sur les artistes qu’il aimait – et parmi ceux-ci nombre de ses contemporains, dont Pierre Soulages – ou sur les évolutions de l’histoire de l’art et des politiques culturelles, aussi bien nationales qu’internationales. En 1987, il fut nommé directeur puis président-directeur du Louvre lorsque celui-ci devint un établissement public, fonction qu’il occupa jusqu’en 1994. Convaincu de la nécessité de moderniser ce musée pour en faire le « Grand Louvre », il fut l’interlocuteur privilégié à la fois du président de la République, François Mitterrand, de l’architecte, Ieoh Ming Pei, et de l’ensemble des conservateurs du musée. Il y organisa en particulier la redistribution des collections et la création de nouveaux services (service culturel, éditions) qui témoignent de sa conviction profonde qu’un musée ne peut être vivant sans politique scientifique forte et ouverte, en parallèle, aux publics les plus larges, qu’il faut accompagner.


Spécialiste de peinture italienne, Michel Laclotte ne s’y limita jamais. Dès 1972, il avait été convaincu de la nécessité de créer un grand musée du XIXe siècle et de ce que, plutôt que de démolir l’ancienne gare d’Orsay, celle-ci pouvait en être le lieu. Il en assura la mission de préfiguration jusqu’à son ouverture, en 1986, soutenant en particulier le projet de l’architecte Gae Aulenti et organisant un dépassement des clivages traditionnels entre ceux qui ne voulaient voir dans l’histoire de l’art de ce siècle qu’une préfiguration des avant-gardes du XXe siècle et ceux qui défendaient l’importance des traditions académiques (ce qu’on appelait encore « peinture pompier »). En 1994, lui fut confié un rapport pour « préciser les orientations définitives » de l’Institut national de l’histoire de l’art, qui fixa, à la suite des précédents rapports qui s’étaient succédé depuis les années 1980, les contours et la structure de l’institut, insistant sur la présence sur un même site des unités d’enseignement et de recherche en histoire de l’art de la région parisienne, de l’École nationale du patrimoine (devenue depuis Institut national du patrimoine) et de l’École nationale des chartes, ainsi que de divers organismes spécialisés, publics et privés, appuyés par le regroupement de quatre bibliothèques (Bibliothèque d’art et d’archéologie – Jacques Doucet, Bibliothèque centrale des musées nationaux, Bibliothèque de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts et Bibliothèque de l’École des chartes) qui constitueraient ainsi un ensemble documentaire unique au monde. Travaillant inlassablement avec une équipe soudée, d’abord dans un petit préfabriqué sur la place du Carrousel puis rue Vivienne, il confia, en 1999, la présidence de l’association de préfiguration de l’institut à Alain Schnapp, professeur à l’université Paris 1, jusqu’à ce que l’INHA soit officiellement créé, en 2001. L’une de ses préoccupations majeures – et l’un de ses héritages les plus importants – aura été que le monde des musées et celui de la recherche universitaire puissent y trouver un espace de collaboration continue, fructueuse et, pour ainsi dire, familière. Jusqu’à la fin de sa vie, tant qu’il put se déplacer, il venait chercher le courrier volumineux qui lui était adressé à l’INHA, frappant chacune et chacun des agents de notre institut par sa curiosité affable et son attention. C’est une autorité et un ami que nous pleurons aujourd’hui.

Éric de Chassey