Acquisition des archives Guy Loudmer

Dossier de la vente de la collection de tableaux de Francis Picabia appartenant à Marcel Duchamp, faite à Drouot le 8 mars 1926 par le commissaire-priseur Alphonse Bellier. Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, Archives 162.

Parmi les récentes acquisitions de la bibliothèque de l'INHA figure celle des archives du commissaire-priseur Guy Loudmer. Très complètes, elles couvrent une majeure partie du XXe siècle et fourniront des informations précieuses pour la recherche sur l'histoire de l'art et de son marché.

Couvrant une période qui s’étend de 1903 au début des années 2010, cet ensemble se constitue des fonds de trois commissaires-priseurs qui se sont succédés à l’étude jusqu’à Guy Loudmer : Alphonse Bellier, actif entre 1920 et 1958, Raoul Oury, entre 1959 et 1965, et Guy Loudmer, jusqu’en 1998. Les papiers de ce dernier ne se limitent pas à son activité de commissaire-priseur, mais couvrent également son activité ultérieure d’expert et de consultant. À ces archives s’ajoutent une partie de celles de la galerie créée par Heinz Berggruen, dont G. Loudmer occupait les locaux jusque récemment. À travers cette acquisition considérable (plus de 76 mètres-linéaires) sont mis en lumière la manière de travailler et le réseau de ces acteurs majeurs du marché de l’art récent.

Le grand intérêt de ces archives de commissaires-priseurs réside en leur richesse et leur continuité chronologique. Chacun des trois fonds est organisé d’une manière similaire et compte en particulier des dossiers de vente comprenant des listes de vendeurs, des états de vente, parfois de la correspondance et des photos des œuvres, ainsi que des documents sur l’organisation pratique de la vente (parution dans la presse, confection des catalogues, des affiches, etc.). Ces dossiers sont complétés par les catalogues des ventes, souvent annotés, et par de la documentation comptable, de la correspondance, parfois des dossiers de contentieux (en particulier pour Bellier et Loudmer). La rareté de ce type de documents dans les institutions publiques doit être soulignée, puisque la seule source aussi massive se trouve aux Archives de Paris, dans les archives des procès-verbaux des ventes parisiennes (qui concernent tous les commissaires-priseurs parisiens, mais qui ne comportent que rarement des dossiers de vente).

Guy Loudmer, qui a tenu à ce que ces papiers restent en France et soient accessibles au public dans une institution de recherche, a également cédé les documents subsistant de la galerie Berggruen. Grande figure du marché de l’art du second XXe siècle, marchand notamment de Klee et Picasso, Heinz Berggruen (1914–2007) fonde sa galerie à Paris juste après la seconde guerre mondiale, et elle continue son activité après son départ, en 1981. Subsistent en particulier de ces archives les albums photos des œuvres passées par la galerie, liés par un système de numérotation à des fichiers de clients. Des dossiers propres à Klee et Kandinsky ainsi que toute l’activité éditoriale de la galerie sont également présents dans ce fonds.

Ces archives importantes constituent un apport indéniable pour l’histoire de l’art et du marché de l’art du XXe siècle. Une telle continuité et une telle précision dans la documentation de commissaires-priseurs, dont deux majeurs pour la période, est rare et précieuse. Lors du premier tiers du XXe siècle, les grands noms émaillent les dossiers des ventes dirigées par Alphonse Bellier : vente de la collection des Picabia de Marcel Duchamp en 1926, vente de la collection de sculptures africaines et océaniennes de Maurice Vlaminck en 1937, dispersion de la collection Félix Fénéon en quatre ventes entre 1941 et 1947. L’activité de Guy Loudmer forme d’ailleurs une continuité, avec des ventes issues de grandes successions (Nadia Léger, Maeght, Étienne-Martin).

Alphonse Bellier est resté très actif dans le monde des ventes entre 1940 et 1944, et ces archives apporteront des éléments essentiels aux études autour des spoliations et aux recherches de provenances, auxquelles l’INHA participe à travers son programme sur les acteurs du marché de l’art en France sous l’Occupation. Ces documents entrent ainsi en résonnance avec d’autres fonds conservés à la bibliothèque de l’INHA, en particulier le fonds de la galerie Élie Fabius, dont Bellier a vendu le stock en 1942 ; un procès suivra la fin de la guerre, dont on trouve des traces dans les deux fonds. Plus largement, ces archives permettront un travail approfondi sur la circulation d’œuvres majeures ou moins connues, notamment par les éléments indispensables que sont les sources manuscrites, les noms de acheteurs, des vendeurs, des experts, et l’iconographie, en particulier celle de la galerie Berggruen. Elles complètent en ce sens les sources déjà présentes à l’INHA, comme la collection de cartons d’invitation ou bien le riche ensemble de catalogues de vente.

Il importe de préciser que l’ensemble acquis par l’INHA fait l’objet de restrictions de communication, sur des critères chronologiques. Il s’agit de protéger la vie privée des acteurs de transactions très récentes et de suivre la logique adoptée par les Archives de Paris pour les procès-verbaux de vente (délai de 75 ans). Les délais de communicabilité du fonds Loudmer sont ainsi fixés à 50 ans. Une fois traités, les fonds Bellier et Oury seront par conséquent les seuls accessibles dans un premier temps. Outre son apport aux travaux immédiats, cette acquisition permet donc à la bibliothèque de l’INHA de s’inscrire dans les préoccupations de recherche sur le temps long.

La bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art accroît régulièrement ses collections de nouveaux fonds d’archives, en vue de documenter le monde de l’art dans toutes ses acceptions et d’offrir des sources de première main à la recherche en histoire de l’art. En concertation avec les autres institutions, ses domaines d’excellence en la matière poursuivent l’impulsion donnée par Jacques Doucet et ses collaborateurs d’une part, et la bibliothèque centrale des Musées nationaux d’autre part. La politique d’enrichissement se tourne donc particulièrement vers les archives d'historiens de l'art et d'archéologues, et vers celles des différents acteurs du marché de l'art.

Cette acquisition a été rendue possible grâce au soutien du Fonds du patrimoine du ministère de la Culture.