Huysmans illustré (2/2)La Cathédrale

En pendant à l’exposition que le musée d’Orsay consacre à l’écrivain Joris-Karl Huysmans (1848-1907), ce billet rend compte de l’édition illustrée de deux de ses œuvres. Après un premier volet consacré à La Bièvre illustré par Auguste Lepère, les lignes qui suivent attirent l’attention sur un corpus iconographique qui se trouve dans le riche fonds d’estampes et de livres illustrés de la bibliothèque de l’INHA.

Les dessins que Charles Jouas (1866-1942), dessinateur-graveur de Paris, a consacrés à Notre-Dame furent remarqués et l’artiste fut choisi en 1905 par la collection de l’Académie Goncourt pour illustrer Le Quartier Notre-Dame de J.-K. Huysmans. Visiblement satisfait, l’écrivain demanda à l’illustrateur de participer à une publication illustrée de La Cathédrale chez les éditeurs d’art A. Blaizot et R. Kieffer ; elle parut en 1909. C’était cette fois la cathédrale de Chartres qui était au centre de ce roman, achevé en 1898.

Charles Jouas, projet de frontispice pour La Cathédrale de J.-K. Huysmans, Paris, 1909. Paris, bibliothèque de l'INHA, Fol Res 867, f. 1
Charles Jouas, projet de frontispice pour La Cathédrale de J.-K. Huysmans, Paris, 1909. Paris, bibliothèque de l’INHA, Fol Res 867, f. 1

La bibliothèque de l’INHA possède un portefeuille de 40 estampes à l’eau-forte, pointe sèche et aquatinte, préparatoires à l’édition de 1909 (à ne pas confondre avec celle, très différente, de 1919). Plusieurs planches comportent trois motifs : une illustration principale (en-tête de chapitre) où l’architecture est souvent première, une grande vignette ou une lettrine richement ornée, et un motif adventice, souvent un élément sculpté. D’autres planches ont été gravées en vue d’être publiées en pleine page ou au contraire, associées au corps du texte.

Le dessin s’approche du texte lorsque celui-ci se fait concret, lors de la description d’un portail (p. 175) ou du vent qui ouvre le roman (ci-dessous). Jouas ne tente pas de suivre Huysmans lorsque celui-ci s’attache aux dispositions intérieures et à l’itinéraire de l’âme de son personnage Durtal. Le graveur prête sa pointe à la représentation matérielle de l’édifice, support des méditations de l’auteur. Cette figuration n’en est pas moins pertinente eu égard à la forte dimension didactique du propos de Huysmans, qui souhaitait réhabiliter le « livre de pierre » qu’était en son fond la cathédrale.

Charles Jouas, illustration pour La Cathédrale, 1909. En-tête : Portail occidental, Lettre ornée : L’angelot. À gauche : épreuve préparatoire. Paris, bibliothèque de l'INHA, Fol Rés 867, f. 37 ; à droite : version publiée
Charles Jouas, illustration pour La Cathédrale, 1909. En-tête : Portail occidental, Lettre ornée : L’angelot. À gauche : épreuve préparatoire. Paris, bibliothèque de l’INHA, Fol Rés 867, f. 37 ; à droite : version publiée

Les gravures de Jouas se distinguent par leur cadrage, et c’est peut-être la touche moderne de ce graveur-dessinateur. Ainsi, dans son portrait de Huysmans surplombant la cathédrale qui s’élève sur la plaine de la Beauce (voir vignette d’entrée), l’inscription dans une ouverture trilobée est-elle particulièrement suggestive d’une correspondance intime, d’une participation de l’auteur à son sujet. Dans la Vue de Chartres depuis le clocher neuf (ci-dessous), le toit et la gargouille servent d’enceinte protectrice à la ville dans laquelle le protagoniste vient s’installer. Les vues da sotto in sù et depuis l’est (ci-dessous) dénotent une recherche des différents modes d’apparition de l’édifice, dont l’auteur par moments s’éloigne. Le dessinateur le quitte peu, comme si l’univers extérieur et intérieur de Durtal était en permanence habité par la cathédrale, véritable sujet du livre.

J.-K. Huysmans, La Cathédrale, illustré de 64 eaux-fortes originales de Charles Jouas, Paris, 1909. En-tête : Vue de Chartres depuis le clocher neuf, Lettre ornée : Sainte Anne et la Vierge (vitrail du transept nord) ; 4e état. À droite : La cathédrale vue du dessous et depuis l’est ; 2e état. Paris, bibliothèque de l'INHA, Fol Res 867, f. 4 et 24.
J.-K. Huysmans, La Cathédrale, illustré de 64 eaux-fortes originales de Charles Jouas, Paris, 1909. En-tête : Vue de Chartres depuis le clocher neuf, Lettre ornée : Sainte Anne et la Vierge (vitrail du transept nord) ; 4e état. À droite : La cathédrale vue du dessous et depuis l’est ; 2e état. Paris, bibliothèque de l’INHA, Fol Res 867, f. 4 et 24.

Depuis celle de Victor Hugo, la cathédrale est aussi une demeure. En réponse aux accents mystiques de Huysmans, Jouas recrée l’atmosphère en fort clair-obscur de la crypte où viennent prier les religieuses, ainsi qu’une messe où une lumière surnaturelle vient rompre l’obscurité (ci-dessous). Le graveur exploite la métaphore romantique de la cathédrale gothique comme forêt : les « vivants piliers » évoqués par Baudelaire dans Correspondances se prolongent ici par des arcs/branches s’entremêlant sur la voûte. La métaphore végétale est aussi à l’œuvre dans plusieurs points de vue sur les arcs-boutants, à l’évidente séduction plastique (ci-dessous). Selon les cas, Jouas en donne une vision plutôt technique ou davantage poétique. S’appuyant sur de savants auteurs, Huysmans se focalise sur la symbolique : « Quant aux contreforts, ils feignent la force morale qui nous soutient contre la tentation et ils sont l’espérance qui ranime l’âme et qui la réconforte » (p. 88).

J.-K. Huysmans, La Cathédrale, illustré de 64 eaux-fortes originales de Charles Jouas, Paris, 1909. À gauche : Intérieur de la cathédrale. À droite : Arcs-boutants et contreforts ; 2e état. Paris, bibliothèque de l'INHA, Fol Res 867, f. 36, 29
J.-K. Huysmans, La Cathédrale, illustré de 64 eaux-fortes originales de Charles Jouas, Paris, 1909. À gauche : Intérieur de la cathédrale. À droite : Arcs-boutants et contreforts ; 2e état. Paris, bibliothèque de l’INHA, Fol Res 867, f. 36, 29

Resté à l’école de l’illustration au sens classique du terme (adéquation directe entre texte et image) et peu enclin à l’imagination, Jouas ne suivait pas la lettre du texte lorsque celui-ci se faisait plus abstrait. Mais il rejoignait le connaisseur et l’amoureux de l’art roman et gothique qu’était Huysmans quand celui-ci écrivait : « Notre-Dame de Chartres est le répertoire le plus colossal qui soit du ciel et de la terre, de Dieu et de l’homme. » De l’ensemble réalisé par l’illustrateur se dégage en effet l’idée d’une cathédrale comme microcosme : un monde fait de colonnes, de voûtes, d’arcs, de porches et de vitraux, peuplé d’êtres vivants et sculptés.

Rémi Cariel

 

Références bibliographiques

  • Graveurs de Paris : Charles Jouas in Société d’iconographie parisienne, 1910, p. 75.
  • J.-K. Huysmans, La Cathédrale, édition présentée, établie et annotée par Dominique Millet-Gérard, Paris, 2017.

 

Publié par lschott le 4 février 2020 à 16:30