SILVESTRE, Théophile(12 octobre 1823, Le Fossat [Ariège] – 20 juin 1876, Paris)

Auteur(s) de la notice : HOUSSAIS Laurent

Profession ou activité principale

Critique et historien de l'art, critique littéraire

Autres activités
Inspecteur des beaux-arts, rédacteur en chef de revue

Sujets d'étude
Peinture flamande du XVIIe siècle, peinture anglaise, XVIIIe et XIXe siècles

Carrière
1848 : commissaire de la République dans l'Ariège
1849 : abandonne la politique pour la littérature après l'échec de sa candidature à l'Assemblée législative
1852 : se lance dans son Histoire des artistes vivants français et étrangers, vaste entreprise qui restera inachevée mais dont les textes publiés assurent sa notoriété
1856 : procès intenté par Horace Vernet à Silvestre pour éviter la poursuite de la publication de sa correspondance
1857-1859 : en mission en tant qu'inspecteur des Beaux-Arts ; enquête en Italie puis en Grande-Bretagne sur les musées, les écoles des beaux-arts et l'importation en France du marbre statuaire
1860-1861 : donne des cours et des conférences sur l'art moderne en Belgique
1861-1862 : sollicite sans succès la création d'une chaire d'histoire de l'art moderne au Collège de France et sa nomination comme professeur
1862 : suscite une vive polémique avec la publication de L'Apothéose de M. Ingres
1863-1864 : devient chef de bureau à la direction de la Presse, département de l'Intérieur
1864 : dédie au commandant Lejosne son Eugène Delacroix. Documents nouveaux
1867 : provoque une vive polémique dans la presse en attaquant la préface du catalogue de vente de la collection Pommersfelden, signée par Théophile Thoré
1872 : devient le conseiller, appointé, d'Alfred Bruyas
1876 : meurt subitement, après un déjeuner marquant sa toute fraîche réconciliation avec Gambetta ; laisse inachevé le catalogue de la collection Bruyas

Étude critique

Issu d'une famille bourgeoise et catholique, Théophile Louis Silvestre étudie la médecine à Toulouse, puis le droit à Paris et assiste comme auditeur libre aux cours de l'École des chartes avant de se lancer dans la politique. Ce jeune républicain tenté par le socialisme, qui compte parmi ses amis François, l'ancien directeur de la Revue indépendante, ou qui explique à Louis Blanc, alors en exil, les raisons pour lesquelles il a rapidement démissionné de ses fonctions de commissaire de la République (lettre du 9 novembre 1848 Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, Paris), est encore en quête d'une position durant l'hiver 1848. D'après son ami Jules Amédée Barbey d'Aurevilly, Silvestre profite de son héritage paternel pour visiter les principaux musées d'Europe avant de se lancer dans l'écriture.

Charles Blanc, pour des raisons qui restent à éclaircir, lui confie le chapitre sur Pierre Paul Rubens destiné à l'Histoire des peintres de toutes les écoles, depuis la Renaissance jusqu'à nos jours. Une note, accompagnant la publication d'un extrait dans L'Artiste en 1851, laisse penser que la part de Silvestre devait être plus étendue qu'elle ne le fut en définitive : « Extrait des livraisons prochaines de l'Histoire des peintres, par MM. Charles Blanc et Théophile Silvestre, avec Recherches et Indications de M. Armengaud ». Elle se réduira en effet à cette unique monographie, insérée dans le volume consacré à l'école flamande (1864). Silvestre prend apparemment ses distances à l'égard de ceux qui expliquent l'art de Rubens par les questions, d'ailleurs controversées, de sa naissance, de son origine sociale et des valeurs qui y sont associées. Il tend d'emblée à réduire l'influence de ces facteurs pour restituer au « tempérament » du peintre, dont l'œuvre est un « miroir fidèle », toute son autorité. Eugène Delacroix lui a pourtant montré, ou lui montrera, la fragilité d'un tel lien : « Par suite d'une habitude d'historien de faire toujours concorder la peinture d'un caractère, vous me donnez une enfance tragique : mon enfance au contraire a été fort heureuse […] » (lettre d'Eugène Delacroix à Théophile Silvestre, 1er novembre 1856). Silvestre reconnaît dans l'Homme, dans le paganisme et le christianisme comme dans l'art, une lutte entre des principes antagonistes : le corps et l'esprit, la matière et l'idéal. De ce point de vue et non sans contradiction avec le début de son étude, il considère Rubens comme « une nature païenne, […] une nature bourgeoise, matérialiste, tiède comme la prospérité ». L'inévitable comparaison établie avec Rembrandt fait pencher la balance en faveur de ce dernier. La vitalité rubénienne, la virtuosité du pinceau, l'éclat du coloris, qui « touche parfois à la crudité », ne sauraient faire oublier « l'absence de la pensée », l'incompréhension de la « poésie chrétienne » chez un artiste qui « a donné un bel oreiller de chair fraîche aux natures lascives » – une métaphore empruntée, comme l'a montré Claude Pichois, à la deuxième strophe des Phares de Charles Baudelaire (1857). Silvestre mêle les exigences de l'érudition à la recherche du style et à l'expression d'une sensibilité qui cite plus volontiers George Gordon Byron que Baudelaire pour mieux justifier la « fatigue » intellectuelle que provoque en lui, à la longue, l'art de Rubens.

En 1852, Silvestre se lance dans l'ambitieuse entreprise de l'Histoire des artistes vivants, français et étrangers. Les études sont publiées en fascicules puis en recueils, et ce dès 1853. Silvestre fait œuvre de pionnier en recourant, d'une part, à Édouard Denis Baldus ou Henri Le Secq pour réaliser les portraits des artistes et les reproductions d'œuvres et, d'autre part, en allant interroger lui-même Dominique Ingres, Eugène Delacroix, Alexandre Gabriel Decamps, Gustave Courbet, Antoine Louis Barye, Antoine Augustin Préault, Camille Corot, François Rude, Paul Chenavard, avec qui il se lie d'amitié, ou Horace Vernet. La lettre type, envoyée aux artistes le 15 octobre 1852, témoigne d'un changement d'orientation : « Monsieur, en me livrant à des recherches sur l'histoire des artistes morts, j'ai trouvé beaucoup de contradictions et d'incertitudes dans les documents qui nous sont restés. J'espère me rendre plus utile en faisant des études moins incertaines sur les artistes qui vivent de nos jours ». Le projet concernait les peintres et les sculpteurs, mais aussi les architectes, graveurs, photographes et compositeurs, à l'échelle européenne. La seconde série, qui devait comprendre également dix livraisons, s'arrêta au premier fascicule, consacré à Horace Vernet. Ces « Études d'après nature » frappèrent les contemporains par la nouveauté d'une démarche qui fait entrer la sphère de l'intime dans le champ public (non sans désagréments puisque Vernet intenta un procès à Silvestre pour éviter la poursuite de la publication de ses lettres dans le volume qui lui est consacré), par la qualité des analyses, par la virulence du ton, par l'utilité du catalogue qui accompagnait chaque notice (l'étude sur Delacroix a suscité chez Baudelaire un mélange d'estime et d'envie). L'ouvrage connut plusieurs rééditions en 1861, avec des remaniements en 1878, en 1880 et, sous l'impulsion d'Élie Faure, en 1926.

Silvestre, sous le Second Empire, s'adonne à la critique d'art. Il collabore au Figaro, au Réveil, journal dirigé par un farouche soutien de l'Empereur, Bernard Adolphe Granier de Cassagnac, à L'Artiste, au Nain jaune ou Journal des arts, des sciences et de la littérature, à la Chronique universelle illustrée et au Pays, tout en obtenant de l'administration impériale différents emplois. Au-delà de ses objectifs premiers, la mission de 1857-1859 devait encourager Silvestre dans l'étude du lien entre le « caractère des peuples » et l'art qui en serait l'illustration. Cette préoccupation, associée aux « mœurs », voire à la « civilisation », se retrouve dans la conférence prononcée devant la Society of Arts de Londres en 1859. Son auditoire semble avoir été frappé par l'éloge appuyé de William Hogarth, avec qui Silvestre fait coïncider le début de l'histoire de l'école anglaise et dont il cherche à revaloriser la peinture, ainsi que par l'évocation d'une large influence de John Constable sur les artistes français. Le conférencier utilise les souvenirs et les commentaires de Delacroix sur l'art anglais, quitte à le paraphraser parfois (lettre d'Eugène Delacroix à Théophile Silvestre, 31 décembre 1858). Cette conférence, remarquée par Charles-Augustin Sainte-Beuve et Baudelaire, qui la recommande à Charles Asselineau, sert aussi les intérêts diplomatiques du régime. Elle devait connaître un prolongement sous la forme d'une « Histoire des artistes anglais morts et vivants » (24 livraisons devant former deux volumes in-8°), dont on peut se faire une idée en consultant les articles publiés dans Le Réveil en 1858-1859.

Confronté à des difficultés financières suite à l'acquisition du Nain jaune ou Journal des arts, des sciences et de la littérature en 1864, Silvestre cherche des subsides et tente sans succès d'obtenir la charge d'historiographe de la Ville de Paris ou la direction du musée des Antiquités de l'hôtel Carnavalet. La publication de papiers découverts aux Tuileries révèle ses pressantes demandes auprès de Napoléon III, ses projets de réécriture de l'histoire de la Révolution de 1848 et de la Seconde République, ou ses ambitions d'historiographe du Second Empire. Ces documents alourdirent pour longtemps le dossier à charge d'une plume jugée trop servile, faisant passer au second plan l'examen nécessaire de ses écrits et de son action.

Laurent Houssais, ATER à l'université Michel de Montaigne Bordeaux III

Principales publications

Ouvrages et catalogues d'expositions

Articles

  • « P. P. Rubens ». L'Artiste, 15 septembre 1851, p. 55-56.
  • « Histoire des artistes anglais. Henri Fuseli ». Le Réveil, 20 février 1858, n° 8, p. 94-95 ; 13 mars 1858, n° 11, p. 127-129.
  • « Artistes anglais. Benjamin West ». Le Réveil, 15 mai 1858, n° 20, p. 234-236 ; 22 mai 1858, n° 21, p. 247-248 ; 29 mai 1858, n° 22, p. 260-261.
  • « Artistes anglais. Northcote ». Le Réveil, 19 juin 1858, n° 25, p. 295-296 ; 26 juin 1858, n° 26, p. 308-310.
  • « Les Arts, les Artistes et l'Industrie en Angleterre, depuis la dernière moitié du dix-huitième siècle jusqu'à nos jours ». Le Réveil, 29 janvier 1859, n° 5, p. 55-56.
  • « Les Arts, les Artistes et l'Industrie en Angleterre. Hogarth ». Le Réveil, 5 février 1859, n° 6, p. 67-68.
  • « Les Artistes anglais [extrait de la conférence du 19 janvier 1859] ». L'Artiste, 6 février 1859, VI, p. 81-86.
  • « Les Arts, les Artistes et l'Industrie en Angleterre. Reynolds. Richard Wilson ». Le Réveil, 12 février 1859, n° 7, p. 78-80.
  • « Les Arts, les Artistes et l'Industrie en Angleterre. Gainsborough. James Barry. John Flaxman ». Le Réveil, 19 février 1859, n° 8, p. 91-93.
  • « Les Arts, les Artistes et l'Industrie en Angleterre. T. Lawrence. David Wilkie. R. Bonington. Constable. Turner ». Le Réveil, 26 février 1859, n° 9, p. 104-105.
  • « Les Arts, les Artistes et l'Industrie en Angleterre : étude de la nature. Coup d'œil général ». Le Réveil, 5 mars 1859, n° 10, p. 115-116.
  • « L'Art et les Artistes en Belgique et en Hollande. [Rubens, ses tableaux au musée de Bruxelles] ». Le Pays, 26 novembre 1859, n° 330, p. 3.
  • « L'Art et les Artistes en Belgique et en Hollande. [Van Dyck, Jordaens au musée de Dresde] ». Le Pays, 1er décembre 1859, n° 341, p. 3.
  • « Impressions et Vicissitudes d'un artiste errant ; maîtres morts et vivants. [Constable]. Notes de voyage ». Le Nain jaune ou Journal des arts, des sciences et de la littérature, 26 novembre 1864, n° 161, p. 4.
  • « Impressions et Vicissitudes d'un artiste errant ; maîtres morts et vivants. [Rubens, Jordaens, Van Dyck] ». Le Nain jaune ou Journal des arts, des sciences et de la littérature, 30 novembre 1864, n° 162, p. 3 ; 7 décembre 1864, n° 163, p. 2.
  • « La Critique d'art et l'École française ». Le Nain Jaune ou Journal des arts, des sciences et de la littérature, 7 décembre 1864, n° 164, p. 2.
  • « Impressions et Vicissitudes d'un artiste errant ; maîtres morts et vivants. [Constable] ». Le Nain jaune ou Journal des arts, des sciences et de la littérature, 7 décembre 1864, n° 164, p. 5.

Bibliographie critique sélective

  • S. n. – « M. Théophile Silvestre ». Revue anecdotique, 2e quinzaine de juin 1862, V, p. 267-270.
  • Barbey d'Aurevilly Jules Amédée. – « Théophile Silvestre ». [Le Pays, 4 décembre 1857 ; Le Constitutionnel, 17 juin 1878] In Barbey d'Aurevilly Jules Amédée, L'Amour de l'art. Éd. établie, présentée et annotée par J. F. Delaunay. Paris : Séguier, 1993, p. 67-85.
  • Faure Élie. – « Avant-propos de l'éditeur ». In Silvestre Théophile, Les Artistes français. Paris : G. Crès & Cie, 1926, p. I-IX.
  • Pichois Claude. – « Comme un soupir étouffé de Weber ou Baudelaire, Delacroix et Silvestre ». In Pichois Claude, Baudelaire, études et témoignages. Neuchâtel : La Baconnière, 1976, p. 125-132.
  • Bouillon Jean-Paul, Dubreuil-Blondin Nicole, Ehrard Antoinette, et al., éd. – La Promenade du critique influent, anthologie de la critique d'art en France 1850-1900. Paris : Hazan, 1990, p. 50-51.
  • Ting Chang. – « Rewriting Courbet : Silvestre, Courbet and the Bruyas Collection after the Paris Commune ». Oxford Art Journal, 1998, vol. 21, n° 1, p. 105-120.
  • Pichois Claude, Avice Jean-Paul. – Dictionnaire Baudelaire. Tusson : du Lérot, 2002, p. 439-440.
  • Hannoosh Michèle. – « Théophile Silvestre's “Histoire des artistes vivants” : Art Criticism and Photography ». Art Bulletin, décembre 2006, LXXXVIII, n° 4, p. 729-755.

Sources identifiées

Paris, Archives nationales

  • F21 2289 : dossier de chargé de mission

Paris, bibliothèque de l'INHA-collections Jacques Doucet

  • Correspondance de Théophile Silvestre avec Alfred Bruyas, 1854-1875, 3 vol.
  • Correspondance de Théophile Silvestre et Céline Silvestre : photocopies de 101 lettres à Alfred Bruyas et au Dr Coste, maire de Montpellier, d'après les originaux conservés à la bibliothèque de Montpellier, 3 vol.

Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits

  • Lettre à Louis Blanc du 9 novembre 1848, nafr 11398 277-278

Sources imprimées

  • Malassis Paul-Emmanuel-Auguste Poulet, éd. – Papiers secrets et Correspondance du Second Empire. Nouv. éd. augm. de l'éd. de l'Imprimerie nationale. Paris : Ghio, 1875.
  • Sainte-Beuve Charles-Augustin. – Correspondance générale, t. XI. « 1858-1860 ». Adapt. et comment. par Jean Bonnerot. Toulouse : Privat ; Paris : Didier, 1961.

En complément : Voir la notice dans AGORHA