LAVIRON, Gabriel(1806, Besançon – 1849, Rome)

Auteur(s) de la notice : BOUVIER Béatrice

Profession ou activité principale

Critique d'art

Autres activités
Peintre, lithographe et antiquaire

Sujets d'étude
Paysagistes, scènes historiques, Salons, architecture, politique

Carrière
1833 : rédige les critiques du Salon de 1833 ; écrit dans L'Artiste ; Antoine-Auguste Préault réalise un buste de lui
1834 : rédige les critiques du Salon de 1834 ; publie des articles très sévères sur Jean-Auguste Dominique Ingres ; expose au Salon de 1834 à 1848
1845 : expose Tobie et l'Ange, commande pour l'église Saint-Nicolas-des-Champs (en place), et Jésus chez Marthe et Marie, commandé pour l'église de Meyrueis en Lozère ; Théophile Gautier apprécie sa peinture au Salon de 1845
1847 : grâce à Gustave Courbet, rejoint le groupe de la Bohème réaliste
1848 : expose le tableau Saint Vincent de Paul destiné à la salle d'asile d'Aigre en Charente
1849 : décède durant le siège de Rome en combattant contre l'armée française auprès de Giuseppe Garibaldi

Étude critique

Gabriel-Joseph-Hippolyte Laviron (1806-1849) est le portrait même du jeune homme romantique du début XIXe siècle : aventureux, ténébreux et destiné à une vie tragique.

Ami d'enfance du peintre Jean-François Gigoux (1806-1894), il est comme lui originaire de Besançon où l'un et l'autre passent ensemble de longs instants de leur enfance. Ils débutent leurs études artistiques à l'Académie de leur ville natale. Ils décident très vite, dès 1828, de se rendre à Paris pour mener la carrière qu'ils souhaitent poursuivre et, en 1829, ils entreprennent un voyage en Normandie. Dans leur prime jeunesse, les deux hommes ont été très proches et se sont mutuellement soutenus dans le choix de leurs voies respectives : la peinture pour Gigoux, la littérature et la critique pour Laviron.

Gigoux réalise en 1834 un portrait de son ami qui se présente comme le témoignage d'une amitié réciproque. Jeanne Magnin (historienne de l'art, Dijon, 1855 – Paris, 1937) donne une belle description du visage peint de Laviron, sombre, énergique et farouche : « Il y a une réelle puissance dans la sincérité de l'accent, dans l'interprétation du caractère un peu sauvage, bouche vorace, yeux rêveurs sous la mèche rebelle qui barre un large front. » Effectivement, ce portrait s'impose puissamment sur un fond de ténèbres. Il est probablement l'une des grandes réussites du portraitiste Gigoux et l'intensité de la présence du modèle ne peut laisser indifférent ; on est bien loin du soldat campé dans La Bonne Aventure (musée de Besançon) peint la même année et à qui Laviron prête ses traits.

Le portrait de Laviron devient, grâce au pinceau de Gigoux, l'effigie type du jeune héros romantique. La destinée tragique de l'aventureux Laviron, qui meurt assassiné dans les rangs garibaldiens lors du siège de Rome en 1849, est déjà inscrite dans cette toile qui laisse poindre un sentiment pathétique. La force psychologique qui se dégage a, dès l'origine, saisi la plupart des critiques qui ont salué la rigueur de l'inspiration. Gabriel Weisberg revient sur le caractère manifestement romantique du tableau qui révèle cependant ce réalisme cher à Gigoux : « La tête ressort avec une puissance merveilleuse. La face est modelée comme une sculpture, par la seule dégradation des ombres et de la couleur… Vous êtes devant un homme dont l'œil échange la pensée avec votre œil » (1839, L'Artiste, t. II, p. 204).

Déjà, en 1833, un autre ami de Laviron réalise un buste de lui. Le sculpteur Auguste Préault (1809-1879), présenté à Laviron par leur ami commun Jules Michelet, l'expose au Salon de la même année. Théophile Gautier (1811-1872) écrit à son sujet : « Le buste de Gabriel Laviron […] est d'une facture originale et d'un aspect singulier » ; d'après Auguste Jal (1795-1873), Laviron est représenté portant une « casquette à poils, dont les oreilles sont étrangement relevées ; il est revêtu de l'habit qui précéda immédiatement, en 1792, la Carmagnole des révolutionnaires classiques. Il a une barbe touffue. »

Les critiques de Laviron associent très souvent culture, art et politique. Il alimente des haines féroces contre certains artistes. Ingres fait partie de ceux-là. La plus virulente dénonciation des agissements d'Ingres et de ses partisans en 1834 paraît dans La Liberté. Journal militant, républicain et volontairement anti-Ingres, ce périodique fait paraître la critique de Laviron qui dénonce la complaisance des autres journalistes à l'égard du travail d'Ingres : « Mais, lassé de leur ingénieux verbiage, le public commence à vouloir juger par lui-même et depuis l'ouverture du Salon, personne ne s'arrête devant les tableaux de M. Ingres. » Laviron en profite pour se moquer de deux quotidiens concurrents : Le National et Le Journal des débats.

La Liberté, lancée par la Société libre des beaux-arts sympathisant avec les théories de Gracchus Babeuf, permet à Laviron d'y rejoindre Petrus Borel, Jean Gigoux, Charles Forget, Mathéphile Borel, Alexandre Decamps, Auguste Préault, Honoré Daumier et bien d'autres ; tous animés de sentiments démocrates, désireux de voir abolir les privilèges pour l'attribution des commandes et de voir supprimer l'Académie et son jury. De 1845 à 1848, ce cénacle réaliste se réunit au café Momus. À partir de 1848, leurs réunions ont plutôt lieu à la brasserie Andler, rue Hautefeuille à côté de l'atelier Courbet. À l'intérieur de ce cercle, la solidarité est réelle. Fidèle en amitié et de convictions profondes, Laviron écrit, pour le Salon de 1841, au sujet de l'exclusion de Préault du Salon : « il n'y a rien au monde de plus monstrueux qu'une injustice qui ne finit pas » (Le Salon de 1841, Paris, p. 28).

En parallèle à son activité de critique, Laviron réalise des peintures de paysage ou de scènes historiques. Ses œuvres sont généralement liées à des commandes officielles : par exemple, Tobie et l'Ange en 1845, pour l'église Saint-Nicolas-des-Champs (toujours en place).

Des amitiés nées à Besançon, il faut également citer celle qui le lie à Courbet. Ce dernier l'amène, en 1847, en compagnie du peintre François Bonvin (1817-1887), à rejoindre le groupe de la Bohème réaliste qui se constitue la même année. Plus tard, Charles Baudelaire (1821-1867), Gérard de Nerval (1808-1855), pour ne citer qu'eux, participeront aux rencontres du groupe.

Laviron, profondément socialiste, participe au début de la Constitution de l'assemblée du 15 mai 1848 avec un mouvement de gauche et revendique ses convictions républicaines de gauche. Il s'affiche volontairement comme un ennemi de la société bourgeoise.

En 1849, il s'engage sous les ordres de Joseph Garibaldi pour prendre rang parmi les défenseurs de la République romaine et se fait tuer durant le siège de Rome, lors de la bataille du Janicule, contre les Français venus rétablir le pape.

Béatrice Bouvier, docteur en histoire de l'art, chercheur

Principales publications

Ouvrages et catalogues d'expositions

Articles

  • « Léonard de Vinci, peintre florentin ». L'Artiste, 1840, série de trois articles, p. 6-9,14-17 et 39-42.
  • « Revue générale de l'architecture ». L'Artiste, 1840, p. 136.
  • « Préault au Salon ». L'Artiste, 1840, p. 286.
  • « L'Architecture contemporaine et le Style gothique ». La Revue nouvelle, octobre 1846 ; rééd. Paris : Hachette, 1979.

Bibliographie critique sélective

  • Jasinski René. – Les Années romantiques de Théophile Gautier. Paris : Vuibert, 1929, p. 131.
  • Millard Charles Worth. – « Sculpture and Theory in Nineteenth century France ». The Journal of Aesthetics and Art criticism, 1975, vol. 34, n° 1, p. 15-20.
  • Weisberg Gabriel P., Talbot William S. – Chardin and the Still-Life Tradition in France : [catalogue d'exposition], Cleveland museum of Art, 1979. Cleveland : Cleveland museum of art, 1979, p. 32 (« Themes in art »).
  • Ribner Jonathan P., Triqueti Henri (de). – « Auguste Préault, and the Glorification of Law under the July Monarchy ». The Art Bulletin, 1988, vol. 70, n° 3, p. 486-501.
  • Ribner Jonathan P. – The Cult of the Law in French Art from David to Delacroix. Berkeley : Berkeley press, 1993, p. 93-96.
  • Marin Régis. – Jean Gigoux, 1806-1894 : dessins, peintures, estampes, œuvres de l'artiste dans les collections des musées de Besançon : [catalogue d'exposition], Besançon, musée des Beaux-Arts et d'Archéologie de Besançon, 9 avril-19 juin 1994. Besançon : musée des Beaux-Arts et d'Archéologie de Besançon, p. 86-87.
  • Julia Isabelle, Lacambre Jean. – Les Années romantiques. Nantes : musée des Beaux-Arts / Paris : Galeries nationales du Grand Palais ; Plaisance : Palazzo Gotico, 1995-1996.
  • Jobert Barthélémy. – Delacroix. Paris : Gallimard, 1997, 334 p., p. 254, 325, n° 42.
  • Leroy-Jai Lemaistre Isabelle, Bellenger Sylvain, Chevillot Catherine. – Auguste Préault, sculpteur romantique 1809-1879 : [catalogue d'exposition], Paris, musée d'Orsay, 20 février – 18 mai 1997. Paris : Gallimard/Réunion des musées nationaux, 1997, p. 41.
  • Mc William Neil. – « Peripheral visions : class, cultural aspiration and the artisan community in mid-nineteenth century France ». Politics and Aesthetics in the Arts, Cambridge. Cambridge : University press, 2000, p. 140-173.
  • Carrington Shelton Andrew. – « Art, politique et les politiques de l'art ». The Art Bulletin, janvier 2001.
  • Maurouard Elvire. – Les Beautés noires de Baudelaire. Paris : éd. Karthala, 2005, p. 178.

Sources identifiées

Besançon, musée des Beaux-Arts et d'Archéologie

  • Portrait de Gabriel Laviron par François Gigoux, inv. 860-II-I ; MJ 90-484

Paris, Archives nationales

  • F21/0040 dossier artiste 51 et 52 (références aux tableaux Jésus chez Marthe et Marie et Saint-Vincent de Paul)

Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes et de la photographie

  • SNR 3 (recueil d'images) : Laviron, Gabriel Joseph Hippolyte : peintre et lithographe

Rome, Biblioteca di storia moderna e contemporanea

  • IT/ICCU/IEI/0169920

En complément : Voir la notice dans AGORHA