Prendre le thé avec Madame Chimpanzé. Controverses savantes et politiques sur les frontières de l’humanité dans l’Empire britanniqueSéminaire "Cultures visuelles des Lumières"

Gravure de Gérard Scotin (1738) © The Trustees of the British Museum

L’histoire de l’art est une discipline aux frontières. Par-delà les traditionnelles hiérarchies entre high art et low art, ce séminaire, à vocation pluridisciplinaire, entend rendre compte aussi bien des chefs-d’œuvre consacrés que des images scientifiques ou techniques, des graffitis et des cultures visuelles politiques dans un long dix-huitième siècle. La modernité critique des Lumières est en effet indissociable de cette production d’images et d’artefacts qui définit une manière nouvelle de voir le monde. Comment la naissance conjointe de l’histoire de l’art, de l’histoire naturelle, de l’anthropologie et de l’esthétique peut-elle nous aider à ressaisir le projet des Lumières ? Pour sa deuxième année, le séminaire entend explorer ce champ en pleine reconfiguration. Nous interrogerons notamment les frontières entre art, design, et science à travers l’image ; les identités liées aux catégories de genre et de race; l’histoire du regard et de la subjectivité ; les liens entre art et culture politique.

Séminaire coordonné par Charlotte Guichard (CNRS/ENS) et Anne Lafont (INHA)
Contact : charlotte.guichard @ ens.fr et anne.lafont@inha.fr

Présentation de la séance

En 1738, « Madame Chimpanzé » a été exposée au Randall’s Coffee House, à Londres, pendant plusieurs mois : pour un shilling, tous les Londoniens pouvaient venir la voir. Et s’ils n’avaient pas l’occasion de le faire, ils pouvaient la croiser sur la gravure réalisée par Gérard Scotin. La composition de cette image repose sur l’idée que l’animal singe l’homme (ou, dans ce cas, la femme, plutôt). Elle soulève dès lors la question des frontières entre le singe anthropomorphe et l’homme. Dans le contexte de sa production, l’illustration de 1738 soulève une question de même type, mais bien plus précise : l’arrivée en Angleterre de Madame Chimpanzé correspond au premier moment européen de mise en circulation de singes anthropomorphes d’origine africaine. L’arrivée des chimpanzés, ou « orangs-outans », ainsi nommés dans la littérature du temps, constitue une nouveauté qui affecte le débat des naturalistes, en quête des origines de l’homme et engagés dans des opérations de classification qui les conduisent, et notamment Carl Linné, à rapprocher le singe de l’homme. Les travaux sur cette vaste question sont déjà riches.

Je voudrais cependant attirer l’attention sur son importance dans un second débat, d’ordre politique, sur l’esclavage et la nécessité, ou non, de l’abolir. A ce débat, participent aussi les planteurs, les juristes, les administrateurs de l’état colonial. L’origine africaine partagée des esclaves noirs et des chimpanzés conduit certains des acteurs de ce débat à puiser dans ces origines partagées les arguments de leur comparaison entre le singe et l’Africain, contribuant ainsi, pour certains d’entre eux, à radicaliser la distinction entre l’homme blanc et le Noir, entre le singe et le « sauvage », entre le pauvre et l’animal. Tel est l’objet de mon analyse qui interroge les fondements épistémologiques de la catégorie de race à l’âge des Lumières.  

Intervenant

  • Silvia Sebastiani, EHESS

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Informations pratiques

11 avril 2016 - 10h-12h
École normale supérieure
45, rue d’Ulm, 75005 Paris
En salle de séminaire de l’Institut d’Histoire moderne et contemporaine (escalier D, 3ème étage).

Séminaire ouvert aux étudiants à partir du niveau master.