L’art contemporain, modification des pratiques et recherches de légitimité

4 octobre 2013
9h30 - 18h
Galerie Colbert
Salle Giorgio Vasari
2, rue Vivienne
75002 Paris

Entrée libre dans la limite des places disponibles



Présentation
La conservation des œuvres contemporaines pose d'évidents problèmes qui s'expliquent par l'utilisation de matériaux étrangers aux pratiques traditionnelles comme par l'émergence de voies de création et de disciplines inédites, fondées ou non sur l'emploi de technologies nouvelles.

Au-delà de ces questions certes fondamentales, une œuvre d'art quelle qu'elle soit ne saurait se résumer à la somme de ses constituants matériels, ni sa restauration se réduire à un simple savoir-faire plus ou moins virtuose ; cette dernière s'est au contraire progressivement définie comme un moment d'étude privilégié et un acte critique dont la préoccupation principale consiste à définir et à respecter l'authenticité du bien dans ses diverses modalités.

Or, depuis les premiers ready-made et les premiers collages, le rapport qu'entretient l'œuvre moderne puis contemporaine avec les matériaux qui la composent a profondément évolué au point de perdre son caractère d'évidence et de mettre en question parfois les critères techniques, déontologiques, voire juridiques qui légitiment des interventions de conservation ou restauration.

Dès lors, quels intervenants pour définir la limite entre intervention légitime et intervention illégitime ? Quelles relations avec les créateurs des œuvres ?

Ces questions fondamentales seront abordées par l'intermédiaire d'études de cas représentatifs et discutées grâce à des interventions théoriques qui permettront d'illustrer quelques grands thèmes propres à la conservation de l'art contemporain :

• à matériaux ou techniques éphémères, œuvre éphémère ? conservation, gestion, documentation, réactivation ;
• l'obsolescence technologique ;
• l'œuvre au-delà de la matière : certificat, concept et protocole ;
• l'évolution du rôle du restaurateur dans la gestion des collections contemporaines ; modalité de prises de décision.

« L'art contemporain, modification des pratiques et recherche de légitimités » est la 5e journée du cycle de rencontres La restauration : connaissance et reconnaissance de l'œuvre d'art, initié par l'université Paris Ouest Nanterre la Défense (équipe HAR), le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF, Paris) et l'Institut royal du patrimoine artistique (IRPA-KIK, Bruxelles), avec le concours du groupe de contact du Fonds national de la recherche scientifique (Belgique) « Historiographie et épistémologie de l'histoire de l'art » (universités de Bruxelles, Liège et Louvain).
Elle est organisée par Gilles Barabant (C2RMF), Thierry Dufrêne (Paris Ouest / INHA) et François Trémolières (Paris Ouest).




Programme


9 h 30 Accueil des participants
Introduction
Gilles Barabant (Centre de recherche et de restauration des musées de France)
François Trémolières (université Paris Ouest Nanterre la Défense)

Matinée
Présidence : Marie Lavandier, directrice du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF)


10 h Peint, non peint, repeint, dépeint : actualisation et conservation dans l'oeuvre de Claude Rutault
Adriana Blendea et Marie-Hélène Breuil, en présence de Claude Rutault

Depuis 1973 l'oeuvre de Claude Rutault s'est élaborée à partir et autour de ce qu'il appelle aujourd'hui des « définitions/méthodes » et sur la base d'un principe énoncé très clairement : « une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée ». La temporalité de l'œuvre – son existence matérielle étant relative à sa présentation – et la délégation de réalisation caractérisent son travail et instaurent une tension entre conservation et actualisation, tout en excluant, a priori, la restauration. C'est ce que nous nous proposons d'étudier, avec le concours de l'artiste et d'Adriana Blendea, conservatrice-restauratrice impliquée depuis un an dans l'actualisation de « dé-finition/méthode 208 : dépeindre ».

Marie-Hélène Breuil enseigne l'histoire de l'art dans le département Conservation-restauration des œuvres sculptées de l'École supérieure des beaux-arts de Tours (EPCC Esba TALM) depuis 1989. Ses recherches se partagent entre l'art contemporain depuis 1970 autour du travail de peinture et d'écriture de l'artiste Claude Rutault, et les problématiques de conservation-restauration des oeuvres contemporaines. Elle est l'auteur d'une thèse en histoire de l'art soutenue à l'université Paris IV en 2009 : L'oeuvre de Claude Rutault – définitions/méthodes : écriture, peinture, sociabilité.
Adriana Blendea est plasticienne et restauratrice du patrimoine. Elle s'est formée à l'Institut des Beaux-Arts de Bucarest.


10 h 45 Conservation et obsolescence technologique : de la substitution à l'identique à son impossibilité
Cécile Dazord, Alice Moscoso, Laure Vidal

L'intégration dans le champ de l'art de produits issus de processus de fabrication industriels dès les débuts du XXe siècle conduit à une reconsidération des principes fondateurs de la conservation et de la restauration, au premier rang desquels l'adéquation postulée entre l'unicité de l'œuvre d'art et de sa matérialité. Cette répercussion de l'évolution des techniques sur les œuvres aboutit dans un premier temps à la reconnaissance de la substitution à l'identique comme ne contrevenant pas nécessairement à l'authenticité ou l'originalité, dans un contexte de production en série ; dans un second temps, au constat pour le moins embarrassant, en termes de conservation restauration, de l'impossibilité du remplacement par le même, lorsque le matériel concerné est frappé d'obsolescence. Après une présentation générale et succincte de cette problématique, les œuvres lumineuses, motorisées et audiovisuelles seront évoquées plus particulièrement.

Cécile Dazord est conservatrice du patrimoine, en charge de l'art contemporain au Département recherche du Centre de recherche et de restauration des Musées de France. Elle étudie l'impact des phénomènes d'obsolescence technologique sur la conservation des œuvres contemporaines. Elle a récemment co-dirigé le numéro 37 de la revue Technè : L'art contemporain à l'ère de l'obsolescence technologique. Avec Marie-Hélène Breuil, elle a fondé et anime la branche francophone du réseau INCCA (International Network for the Conservation of Contemporary Art). Elle prépare actuellement une étude et un ouvrage sur la conservation des œuvres intégrant du « néon ».
Alice Moscoso est titulaire d'un diplôme de restauration de film de la L. Jeffrey Selznick School of Film Preservation à la George Eastman House et du DEA en études cinématographiques et audiovisuelles de l'université Paris III. Elle est actuellement chargée de la numérisation des collections « images animées » au Centre Pompidou après ses expériences d'archiviste à l'université de New York, à l'Academy of Motion Picture de Los Angeles, au Musée d'art moderne (MoMA) de New York, ainsi qu'aux Documents cinématographiques à Paris. Laure Vidal est restauratrice du patrimoine, diplômée de l'INP où elle a plus particulièrement étudié deux œuvres cinétiques du Musée d'art moderne de la ville de Paris. Elle s'est spécialisée dans le domaine de l'art contemporain et le traitement des œuvres électromécaniques.


11 h 30 Atelier Boronali pour la préservation de l'art action : enjeux et méthodes
Stéphanie Elarbi, Laurent Prexl

La préservation de l'art action sous ses diverses formes – performances, happenings, poésie sonore, etc. – pose aujourd'hui question. Nombre d'institutions possèdent des reliquats ou des documents de performances, dont le statut n'est pas toujours défini et s'interrogent sur la préservation et la monstration des œuvres disparues. Comment documenter une œuvre d'art action dans un but de conservation ? Quelles restitutions envisager d'une œuvre d'après des archives existantes ou constituées ? L'atelier Boronali est une structure qui travaille à adapter la méthodologie et la déontologie propre à la conservation-restauration du patrimoine matériel à la préservation de cette forme d'art non pérenne.

Stéphanie Elarbi est restauratrice du patrimoine, spécialisée en art contemporain et objets ethnographiques ; elle est chargée de la restauration au musée du quai Branly et enseignante à l'école d'art d'Avignon.
Laurent Prexl est artiste plasticien et performeur. Fondateur de l'atelier Boronali il enseigne dans différentes écoles d'art.
Depuis 2012, l'atelier Boronali est accueilli par le MAC/VAL (Musée d'art contemporain du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine) comme cellule de recherche sur la préservation de l'art action et collabore à la conservation des œuvres performatives de l'institution.


12 h 15 La restauration et la documentation des œuvres contemporaines : les rapports entre l'artiste et son restaurateur
Véronique Sorano-Stedman, Sylvie Lepigeon, Isabelle Merly (sous réserve), Chantal Quirot

Dans le cadre de son activité, le service de restauration du MNAM-CCI consulte les artistes contemporains et collecte auprès d'eux mais aussi auprès de leurs héritiers ou ayants droit un certain nombre d'informations capitales pour la connaissance des œuvres. Cette collaboration a lieu dans des contextes différents : les acquisitions, les accrochages, les renouvellements d'installations éphémères ou les restaurations proprement dites et les sinistres.
Des expériences de collaborations récentes permettent d'illustrer la variété des situations et les complémentarités qui peuvent se mettre en place pour définir et réaliser des projets d'intervention, de conservation ou de présentation ; on évoquera plus particulièrement Jesús-Rafael Soto (fabrication et restauration des œuvres entrées en dation), Giuseppe Penone (renouvellement de l'installation Respirare l'ombra), Simon Hantai (montage et éclairage de Aux Tabulas lilas), Annette Messager (Les Piques, cas d'une installation sinistrée dont la réfection a été réalisée par l'artiste), ou Gérard Fromanger (cas d'une restauration classique soumise à la validation de l'artiste après collecte d'informations techniques).

Véronique Sorano-Stedman est chef du service de restauration des oeuvres d'art, MNAM (Musée national d'art moderne, Paris).
Sylvie Lepigeon est restauratrice du patrimoine (spécialiste de peinture) au MNAM.
Isabelle Merly est attachée de conservation au Service des collections contemporaines du MNAM.
Chantal Quirot est restauratrice du patrimoine (spécialiste de sculptures), responsable de la section sculpture, MNAM.


13 h Déjeuner

Après-midi
Présidence : Claire Barbillon, Histoire des arts et représentations (HAR / EA 4414) Université Paris Ouest Nanterre la Défense


14 h 15 Œuvre éphémère, œuvre précaire, œuvre périssable ou l'Ecclésiaste au musée
Gilles Barabant, Céline Le Bacon

Si l'œuvre éphémère, dans son acception même, pose peu de problèmes de conservation, nombre de créations contemporaines font également appel à des matériaux instables ou à des techniques précaires. Que ces processus inéluctables de dégradation fassent ou non partie du projet artistique, ils inscrivent en tout cas la déréliction de l'œuvre dans un horizon proche.
Dans quelle mesure l'entrée de ce type d'objets dans les collections met-elle le musée en contradiction avec ses missions de conservation ? Comment prendre en charge la transformation d'œuvres vouées à la disparition tout en leur permettant d'accéder à une forme de pérennité ?
L'étude en cours d'une sculpture en chocolat de Jana Sterbak, réalisée conjointement par le musée d'art moderne de Saint-Étienne et le Centre de recherche des musées de France, servira de point d'ancrage à la réflexion.

Gilles Barabant est responsable de la filière XXe siècle - art contemporain au Centre de recherche et de restauration des musées de France. À ce titre, il travaille en partenariat avec de nombreux musées à l'étude technique et scientifique des collections et à la définition des interventions de conservation.
Céline Le Bacon est responsable du service Régie et de la valorisation des collections au musée d'art moderne de Saint-Étienne Métropole, où elle est notamment chargée de la planification des restaurations.


15 h Restauration de l'art contemporain : une conceptualisation au service de la pratique
Nico Broers, Muriel Verbeeck

La théorie de la restauration a-t-elle encore sa place, en regard des problèmes soulevés par l'art contemporain ? Si les praticiens sont fatigués d'une approche théorique perçue comme académique et rhétorique, ils sont demandeurs en revanche d'une réflexion praxéologique, partant des cas concrets auxquels ils sont confrontés.
Deux cas exemplaires seront évoqués : une copie-réplique-reconstruction du Taureau de Francis André, conservée au musée en plein air du Sart-Tilman à Liège ; et l'Esplanade de Jo Delahaut, victime d'une reconstruction architecturale. Ces deux interventions renvoient à toute une série de cas de figures, où l'absence de définition claire d'un original, d'un original multiple, d'une copie, d'une réplique, voire d'une ré-installation ou d'une ré-instauration a favorisé des prises de décisions hasardeuses.
À l'inverse, un entretien accordé par Wim Delvoye au sujet de Cloaca montrera la richesse d'une double approche, théorique et pratique, pour penser l'avenir d'une œuvre emblématique. La conception paradoxale de cette dernière, à la fois fonctionnelle et totalement gratuite (condition de son statut artistique), appelle une "exégèse préventive" où artiste, théoricien et conservateur-restaurateur peuvent collaborer avec fruit.
Ces exemples manifestent que la théorie de la restauration, particulièrement en matière d'art contemporain, se révèle un outil de conceptualisation essentiel dans les processus de decision making. Elle retrouve au studio comme à l'atelier sa valeur proprement aristotélicienne, en aidant à s'élever de l'approche empirique à des formes de savoirs transmissibles.

Nico Broers est conservateur-restaurateur indépendant, diplômé d'un Master en restauration de la Northumbria University, Newcastle ; il est attaché scientifique à la faculté des Sciences de l'université de Liège (Archéométrie) et professeur à l'École supérieure des arts Saint-Luc de Liège.
Muriel Verbeeck est docteur en Philosophie et Lettres de l'université de Liège et titulaire d'un master en Sciences de l'information et de la communication de l'Université libre de Bruxelles ; elle est attachée scientifique à la faculté des Sciences de l'Ulg (Archéométrie) et professeur à l'École supérieure des arts Saint-Luc de Liège. Elle est également assistant de coordination à l'ICOM-CC (Histoire et théorie de la restauration) et éditeur scientifique de la revue CeROArt.


15 h 45 Réflexions sur une restauration possible d'œuvres dans la nature, à la lumière de la Théorie de la restauration de Cesare Brandi
Gilles Tiberghien

Autour de quelques cas d'œuvres artistiques créées dans la nature (Robert Smithson, Brocken Circle / Spiral Hill, Emmen, Pays-Bas ; Michael Heizer, Double Negative, Nevada ; David Nash, Ash Dome, Pays de Galles), on tentera de donner à la théorie de la restauration de Brandi une extension inédite en testant en même temps sa fécondité et ses limites.

Gilles A. Tiberghien, philosophe et écrivain, enseigne l'esthétique à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Premier traducteur de la Teoria del restauro en français (dans la revue Recherches poïétiques, hiver 1995-1996), il est aussi spécialiste du Land art (Land Art, Paris, Carré, 1993, nouv. éd. revue et augmentée 2012).

16 h 30 Table ronde
Quels acteurs et quelles procédures pour légitimer les interventions ?
Sous la présidence de Dominique Gagneux,
avec la participation de Nicolas Chardon, Aurélia Chevalier, Emmanuel Pierrat.

Dominique Gagneux est conservateur en chef au musée d'art moderne de la Ville de Paris.
Nicolas Chardon est artiste plasticien, diplômé de l'École nationale des Beaux-Arts de Paris, ancien pensionnaire (2008-2009) de la Villa Medicis à Rome.
Aurélia Chevalier est restauratrice du patrimoine spécialisée en art contemporain et enseignante au Master professionnel de Paris I Panthéon Sorbonne. Son doctorat obtenu à Arts et Métiers ParisTech lui a permis d'acquérir une bonne connaissance sur le vieillissement des matériaux, connaissance qu'elle met au service des artistes qui la sollicitent tels que Simon Hantaï ou Shirley Jaffe.
Emmanuel Pierrat est avocat au Barreau de Paris et Membre du Conseil de l'Ordre au sein duquel il exerce les fonctions de Secrétaire de la Commission Culture. Il a fondé le Cabinet d'avocats portant son nom, spécialisé dans les dossiers de droit de la propriété littéraire et artistique et il accompagne ses clients artistes et auteurs dans le cadre de la négociation de leurs contrats et de la promotion de leur carrière. Il a publié de nombreux ouvrages de référence sur le droit de l'édition, la liberté d'expression, le droit du commerce du livre, le droit à l'image. Il est également conservateur du musée du Barreau de Paris.

17 h 30 Conclusions

Documents joints