Jeux décoratifs : ornement, rhétorique et culture noble dans l’œuvre de Gilles-Marie Oppenord (1672-1742)

Mardi 30 juin 2009
18h-19h30
Galerie Colbert
Salle Giorgio Vasari
2 rue Vivienne
75002 Paris

accès : 6 rue des Petits-Champs

Depuis la marquise de Rambouillet et sa célèbre chambre bleue, la décoration des hôtels est intimement liée à la culture galante cultivée dans certains cercles de la noblesse et de l'élite intellectuelle parisienne. Cette conférence portera sur un extraordinaire album de dessins de l'architecte français Gilles-Marie Oppenord qui montre de façon éclatante les rapports intimes entretenus entre les rituels sociaux et langagiers de la noblesse et la décoration intérieure au début du dix-huitième siècle.

Directeur général des bâtiments du duc d'Orléans durant la Régence, Oppenord (1672-1742) était un des plus importants architectes de son temps. Sur un exemplaire de la première édition française de l'Iconologia de Cesare Ripa, publiée par Jean Baudoin en 1636 avec des gravures de Jacques de Bié, Oppenord a dessiné vers 1713 des bordures ornementales, des vignettes, des culs-de-lampe, et autres motifs décoratifs. Profondément remanié au cours du 18e siècle, l'album de soixante pages conservé au Centre Canadien d'Architecture à Montréal ne ressemble nullement à l'original. Une analyse bibliographique du livre de Ripa, réalisée grâce à un exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale de France, a permis une reconstruction de son état premier. Au lieu d'une suite apparemment arbitraire de dessins, on y retrouve un jeu fascinant entre le texte de Ripa, les images gravées de de Bié, et les motifs dessinés d'Oppenord.

Le Ripa d'Oppenord sera étudié dans le contexte de la culture noble de la régence. Plusieurs historiens ont souligné comment, après la mort de Louis XIV, l'état absolutiste a fait place à une détente politique et culturelle favorisée par le régent Philippe II d'Orléans. Forte d'un pouvoir nouvellement acquis, sans doute plus symbolique que réel, la noblesse remettra néanmoins au goût du jour certaines valeurs mises en sourdine par l'idéologie royale. Le goût mondain faisait partie de ces valeurs. Le Ripa d'Oppenord démontre comment cette culture mondaine et en particulier l'art de la conversation et les jeux de langage a inspiré le processus créatif de l'architecte. Tel un mondain aiguisant son esprit pour briller dans les jeux de salon, Oppenord a utilisé le livre de Ripa de façon ludique.

À partir du texte et des illustrations gravées, l'architecte a conçu de véritables hiéroglyphes décoratifs dont les composants ont été assemblés par chance suivant leur proximité sur les planches gravées. Les compositions grotesques d'Oppenord sont comme des bouts-rimés — ce jeu de mots durant lequel les participants devaient composer un poème comprenant certaines rimes fixées à l'avance —, des solutions amusantes aux contraintes imposées par Baudoin et de Bié. Reproduites par l'architecte sous forme de boiseries et de peintures décoratives, les compositions tirées du Ripa d'Oppenord démontrent les liens qui existaient entre la culture des gens de goût et la décoration de leurs intérieurs et jettent un éclairage nouveau sur l'invention de l'ornement au début du 18e siècle.