Images et imaginaire des artistes : Portrait de l’artiste en groupe

Un des axes initié par l'équipe « Art, imaginaire, société » du LARHRA vise à étudier les images des artistes depuis la Renaissance. Le mot « imaginaire » indique que l'on abordera ce thème au travers des échanges qui s'opèrent entre les œuvres et les représentations mentales. Il s'agit d'un ensemble de productions visant à créer une « image » qui n'a pas nécessairement de rapport avec une réalité (sociale, physionomique, historique) et qui sert à construire une identité. Un portrait d'artiste peut relever d'un discours revendicatif sur des questions relatives à son statut et être également le résultat d'une représentation collective dont le concepteur de l'image hérite.

La première partie de ce programme de recherche est consacrée au portrait collectif, aux images de l'artiste en groupe. Il donnera lieu à une journée d'études le 16 novembre 2009 avant que d'autres perspectives ne soient explorées dans le but d'organiser un colloque en 2012, publié l'année suivante.

Seul devant son œuvre, aux prises avec la matière comme avec lui-même, tel est souvent l'artiste dans l'imaginaire collectif. Ces topoï sont informés par une longue tradition qui a sa source à la Renaissance, au moment de la refondation du statut de l'artiste. Elle est appuyée sur des sources antiques. L'autoportrait renaissant, qui compte parmi les toutes premières manifestations du portrait en général, a initié cette invention de l'artiste en la diffusant dans le public. Ces images font souvent la promotion de leur concepteur en valorisant leur statut d'artiste. Elles ont servi à revendiquer la singularité du génie créateur par rapport aux artisans qui façonnaient la matière ou produisaient des images. Sur cette dimension démiurgique et divine ont été conduits de nombreux travaux relevant d'approches historiques, esthétiques, psychanalytiques ou sociologiques. De manière toujours plus affirmée du XVIe au XXe siècle, l'individualisme de l'artiste s'est accentué donnant naissance à un impressionnant corpus d'autoportraits qui devint rapidement un genre à part entière dont l'étude est bien représentée dans l'historiographie.

Il semble en revanche que d'autres types de représentations aient été moins étudiés. Ce corpus, il est vrai, procède souvent d'une conception différente de l'artiste, plus inscrite dans ses contextes, plus consensuelle, collective et moins spectaculaire. Le portrait d'artiste avec un ou plusieurs autres personnages en fait partie. Sa récurrence dans l'histoire de l'art incite à consacrer une recherche à ce genre particulier qui est d'ailleurs, en lui-même, très diversifié. Le portrait de groupe peut avoir de nombreuses raisons d'être et relever de multiples fonctions. Au siècle de Vasari apparaissent les premiers « panthéons » d'artistes. Aux XVIIe et XVIIIe, le peintre se met souvent en scène avec sa famille et ses proches. Le cliché d'un photographe sur un quai de gare fixe une « actualité » pour une Histoire parfois différente de la postérité visée par l'autoportrait. Mais un cercle, un groupe, une école ou un cénacle peuvent aussi poser pour une hypothétique reconnaissance posthume. Le portrait collectif est un moyen d'invoquer l'avenir en se réclamant d'un passé, d'une filiation. Fantin-Latour s'est ainsi représenté plusieurs fois en compagnie d'autres peintres : par exemple devant le portrait de Delacroix afin de marquer l'appartenance à ce qui devient alors, derrière l'hommage, une tradition. Enfin, contrairement à l'autoportrait, il n'est pas exécuté par tous ceux dont on voit l'effigie. Il se peut aussi qu'aucun d'entre eux ne soit à l'origine de l'image, qu'elle soit photographique ou non.

Le portrait dans l'atelier, avec des élèves, d'autres artistes ou des amis relève parfois des mêmes intentions mais peut aussi receler de nombreuses autres significations. « Allégorie réelle » comme pour l'atelier peuplé d'admirateurs de Gustave Courbet, il peut vouloir redéfinir la figure et le statut de l'artiste. Bien d'autres cas peuvent encore être abordés avec profit : l'artiste et son modèle, en famille, qu'il s'agisse ou non d'une « dynastie », avec son conjoint ou sa conjointe, en couple, avec un ami – selon une formule codifiée par Raphaël – ou avec un proche artiste, comme pour les Beaubrun. Il peut être aussi accompagné de son mécène, d'autres acteurs des mondes de l'art. Le lieu a son importance : l'atelier est certes l'espace de prédilection de la représentation de l'artiste, mais un salon, une chambre, la rue, le lieu d'un événement fondateur peuvent aussi avoir une signification. Enfin, comme dans tout portrait, chaque accessoire, chaque élément a valeur d'emblème.

Bien d'autres perspectives pourront être abordées. Nombre de portraits sont rétrospectifs, surtout au XIXe siècle. La mythographie romantique de l'artiste est en partie à l'origine de ce qui semble relever d'une iconolâtrie : on invente alors des portraits pour des artistes dont on ne connaît aucune image. Dans le contexte de la naissance de l'histoire de l'art et d'un art de l'histoire, il était ainsi possible, comme dans l'hémicycle de Paul Delaroche à l'Ecole des Beaux-arts, de donner des représentations visuelles de l'histoire de l'art par les effigies des artistes.

Est-ce pour cette raison que le portrait dessiné ou peint constitue l'essentiel du corpus ? Quelle est la place, en termes quantitatifs, du portrait collectif sculpté, de celui du sculpteur ou de l'architecte ? Sont-ils porteurs de significations différentes ? Qu'en est-il de la question du genre dans le portrait collectif ? Cette énumération ne clôt pas la liste des questions.

Cette première journée d'études consacrée au portrait de l'artiste en groupe sera suivie d'autres rencontres sur des types différents de représentations d'artistes, visuelles ou textuelles, individuelles ou collectives, portant, entre autres, sur les dimensions parodiques ou satiriques, le travestissement, les métamorphoses végétales ou animales, etc.

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