Destruction, politique et art

2 et 3 février 2007
entrée libre

Informations : http://cria.ehess.fr rubrique « Evénements »

Organisation et contact :
yann.rocher@ehess.fr / maria.stavrinaki@free.fr

Galerie Colbert
Salles Perrot (2e étage) et Jullian (1er étage)
2 rue Vivienne
75002 Paris
accès : 6 rue des petits champs

Journées d'études organisées par le CRIA (Centre de recherches interdisciplinaires sur l'Allemagne, EHESS/CNRS)

Programme détaillé

  • Vendredi après-midi (salle Perrot, 2e étage) :
  • 14h00 : Maddalena CARLI, Maître de Conférences, Université de Terramo
    « "Transformer la flamme de la révolte en aura de l'épopée". Images de la prise du pouvoir à l'Exposition de la Révolution Fasciste (1932) »
  • 15h00 : Pierre-Damien HUYGUE, Professeur, Paris I-Panthéon-Sorbonne
    « La destruction comme authentification »
  • 16h00 : Michael LUCKEN, Maître de Conférences, Institut national des langues et civilisations orientales
    « Sous les décombres, des cadavres »
  • 17h00 : Discussion
  • Samedi matin (salle Jullian, 1er étage) :
  • 9h30 : David MONTEAU, Ingénieur et doctorant en histoire de l'art, EHESS
    « L'effet de souffle apocalyptique de l'explosion vorticiste »
  • 10h30 : Iveta SLAVKOVA-MONTEXIER, Docteur et enseignante en histoire de l'art, Paris I-Panthéon-Sorbonne
    « Dada : détruire le sujet pour construire une communauté nouvelle »
  • 11h30 : Wolfgang KRAUSHAAR, Politologue et historien, Hamburger Institut für Sozialforschung
    « Gitarrenzertrümmerung / La destruction de guitares »
  • 12h30 : Discussion

Résumés des communications

  • Maddalena CARLI

« "Transformer la flamme de la révolte en aura de l'épopée". Images de la prise du pouvoir à l'Exposition de la Révolution Fasciste (1932) »

Parmi les nombreuses images qui contribuèrent à la fabrication du mythe des origines révolutionnaires de la dictature italienne, celles exhibées à l'Exposition de la Révolution Fasciste occupent une place tout à fait particulière. Non seulement à cause du caractère officiel de la manifestation, qui représenta le point culminant des célébrations pour le dixième anniversaire de la marche sur Rome (Decennale, 1932) et qui fut proposée à nouveau – en vertu d'un processus de muséification qui eut tendance à la transformer en institution permanente – à l'occasion du Bimillénaire de la naissance d'Auguste (1937) et des cérémonies pour le Ventennale (1942). Mais aussi pour le choix d'un registre narratif destiné à « bâtir, sur les éléments éphémères et passagers de la chronique quotidienne, la pérennité de l'histoire » : la conquête du pouvoir mise en scène à l'intérieur des salles de l'Exposition de 1932 fut moins une action destructrice de l'état libéral qu'une révolution qui s'éternise afin de légitimer les rythmes politiques et institutionnels de la stabilisation totalitaire. Sur le style, la périodisation et les fonctions de cette visualisation de l'acte fondateur du régime je voudrais proposer quelques réflexions, à partir d'une analyse des deux segments dont peut être divisé le parcours d'exposition : les quinze salles consacrées au récit de la période révolutionnaire (juillet 1914 – octobre 1922) et le « noyau monumental », conçu pour sacraliser l'ère fasciste.

  • Pierre-Damien HUYGUE

« La destruction comme authentification »

Dans Expérience et pauvreté, Walter Benjamin a défendu l'idée d'une barbarie positive, idée à laquelle il a associé les noms de quelques artistes de la modernité. Il a également rédigé un éloge du « caractère destructeur ». Cette défense et cet éloge ne valent ni pour toute barbarie ni pour toute destruction. Quel est ici l'élément discriminant ? La réponse tient, à mon sens, à une notion particulière de « l'authenticité », authenticité du fait ou de la méthode. Pour Walter Benjamin, l'authentification de la destruction selon un mode sans « aura » a paru nécessaire à l'élaboration d'une culture d'époque, à la pertinence de ce registre – la culture, une culture – dans « l'époque de la reproduction ». En m'appuyant sur trois textes de Walter Benjamin mais aussi, au-delà, sur le propos de W. G. Sebald dans De la destruction comme élément de l'histoire naturelle, je m'efforcerai de préciser ce qu'il en est de cette authentification. J'évoquerai particulièrement son enjeu pour ce que j'appellerai « l'état d'esprit commun ».

  • Michael LUCKEN

« Sous les décombres, des cadavres »

En matière historique, parler de « destruction » est souvent une métonymie pour évoquer des morts en grand nombre. Après un examen introductif des termes utilisés dans le lexique sino-japonais, nous entreprendrons une réflexion en trois points. Dans un premier temps, nous montrerons comment la destruction des grandes villes japonaises a été prévue, accompagnée, voire espérée, bref qu'elle s'accompagne en temps réel d'un constant travail de préfiguration et de reformulation au même titre que toutes les catégories de la conscience. Dans un deuxième temps, nous verrons que la représentation de la destruction implique au premier chef un travail de définition spatiale. Plus largement, on peut parler d'une grammatisation du drame, qui passe notamment par la définition d'un centre (physique et/ou symbolique), le repérage de motifs caractéristiques, la délimitation de marges, etc. Toutefois, dans les cas de Hiroshima et de Nagasaki, ce travail s'est fait au détriment des morts qui ont été évacués que ce soit pour des raisons réglementaires ou formelles. Nous terminerons par une étude des photographies montrant cadavres et mourants. Après l'analyse du contexte historique, nous proposerons quelques pistes de réflexion quant à la manière de montrer ces « objets ».

  • David MONTEAU

« L'effet de souffle apocalyptique de l'explosion vorticiste »

L'art des vorticistes anglais se place sous le signe de l'explosion, du souffle qui fait table rase : Blast. Cet art - ces peintures, ces sculptures, ces poèmes - visent en effet à mettre en feu une société dont la décadence morale s'inscrit dans la sensibilité contemporaine à travers une perte de plasticité et une dissolution des formes, propres à l'époque démocratique. Le vorticisme voulut y répondre par la promotion d'une nouvelle corporéité dure et violente, par le triomphe de la Volonté, et enfin par l'avènement, tandis que le monde ancien est emporté dans le tourbillon de sa propre destruction, d'un Sujet qui aurait retrouvé son propre centre, c'est à dire à la fois purifié du vacarme impressionniste de l'époque et vivant dans le Présent d'un agir pur : tout comme le futurisme, le vorticisme entendit, par le moyen de l'art c'est à dire son action sur la sensibilité, provoquer l'avènement proprement apocalyptique d'une humanité nouvelle qu'on dira bientôt fasciste.

  • Iveta SLAVKOVA-MONTEXIER

« Dada : détruire le sujet pour construire une communauté nouvelle »

Dada est l'un des mouvements les plus souvent cités pour illustrer les tendances destructrices des avant-gardes du début du XXe siècle, et pour cause : ses manifestes, prospectus, déclarations publiques, poèmes ou écrits sur l'art invoquent avec emphase la destruction d'un monde lamentablement fossilisé dans ses lois et sa morale bourgeoises, destruction qui doit être suivie par la construction d'une société et d'un monde nouveaux.
Le projet destructeur de Dada ambitionne donc de repenser la « cité » – le gouvernement, l'organisation sociale, le rapport de l'individu à la communauté. C'est ce dernier aspect qui nous intéressera dans cette communication où nous étudierons la manière dont quelques dadaïstes envisagent de concilier l'individu et la communauté, la production de sens commun et l'épanouissement individuel.
L'une des grandes nouveautés que comporte la vision dadaïste d'une communauté nouvelle est la notion de multiplicité du sujet, du je. Le monde nouveau de Dada naît de la destruction de l'intégrité individuelle, aspect de la pensée dadaïste qui reste très peu étudié à l'heure actuelle. L'anéantissement du sujet intègre donne naissance à un Homme nouveau cosmique et multiple, lequel devient l'unité de base, insaisissable et instable, du nouvel ordre social. Exaltant l'altérité, cet Homme nouveau permet l'épanouissement individuel tout en restant lié à la communauté. Nous verrons comment, à travers la destruction-éclatement des figures dans les œuvres et celle du discours (logos rationnel) dans les textes, cette nouvelle vision de l'homme et de la communauté est exprimée dans la création dadaïste.

  • Wolfgang KRAUSHAAR

« Gitarrenzertrümmerung / La destruction de guitares »

Durant les années 1960, des formes provocatrices de destruction sont successivement entrées dans la culture. Issues de l'art avant-gardiste, elles pénétrèrent la culture pop pour ensuite être célébrées de plus en plus comme emblèmes d'une culture de masse.
C'est surtout le motif de la destruction délibérée d'instruments de musique qui joue un rôle spectaculaire dans les performances de groupes de rock. Il est d'abord montré au grand public dans le film culte « Blow Up » de Michelangelo Antonioni, où le bassiste d'une formation blues-rock démolit sa guitare sans raison extérieur.
Cette pratique choquante remonte à un autre musicien au style influent, le guitariste solo Pete Townshend de « The Who ». A maintes reprises, il utilise sa guitare électrique comme une sorte d'arme pour fracasser le matériel de son groupe. Lorsqu'il veut répéter ce genre d'« act » au premier festival en plein air de l'été 1967 à Monterey, s'installe alors un conflit avec Jimi Hendrix, qui projette ses propres orgies de destruction. La compétition sera finalement remportée par l'homme qui, deux ans plus tard, créera un document audiovisuel de destruction avec son solo de guitare « Star Spangled Banner », hymne national détruit.
On ne sait pas à l'époque que l'inspirateur des scénarios de destruction de Townshend était un artiste originaire de Nuremberg, Gustav Metzger. L'émigrant juif-allemand qui a perdu la plupart de ses parents dans l'holocauste, s'est fait une réputation surtout par plusieurs manifestes de l'art auto-destructif. Metzger est convaincu qu'après Auschwitz et Hiroshima tout retour à l'œuvre d'art traditionnelle est devenu impossible.
Selon sa conception, l'œuvre d'art auto-destructive s'élabore en périssant. Par la temporalisation, la transformation et la dématérialisation, elle obéit dans un sens radical aux modes temporels. La mutation permanente de son apparence formelle est la loi non-écrite de son existence. Et la dématérialisation jusqu'à la disparition quasi-totale de l'objet d'origine constitue l'essence même de cette conception de l'œuvre d'art, semblant contrefactuelle.
Dans une ville portuaire du Pacifique, le motif de la destruction des guitares finit par réapparaître. L'architecte Frank Gehry a donné à un musée de l'histoire du rock, tout en acier et bourré d'électronique, la forme d'une guitare fracassée. Le complexe de bâtiments en tant que forme architectonique coagulée de l'art destructif est conçu comme hommage à Jimi Hendrix, décédé en 1970 comme le fils le plus célèbre, avec Bill Gates, de la ville de Seattle qui se situe à l'extrémité nord-est des Etats-Unis. Un autre hommage est le nom du système d'exploitation d'ordinateurs le plus diffusé, développé par le géant Microsoft : « XP » est en effet une abréviation pour « experience », le nom du groupe qui jadis fit fureur sous le nom de « Jimi Hendrix Experience ».